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Notes d'Itinérances
1 septembre 2023

Ostiense - Révolution au sud de Rome (3/12). Une journée particulière à la gare d'Ostiense.

La gare d'Ostiense face à l'Histoire - Tape à l'oeil et "grandeur" fasciste

 

 

La gare d’Ostiense était une petite gare de banlieue quand, le 3 mai 1938, il lui fallut accueillir Hitler. Une gare « en toc » avait alors été construite à la hâte pour être à la hauteur de l’évènement avec des formes chères aux régimes autoritaires, portique à pilastres, façade recouverte de faux travertin, majesté et rigueur [1]. La grande gare de Termini était alors en cours de rénovation et Mussolini souhaitait éblouir son partenaire, qu’il considérait encore comme un brillant second, en lui faisant parcourir la nouvelle voie triomphale (des forums impériaux) et découvrir la Rome antique. Du Brenner jusqu’à Rome, tout au long des voies, avaient été accrochés des slogans martiaux : « L’araire trace le champ, mais c’est l’épée qui le défend ! » ou « Croire, obéir, combattre » avec un grand M pour signature, les maisons avaient été nettoyées et blanchies, les jardins et les abords nettoyés. Les populations avaient été rameutées sur le trajet pour saluer le nouvel allié et faire une démonstration d’allégeance au pouvoir de Mussolini, ce nouveau « César ».

 

A sa descente du train, Hitler était accueilli par le Roi et Mussolini. Puis les deux dictateurs montèrent dans une voiture découverte où, debout, le bras tendu, ils saluèrent les foules en délire. L’auto avançait lentement pour qu’Hitler puisse également admirer les splendeurs et la puissance de la Rome antique, la porte Saint-Paul, le cirque Maxime, l’arc de Constantin, le Colisée, les forums. Tout au long du parcours, avaient été placés de hauts trépieds sur lesquels reposaient d’immenses vasques. Bref, Hitler devait être impressionné tant par la grandeur de la Rome antique que par celle de la nouvelle Italie fasciste. Comme l’écrivait en 1942 Abel Bonnard, académicien grand admirateur des régimes fascistes puis collaborateur zélé, il s’agissait d’escamoter les Rome des arts, de la Renaissance et du baroque, au profit d’une Rome martiale et guerrière :

 

« …Rome était, de toutes les capitales, celle qui avait le plus d’orgueil et le moins d’apprêt. Cela a changé depuis qu’un homme extraordinaire a pris sur lui de gouverner l’Italie et de la refaire. Toutes les différentes Rome se sont comme repliées pour ne laisser voir que la Rome antique et celle-ci n’est partout mise en évidence qu’afin de permettre au présent de se mesurer avec elle. Les ruines mêmes semblent rentrer dans l’action, les arcs de triomphent paraissent moins évoquer d’anciens vainqueurs qu’en attendre de nouveaux » [2].

 

La visite d'Hitler marqua le coup d'envoi de mesures gouvernementales anti-juives et anti-progressistes avec de très nombreuses arrestations ! Il fallait montrer que l’Italie fasciste n’avait rien à apprendre de son puissant voisin [3]. Quant aux attentes du passage de nouveaux vainqueurs sous les arcs de triomphe de Rome, elles ne furent pas déçues : bravant l’ancienne règle qui interdisait aux Juifs de passer sous l’arc de Titus, les Juifs de Rome, lors de la déclaration d’indépendance d’Israël en 1948, défilèrent dans le sens inverse des triomphes des troupes romaines ! 

 

La gare d’Ostiense fut ensuite construite en dur, sur le modèle de la gare provisoire et inaugurée en 1940. En façade, à droite, un bas-relief de Francesco Nagni représente Bellerophon [4] avec le cheval Pégase (photo). Devinette : pourquoi placer cette représentation d’un mythe antique en frontispice d’une gare ? Mussolini s’incarnait-il en Bellérophon attaquant la Chimère, celle de la société décadente capitaliste ? Ce serait oublier que Bellérophon, à vouloir être l’égal des Dieux, tombera dans un buisson d’épines, devint aveugle et erra misérable sur la terre jusqu’à sa mort… Après la guerre, le parvis de la gare a été dénommé « Place des Partisans » en souvenir de la lutte armée contre l’invasion de Rome par les nazis. Ce n’est plus aujourd’hui qu’un vaste espace, vide, à la dérive, servant de parking et terminus à des lignes d’autobus.

 


[1] A cette occasion, Pasquino avait déclaré : « Roma di travertino – vestito di cartone – saluta l’imbianchino – che arriva da padrone » (Rome de travertin - vêtue de carton – salue le peintre mironton – venu jouer les patrons). In Ranuccio Bianchi Bandinelli. « Quelques jours avec Hitler et Mussolini ». 1995.

[2] In « Images de Rome ». Encyclopédie Alpina illustrée. 1942

[3] Le film d’Ettore Scola, « Une journée particulière », comprend des images d’actualité de l’arrivée de Hitler. 

[4] Bellérophon, petit-fils de Sisyphe, réussit à tuer la Chimère, lion par devant, dragon par derrière, et chèvre sur le milieu du corps, en l’attaquant par-dessus grâce au cheval ailé Pégase.

 

Liste des promenades dans Rome et liste des articles sur Ostiense

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