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Notes d'Itinérances
23 septembre 2013

Yémen - Aden Arabie (30/33). Le repas chez Ahmed.

Religion, statut social et entreprenariat - Un "mur de Berlin" dans l'appartement

 

 

Notre traducteur, Ahmed, est originaire de la région d’Ibb, d’une grande famille de propriétaires terriens, qui prétend descendre du prophète. Cette filiation prestigieuse lui pose d’ailleurs problème. Non pas d’un point de vue religieux car Ahmed est très pieux, suivant le Coran à la lettre, avec les avantages et les inconvénients de la formule. Avantages : une grande rigueur morale, l’honnêteté, l’obligeance et la serviabilité ; inconvénient, alors qu’il recherche la discussion, ses arguments sont continuellement basés sur les révélations du livre et ses interprétations, ce qui rend toute conversation avec des français rationalistes assez compliquée.

 

Non, ce qui lui pose surtout problème, c’est le statut social que cette filiation induit. Entreprenant, il développe de multiples projets susceptibles de participer au développement de sa région, de son pays. C’est ainsi qu’il a étudié successivement un projet d’importation et de distribution de couches culottes pour bébés qui manquent cruellement au Yémen, mais aussi un projet d’amélioration de l’irrigation des terres familiales pour assurer aux fermiers de meilleurs rendements, ou un projet d’installation de ruchers pour diversifier leurs revenus… Mais chacun de ses projets échoue. En effet, il doit en faire référence à son père, chef du clan, et les conduire avec son assentiment. Mais à chaque fois, celui-ci critique son projet dans la mesure où il trouve malséant que son fils conduise des activités de gens qui sont normalement à son service.

 

A la veille de notre départ, il nous invite à déjeuner le vendredi dans son appartement de Sanaa. Dans le hall d’entrée, il nous accueille et nous convie à enlever nos chaussures. Ahmed a très fière allure : djellaba blanche, veste de costume sombre, keffieh sur la tête et jambia à la taille tenue par une ceinture de cuir ouvragé.

 

Le hall est coupé en deux par une cloison comportant une porte. Ahmed a fait poser cette cloison pour bien séparer, par un sas, la partie publique de l’appartement dans laquelle sont reçus les invités, de la partie privée, domaine de la famille, mais surtout domaine réservé des femmes. Ahmed appelle lui-même cette cloison « le mur de Berlin » ! C’est qu’Ahmed est écartelé entre deux positions. D’une part, comme croyant, bon connaisseur du Coran, il sait que dans le livre rien ne justifie la condition faite aux femmes au Yémen. D’autre part, comme yéménite, il respecte la tradition. En conséquence, son épouse, pourtant diplômée d’une université américaine, ne travaille pas et reste à la maison pour élever les enfants.

 

Nous sommes ensuite introduits dans une vaste pièce nue et invités à nous asseoir sur le sol recouvert d’une moquette et de tapis. Seuls éléments de décoration : des coussins le long des murs.

 

« On leur donna trois appartements dont l’un devait servir de cuisine. Mais ces appartements étaient forts nus et presque sans autres meubles que des tapis de pied et des coussins sur des estrades ou sofas, qui devaient servir de tables, de sièges et de lits. C’est la manière de presque tous les Orientaux » [1].

 

Pour le service du repas, c’est un cousin d’Ahmed qui étalera sur la moquette un plastique transparent et disposera sur cette nappe les différents plats : galettes de pain en priorité bien sûr, puis assiettes de crudités, de lentilles, de poulet avec du riz ou de poulet dans une sauce à la tomate, pommes de terre frites et de succulentes tartes au fromage blanc pour lesquelles nous aurons chacun droit à une cuillère.

 

Nous ne verrons jamais la femme d’Ahmed qui ne franchira pas le mur de Berlin, seule sa petite fille de deux ans viendra nous observer mais elle disparaîtra au moment du repas pour manger avec sa maman.

 


[1] Jean de La Roque. « Voyage de l’Arabie Heureuse par l’Océan Oriental et le Détroit de la Mer Rouge, Fait par les François pour la première fois, dans les années 1708, 1709 & 1710. Avec la relation particulière d’un Voyage Fait du Port de Moka à la Cour du Roy d’Yémen, dans la féconde Expédition des années 1711, 1712 & 1713 ». 1716.

 

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