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Notes d'Itinérances
18 décembre 2013

URSS 1988 (1/28). Des « russkoffs » à la « patrie du socialisme ».

Des représentations sommaires, lyriques, héroïques ou anticommunistes 

 

 

 

« Les Russes. Pour moi, ça n’allait pas plus loin que ‘Michel Strogoff’, dévoré à dix ou onze ans dans une édition brochée, en fascicules, illustrées à foison de vieilles gravures sur bois, très noires, très fuligineuses et très fatiguées, d’un dessin précis et tourmenté, fascinant. (…) Ca n’allait pas plus loin que l’accent rigolo du général Dourakine de la digne comtesse de Ségur, née Rostopchine : ‘ Toi trrès horrible vilain garrnement ! Chez nous, dans le Rrussie, sais-tu quoi fairre à horrribles garrnements vilains ? Nous donner knout, arracher peau, voilà quoi nous fairre ! ‘, pas plus loin que le parler roucoulant d’Elvire Popesco jouant Tovaritch au cinoche, que les cosaques harcelant la Grande-Armée :‘ Il neigeait. On était vaincu par sa conquête.Pour la première fois l’Aigle baissait la tête... ‘Il était vite fait, l’inventaire de mes impressions sur la Russie »[1] .

 

A dire vrai, le mien d’inventaire est aussi assez vite fait. Michel Strogoff également, mais cette fois en Technicolor et Cinémascope ! Différence de génération oblige. C’était un de ces premiers films à grand spectacle avec un magistral Michel Strogoff joué par Curd Jürgens, un grand blond, à la carrure athlétique, aux  yeux gris acier, sans peur et sans reproche. Pour nous, de nos douze ans, il symbolisait tout à la fois Bayard, Zorro, Robin des Bois et D’Artagnan ! Les récréations du lycée étaient remplies de cavalcades, d’assauts furieux, de trahisons, de villes prises, de redditions. Nous rejouions à loisir les scènes clefs du film : la présentation de Michel Strogoff au Tzar après que les communications télégraphiques avec Irkoutsk furent coupées par la sédition, les passages des cols de l’Oural en tarantass, la capture de Michel Strogoff par les troupes tartares, son aveuglement par une lame de sabre chauffée au rouge...

 

Il y avait aussi les souvenirs du fabuleux général Dourakine et de son accent à couper au couteau mais, à douze ans, nous considérions avec mépris tout rappel à ces lectures enfantines, même si, seuls, nous n’hésitions pas à nous replonger dans ces histoires. Ajoutez à cela les vignettes de nos livres d’histoire dans lesquelles Napoléon regardait Moscou brûler d’une terrasse d’un palais. Les flammes et des volutes noirâtres dévoraient le ciel, mais lui - et c’est ce qui faisait toute la différence - avait le front soucieux du vainqueur sentant la menace de la défaite et ne jouait pas de la lyre en déclamant des vers de mirliton !

 

Sur ce fonds très sommaire, une seconde couche est venue s’ajouter, quasiment aussi lyrique et héroïque que la première. Cette fois, il s’agit de foules sabrées sur la perspective Nevski, de landaus tressautant sur les escaliers d’Odessa, de révolte des matelots du Potemkine, des coups de canon du croiseur Aurore, de la prise du Palais d’Hiver, de Lénine haranguant les foules, de Maïakovski dessinant les fenêtres Rosta, des soviets et de l’électricité, de la conquête de l’espace à coups de Spoutniks, d’amitié entre les peuples et de lutte contre l’impérialisme américain. La Russie des romans de mon enfance s’est transformée en « conte du socialisme » avec le romantisme révolutionnaire de « Dix jours qui ébranlèrent le monde »[2], le héros individuel s’est converti en héros collectif !

 

Il existe bien quelques éléments gênants dans cet inventaire héroïque : la terreur stalinienne, le goulag, la répression contre les écrivains et les scientifiques, les hôpitaux psychiatriques, bien que, pour une bonne part, cela nous semble relever d’un anticommuniste primaire. En conséquence, le bilan peut-il être jugé « globalement positif » ? Peut-on« passer les cadavres en pertes et profits ? »[3].

 


[1] Cavanna. « Les russkoffs ». 1979.

[2] John Reed. « Dix jours qui ébranlèrent le monde ». 1918.

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