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Notes d'Itinérances
29 octobre 2023

Pigna - Entre les places de Venise et de Minerve (11/23). Le trou du Largo di Torre Argentina.

Le lieu de l'assassinat de César – Un sanctuaire pour la gente féline

 

 

Le corso Vittorio Emanuele II débouche brutalement sur un vaste espace ouvert, occupé pour une grande partie par un trou rectangulaire, profond de plusieurs mètres (photo). Lequel trou est évidemment récent ! Dans le cadre du plan d’urbanisme de 1909, dit « de régulation », confirmé en 1919, il était prévu de construire, à cet endroit, des bâtiments pour « l’Istituto Romano dei Beni Stabili », une société immobilière par actions. En 1926, les travaux de démolition du pâté de maison et de l'église du XVIIe, San Nicola dei Cesarini, exhumèrent les vestiges d'une statue colossale, en marbre grec, de la déesse Fortune ; la tête mesurant 1,46 mètres ! Des fouilles plus profondes firent apparaître un complexe archéologique de temples de l'époque républicaine. Il fallut en référer au Duce qui décida, bien évidemment, de faire exhumer les temples et de créer un nouveau « forum » inauguré en 1929 : la priorité des priorités étant de souligner la filiation directe entre la grandeur de la Rome antique et celle de la Rome fasciste et non de conserver des bâtiments médiévaux et baroques des périodes médianes. 

 

Que voit-on au fond de ce trou dénommé pompeusement « Area sacra » (aire sacrée) ? Les soubassements de quatre temples, du IVe au Ier siècles av. JC, remaniés à de nombreuses reprises au cours de cette période [1]. Pour les non-spécialistes de l’architecture antique, le plus intéressant est constitué par le podium de stuc situé derrière le temple rond, dit de « la Fortune ». C’était la Curie de Pompée où se réunissait le Sénat après la destruction par un incendie, en 52 av. J-C, de la « Curia Hostilia » située sur le forum. C’est donc là que César fut assassiné le 15 mars 44 av. JC !

 

Touristes et passants qui observent le trou ne s’intéressent pas nécessairement aux ruines romaines, mais plutôt à la colonie de chats qui s’y promène et s’y prélasse. Ce serait la plus importante colonie de la ville car, à Rome, comme à Venise, ils sont partout. Officiellement ils seraient 300 000, dont 180 000 en liberté. Depuis 1997, une loi régionale assure même « la protection des chats qui vivent en état de liberté », précisant qu’« il est interdit à quiconque de les maltraiter et de les déplacer de leur habitat », sous peine de sanctions pas symboliques du tout : jusqu'à dix-huit mois de prison et 15 000 € d'amende [2]. Ce sont les petites gens du quartier qui s’occupaient de nourrir la colonie de « gattare » (gatto, le chat). Une association culturelle « Colonie féline du Largo Argentina » s’occupait de leur santé, les soignait et, avec responsabilité, les stérilisait afin d’éviter que la zone en soit submergée !  

 

« Rome peut être considérée comme une marraine pour les chats, et le caractère du peuple romain, fait de simplicité et de sens de la bonté, est à rechercher dans cette sympathie, voire cet amour, pour les chats » [3].

 

Scandale en 2012 ! La direction archéologique de Rome a décidé un grand nettoyage des ruines de « l'Area Sacra ». Il faut dire que l’état de celle-ci laissait à désirer et qu’elle apparaissait plutôt à l’abandon. Il aurait donc été décidé d’éliminer toutes les constructions abusives sur le site, notamment le cabanon où l'association stockait les aliments et médicaments destinés à ses deux cent pensionnaires. Levée générale de boucliers : plus de 6 500 signatures auraient été envoyées au département archéologique et à la municipalité. Une réunion de conciliation a dû être organisée avec les services municipaux de l’archéologie et de la santé. Un compromis a été trouvé pour sauvegarder ruines et chats : deux héritages culturels majeurs ! Les chats ont désormais droit à un espace pour l’association qui s’occupe d’eux, le « Roman Cat Sanctuary », en « italien » dans le titre [4]. Moralité : les temps changent, la « grandeur de l’Empire » ne prime plus sur toute autre considération !

 

Depuis juin 2023, l’Area Sacra est accessible aux visiteurs, grâce à un acte de mécénat culturel du joailler Bulgari, par des espaces de circulation et un musée… en respectant la colonie féline !

 


[1] Sovrintendenza Capitolina ai Beni Culturali. « Area Sacra di Largo Argentina ». 

Comune di Roma. « Area Sacra di Largo Argentina, al via i lavori per apertura al pubblico ». 14/04/2021.

[2] Jean-Jacques Bozonnet. « Les chats, empereurs de Rome ». Le Monde. 06/01/2005.

[3] Cité par Jean-Jacques Bozonnet.

[4] Site internet : Roma cats sanctuary. En anglais, et désormais en italien ! Les chats romains, manifestement autrefois anglophones, sont désormais bilingues.

 

Liste des promenades dans Romeet Liste des articles sur le rione de Pigna

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