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Notes d'Itinérances
29 janvier 2024

Sant'Angelo - Autour du ghetto (3/18). San Nicola in Carcere bien esseulée !

La charité romaine – L’art de réutiliser les restes antiques

 

 

Dans le vide affligeant de la via del Teatro di Marcello, San Nicola in Carcere (Saint-Nicolas-en-Prison) ressemble à un chicot dans une bouche édentée ! C’est une des plus anciennes églises de Rome, bâtie sous le pontificat d’Adrien Ier (772 / 795). Le curieux titre de l'église (en Prison) proviendrait de l’existence d'une prison romaine à proximité, dont il subsistait encore mention à la construction de l’église. 

 

« Un vieillard, ou plutôt une femme, renfermée dans cette prison, avait été condamnée pour y mourir de faim ; sa fille lui sauva la vie en la nourrissant de son lait ; c’est le sujet si souvent reproduit par les peintres sous le nom de Carità romana » [1].

 

Au XIIe siècle, une nouvelle église fut édifiée, sous le nom de « Leonis Petrus » (nom du château voisin de la famille Pierleoni)englobant et réutilisant les ruines de trois temples romains de l'époque républicaine sur le forum Holitorium, spécialisé dans la vente des légumes, des herbes et de l’huile [2]. A gauche de l'église, un temple construit en 250 av. J-C, dédié à l’Espérance, dont les restes (six colonnes et leur entablement) sont incorporés dans le mur gauche de l’église. Au centre, un temple à Junon, 197 et 194 av. JC reconstruit en 90 av. J-C, dont trois des six colonnes de la façade sont réutilisées dans celle de l’église (deux encadrent la porte et la troisième, très dégradée, est située au coin gauche). Enfin, à droite, un temple au dieu Janus, construit en 260 av. J-C, restauré en 17, de style ionique, avec des colonnes sur trois de ses façades. Huit sont visibles dans le mur droit de l'église (photo). 

 

L'église fut remaniée par Giacomo della Porta, en 1599, pour le « cardinal-neveu »[3] de Clément VIII Aldobrandini (1592 / 1605). La façade est un bricolage réutilisant des matériaux d’origines diverses. Deux colonnes antiques du temple de Junon, engagées, encadrent la porte surmontée d’un oculus flanqué de deux panneaux latéraux représentant, à gauche, saint Nicolas et, à droite, deux martyrs. Au-dessus, une corniche saillante, qui ne traverse pas toute la façade, délimite un étage bas, comprenant quatre pilastres doriques soutenant un fronton triangulaire sans décoration. A gauche, le mur de brique des bas-côtés de la nef, intégrant les colonnes d’un temple antique, dépasse de la façade et, à droite, un autre mur de brique correspond au clocher de l’église (une ancienne tour appartenant aux fortifications du château des Pierleoni). L’intérieur date pour l’essentiel de 1128, avec la réutilisation de colonnes provenant de différentes ruines antiques et des chapiteaux de plusieurs styles. L’église fut restaurée en 1865 à la demande de Pie d'IX Feretti (1846 / 1878) (plafond à caissons et fresques de l'abside). La construction de la Via del Mare (actuelle Via del Teatro di Marcello), voulue par Mussolini, aboutit à descendre le niveau de la rue et à démolir tous les bâtiments qui entouraient l’église pour mettre en valeur les seules ruines romaines. Les transformations mussoliniennes radicales chassèrent la totalité de la population de la paroisse. L’église était autrefois celle des romains originaires des Pouilles et de Basilicate. 

 

Dans la crypte sont visibles les vestiges des trois temples antiques, ainsi que les ruelles étroites qui les séparaient. Une structure étonnante comprend une rangée de petites pièces découpées dans le podium du temple central. Il ne s'agissait pas de cellules d’une prison comme pourrait le faire croire le titre de l’église, mais d’étroites échoppes vendant des objets de grande valeur associés aux cultes du temple, voire à des boutiques de changeurs. En 1466, le cardinal-diacre de San Nicola, Rodrigo Borgia (1456 / 1471), futur Alexandre VI (1492 / 1503) avait fait murer l’accès à la crypte utilisée comme ossuaire laquelle a ensuite été oubliée pendant plus d’un siècle. Sa sortie de l’oubli tombe à la fin du XVIe siècle quand l’église a été remodelée par l'architecte Giacomo della Porta.

 

La Via del Mare (Via del teatro di Marcello), inaugurée en 1930, a été percée en éliminant tous les bâtiments entre Capitole et Tibre. Sur l’autre rive de cette autoroute ont été mis à jour, en 1937, des vestiges du temple de Mater Matuta (Mère du matin), édifié par Servius Tullius (578 / 534 av. J-C). Des tessons de céramique révèlent une implantation humaine sur le site de Rome à l’âge du Bronze moyen (au XIVe siècle av. J.-C), bien avant la date traditionnelle de fondation de la ville en 753 av. J.-C.

 


[1] Stendhal. « Promenades dans Rome ». 1829. « La charité romaine », c’est le nom d’une scène exemplaire souvent reproduite par des artistes (Rubens, Caravage, Greuze…) : une jeune fille, Péro (ou Péra), allaite secrètement en prison son père, Cimon ou Mycon, condamné à mourir de faim. 

[2] Sovrintendenza capitolina ai Beni Culturali. « Templi Repubblicani di San Nicola in Carcere ».

[3] « cardinal Nepote » en Italien… d’où provient « népotisme ». Les papes, du XVe au XVIIe siècles, nommaient leurs neveux à la tête d’institutions religieuses participant ainsi à enrichir leurs familles.

 

Liste des promenades dans Rome et liste des articles sur Sant'Angelo et le ghetto

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