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Notes d'Itinérances
10 juillet 2013

Inde du Sud (30/31). Les fresques du palais de Mattancherry à Cochin.

Une grande école de la fresque murale au Kerala - Malheureusement souvent difficiles à voir

 

 

« Et, au contraire, les murailles ont été laissées plates, absolument unies d’un bout à l’autre ; au premier abord, dans cette pénombre, on les dirait tendues d’une étoffe à dessins polychromes, mais elles sont peintes ; par tout le palais, ce sont des fresques, les unes un peu détruites par le temps, les autres dans un état de conservation parfaite, comme certaines peintures égyptiennes des tombeaux.

Oh ! des fresques stupéfiantes, d’un art très spécial, d’un art touffu, exubérant, prodigue. Amas de nudités, reproduites dans un souci minutieux de l’anatomie, dans l’exagération même de la beauté indienne : tailles trop fines, et seins trop bombés ».

 

Le palais hollandais à Mattancherry fut construit par les Portugais pour l’offrir, en 1555, au Radjah de Cochin, Kerala Varma (1537 / 1565). En fait, il s’agissait d’apaiser le Radjah qui était très irrité par suite du pillage d’un temple voisin. Le palais acquit son nom actuel, en 1663, lorsque les Hollandais effectuèrent des réparations et firent des ajouts au palais. L’attrait principal du palais réside dans ses peintures murales. Une quarantaine de scènes du Râmâyana ornent les murs de la chambre à coucher, à partir de « Putrakameshti Yajna » (le sacrifice pour l'obtention de fils) à « pattabhishekam Rama » (Le couronnement de Rama au retour de la captivité de Sita au Lanka). L'histoire est interrompue par deux images iconiques de Vishnu et Krishna Venugopala (« Le Maître des vaches à la flûte »).

 

Si Loti eut du mal à apprécier les fresques parce qu’elles étaient mal éclairées, du moins était-il seul. Le palais étant aujourd’hui un musée, les fresques sont éclairées (modérément) mais la foule qui s’y presse dans une salle relativement petite ne permet guère de mieux les apprécier !

 

Ces fresques doivent dater du XVIIe siècle pour les plus anciennes et sont représentatives de l’art des peintures murales qui s’est développé au Kerala aux XVIe et XVIIe siècles. La technique utilisée est celle dite du « fresco-secco », c'est-à-dire une peinture faite sur enduit sec. Le mur est d'abord enduit d’un mélange de sable et de chaux sur une épaisseur de deux centimètres environ. Une seconde couche, de sable, de chaux et de lait de coco, est ensuite appliquée quand la première est bien sèche. Ces deux couches servent enfin de support à trente ou quarante couches successives de lait de chaux à la noix de coco, appliquées en deux ou trois jours au fur et à mesure que les couches précédentes sèchent [1].

 

Sur cet enduit blanc, le peintre organise alors les contours de sa composition avec un trait jaune pâle puis brun. Les couleurs utilisées pour représenter les personnages sont symboliques et caractérisent des qualités de l’être. Vertu, noblesse et sérénité sont représentés par la couleur verte, associée à Vishnu ; la passion, l’héroïsme et l’action par la couleur orange, associée à Brahmâ, mais aussi la déesse Lakshmi ; la destruction, la violence et la force d’inertie par la couleur noire, mais en peinture représentée par la couleur blanche ! Elle est associée à Shiva, bien sûr. Le noir est utilisé pour les contours et les détails, cheveux, yeux. Mais le peintre doit aussi respecter des règles très précises de composition dans la taille des personnages, leurs proportions, leurs attitudes, leurs gestes des mains, les ombres, les objets qui les entourent ; tout est strictement codifié et permet à un connaisseur de comprendre les sentiments qui agitent chacun des personnages. On compte ainsi dix-huit regards différents. Au final, les peintures sont protégées avec un mélange de résine de pin et d'huile, qui donne éclat et force.

 

Les peintures murales du palais de Mattancherry sont un des exemples de cet art qui s’est développé au Kerala dans les temples et palais et qui illustrent généralement les exploits toujours extraordinaires de Vishnu et ses avatars. Nombre de ses fresques seraient aujourd’hui disparues, très endommagées ou invisibles pour les non-hindous car décorant les sanctuaires des dieux dans les temples [2].

 

Montpellier, février / mars 2014.

 


[1] Voir l’ouvrage de Martine Chemana sur les « Murs sacrés du Kerala ». 2002.

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