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Notes d'Itinérances
18 juin 2013

Inde du Sud (8/31). Auroville, une utopie en déroute ?

Une visite encadrée de grillages - Une résidence protégée à l'américaine ?

 

 

« Etait-ce donc la peine de venir aux Indes, au vieux foyer initial des religions humaines, si c’est là tout ce qu’on trouve : dans les temples, un brahmanisme enténébré d’idolâtrie ; ici une sorte de positivisme réédité de Cakya-Mouni, et des livres spirites qui ont traîné dans le monde entier ! » [1].

 

Etant à Pondichéry, c’est l’occasion d’aller visiter Auroville, « la ville de l'Aurore », dont il avait été fait si grand cas dans les années 60 / 70. Où en est la réalisation de cette ville idéale en forme de spirale galactique ? A quoi ressemblent ses habitations d’une architecture nouvelle et audacieuse ? Bref, c’est avec la plus grande curiosité que je m’y rends…

 

Déception ! Le visiteur ne peut y pénétrer et s’y promener librement. Tout juste a-t-il le droit d’être canalisé dans un chemin soigneusement clos de barrières jusqu’au fameux « matrimandir » [2], une espèce de vaisseau spatial au style futuriste des années 60, qu’il ne pourra d’ailleurs voir que d’assez loin. Quand le chemin balisé croise une route des Aurovilliens, des barrières et un gardien vous rappellent bien vite qu’il ne faut pas sortir des sentiers battus ! D’Auroville et de ses bâtiments, vous ne verrez rien, sauf le petit film de propagande qui est présenté à l’entrée du site.

 

« Il devrait y avoir quelque part sur la terre un lieu dont aucune nation n’aurait le droit de dire « il est à moi » [3].

 

Aux visiteurs curieux et intéressés, Auroville apparaît être aujourd’hui la possession jalouse de ses résidents qui s’enferment dans leur cité, comme les retraités américains dans leurs lotissements soigneusement clos et gardés.

 

Pour devenir membre d'Auroville, il faudrait (1) avoir un visa indien permettant de résider en Inde, (2) posséder l'argent nécessaire pour vivre au moins un an sans être rémunéré pour son travail et (3) faire ses preuves pendant un an auprès des résidents. Si vous êtes acceptés parce que vous aurez montré pendant un an que vous étiez « le serviteur volontaire de la conscience divine » (dixit la Charte d’Auroville), il est encore nécessaire de trouver un logement. Les témoignages d’Aurovilliens soulignent que pour devenir l'occupant d'une maison existante, il faut faire don à la fondation qui gère Auroville d’un montant équivalent à la valeur de la maison ; pour bâtir une maison et en devenir l'occupant, cela requiert également de faire un don à la fondation et d’en payer la construction. Mais dans une « organisation sans hiérarchie », toutes les décisions doivent être prises à l'unanimité, exigeant en conséquence des débats approfondis qui retardent d’autant tout nouveau projet. Tous les biens immobiliers (terrains, maisons, puits) sont la propriété de la fondation Auroville, la propriété privée, comme la monnaie, étant exclues.

 

Bref, devenir citoyen d’Auroville ne semble donc pas à la portée de toutes les bourses. Etonnez-vous que la ville prévue pour 50 000 habitants n’en accueille que 1 978, dont 454 enfants ! À trop se protéger des visiteurs, les Aurovilliens donnent l’impression de transformer l’utopie originelle en village écolo pour Occidentaux nantis, en mal de spiritualité ou de destination exotique.

 

Sur le chemin bien balisé que vous devez suivre pour aller au « matrimandir », vous rencontrerez plus d’habitants des villages environnants que d’Aurovilliens : ils gardent les barrières, balayent les allées, conduisent des camions de livraison, nettoient les jardins. Naïvement, la plaquette de présentation d’Auroville avoue que la cité « est une source majeure d’emploi pour les quarante mille habitants des villages environnants », soulignant ainsi que les résidents d’Auroville, profitent de la main d’œuvre locale à bas prix. Les activités développées (énergie renouvelable, informatique, artisanat) sont une source d’argent pour la communauté, avec les revenus extérieurs personnels des Aurovilliens et, si l’argent n’est plus « le souverain seigneur » dans la ville, il semble jouer un rôle clef pour l’existence même d’Auroville.

 

Les Aurovilliens se plaignent des commentaires critiques sur leur utopie en marche, mais le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils ne font pas preuve d’une grande ouverture, ni d’une grande transparence, sur leur ville et leurs activités qui permettraient de les éviter.

 


[1] Pierre Loti. « L’Inde (sans les Anglais) ». 1903.

[2] Le matrimandir est un globe doré, entouré de douze pétales, abritant des salles de méditation.

[3] Mira Alfassa, dite « La Mère ». Août 1954.

 
 
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