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Notes d'Itinérances
3 juillet 2013

Inde du Sud (23/31). Des dessins périssables, les kolams.

Dessins sur le pas de porte - A formes géométriques ou non, mais toujours imaginatives

 

 

« Et l’extrême matin est précisément l’heure charmante où les ménagères aux longs yeux font la toilette du sol, chacune devant sa demeure. Sur la terre rouge, bien battue et bien balayée, elles tracent avec de la poudre blanche de prodigieux dessins éphémères, que le moindre vent emportera, ou les pieds des passants, ou les pattes des chèvres, des chiens et des corbeaux. Elles font cela très vite, en s’aidant, pour se repérer, d’invisibles marques qu’elles ont placées d’avance ; gracieusement penchées, elles se hâtent de promener par terre l’espèce de petit sablier où leur poudre est contenue, et d’où s’échappe une trainée blanche, comme un ruban sans fin » [1].

 

Devant les portes des maisons, plutôt en zone rurale, mais aussi dans les temples, sont réalisés, au sol, de magnifiques dessins, très colorés, généralement à caractère géométrique, mais qui peuvent aussi figurer des fleurs. Ce sont des kolams, des motifs, autrefois tracés en poudre de riz à l'entrée des maisons et commerces en guise de bienvenue ainsi que pour porter chance et prospérité aux habitants de la demeure comme aux visiteurs.

 

Tous les matins, les femmes ou les jeunes filles sortent de la maison, en balaient soigneusement le seuil, l'aspergent d'un mélange de bouse de vache et d'eau, avant de tracer une grille de points qui servira à effectuer le dessin. Les kolams sont généralement exécutés sur un sol encore humide afin que le dessin tienne mieux. La bouse de vache utilisée pour nettoyer le sol est censée avoir des propriétés antiseptiques et participerait ainsi à la protection de la maison. Quant à la poudre de riz, elle nourrit fourmis et oiseaux ce qui constitue un signe de bonté journalière, garant de l’accueil des étrangers dans la maison.

 

Le kolam est exécuté en l'honneur de la déesse Lakshmi, « la millionnaire », l’épouse de Vishnou et déesse de la fortune et de la beauté.

 

Le kolam est exécuté à main levée, en laissant la poudre s’écouler, en commençant par le centre du dessin. Les lignes doivent être continues afin d’éviter que les mauvais esprits entrent à l'intérieur des formes dessinées et, symboliquement, les empêcher de pénétrer à l'intérieur de la maison. Les dessins peuvent reprendre des figures connues mais toujours symétriques, fleur de lotus, svastika, étoile… mais aussi faire preuve d’imagination, bouquet de fleurs, Ganesh. J’imagine que c’était autrefois un motif de fierté familiale que de réaliser de beaux kolams chaque jour, d’en varier les formes ou de les complexifier.

 

« Un Kolam tracé à la va-vite reflète une maîtresse de maison négligente, indifférente et malhabile. Quant à celui dessiné de manière recherchée, il indique un certain égocentrisme, de la vanité et une incapacité à faire passer les besoins des autres avant les siens. Ton Kolam de tous les jours doit montrer que, si tu es économe, tu n'es pas avare. Il doit témoigner de ton amour de la beauté, du soin que tu apportes aux détails, d'une retenue, d'une certaine élégance et, surtout d'une bonne compréhension de ta place dans la vie. Il doit refléter ce que tu es : une bonne maîtresse de maison » [2].

 

Au fur et à mesure du déroulement de la journée, le dessin va s’estomper du fait des passages des passants, des animaux, du vent. Le soir, il n’en subsistera plus que la trace mais il sera renouvelé le lendemain matin. Ils symbolisent ainsi l'aspect éphémère de la vie mais aussi sa perpétuelle renaissance, d’un jour sur l’autre, d’une génération à l’autre car il est (ou était) soigneusement transmis de mères en filles.

 

Manifestement, l’art du kolam évolue. S’il est désormais peu présent en ville, il s’enrichit de nouvelles possibilités avec la disponibilité de poudres colorées. Il paraît même que sont vendues des boites métalliques, percées de petits trous pour assurer l’écoulement de la poudre, et vous permettre ainsi de réaliser de beaux kolams sans effort !

 


[1] Pierre Loti. « L’Inde (sans les Anglais) ». 1903.

[2] Anita Nair. « Compartiment pour dames ». 2004.

 
 
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