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Notes d'Itinérances
28 décembre 2013

URSS 1988 (11/28). La Baltique, l’hôtel « Pribaltiïskaïa » et les magasins « Beriozka ».

Une mer gelée ! - L’hôtel « Pribaltiïskaïa », dernière fierté des Leningradois - Les magasins « Beriozka » pour étrangers

 

 

Les rives de la Baltique sont encore gelées. La mer, cet élément pourtant immense, en mouvement constant, est ici devenue prisonnière des glaces. Le paysage est d’une simplicité biblique, un horizon plat, tant du côté de la mer que de la terre, qui baigne dans une lumière laiteuse, irréelle.

 

Mais ce n’est peut-être pas tant la mer que l’on veut nous faire admirer que la dernière réalisation monumentale du régime : l’hôtel « Pribaltiïskaïa », une immense bâtisse, construite par des Finlandais ou des Suédois, composée de trois grosses boîtes parallélépipédiques disposées en V, avec socle de marbre rouge et façades mêlant marbre blanc et métal couleur vieux bronze.

 

Après avoir admiré la mer Baltique gelée, et l’hôtel « Pribaltiïskaïa » (!), notre guide nous propose de visiter le magasin « Beriozka » de l’hôtel. Les Beriozka sont une chaîne de magasins d’Etat réservés aux touristes étrangers et dans lesquels il est possible d’acheter toutes sortes de souvenirs, à condition de payer en devises.

 

Il se présente comme un supermarché de produits touristiques où ceux-ci sont présentés, par thèmes, sur de longues gondoles. On y trouve naturellement les fameuses matriochkas, mais aussi des plateaux laqués, des boites de Palekh sur lesquelles sont dessinées des reproductions de miniatures anciennes, des coupes de Kokhloma peintes de motifs floraux aux couleurs vives, des chapkas, des chemises ou des corsages brodés, des manteaux de cuir, des bijoux d’ambre, des appareils photos, des montres et notamment des montres à gousset, des livres, des disques et, bien sûr, vodka et caviar. Dans certains magasins on peut aussi y acheter des produits occidentaux, cigarettes américaines, alcools et parfums français, confiseries allemandes ou suisses, ce qui est certes un moyen de récupérer les devises échangées sur le marché noir mais qui, contradictoirement, contribue à développer le circuit parallèle des devises puisque les Soviétiques peuvent se procurer ici des produits introuvables dans le commerce.

 

Il est aussi curieux de constater que les étrangers peuvent acheter dans ces magasins les disques de Boulat Okoudjava ou de Vladimir Vissotsky que les Soviétiques ont eux-mêmes le plus grand mal à acquérir ! Les chansons et poèmes de ces deux auteurs circulent en URSS essentiellement par le biais de bandes magnétiques pirates. Serait-ce parce que ces deux-là sentent parfois un peu le soufre ? Que poètes, ils ont une manière moins conventionnelle de voir le monde ?

 

« Ce n’est pas en vain que nous avons forgé nos victoires.
Nous avons tout conquis : et havre sûr et lumière...
Mais dommage quand même : parfois au-dessus d’elles,
Se dressent des piédestaux, plus hauts que nos conquêtes »[1] .

 

Comment peut-on développer un socialisme démocratique, une réelle participation des habitants de ce pays à la construction de son avenir si l’on muselle les poètes ? Si l’on n’accepte pas toute pensée un peu différente ? Et l’on ne peut pas taxer ni Boulat Okoudjava, ni Vladimir Vissotsky, d’anticommunistes primaires, de suppôts du capitalisme international ! Au contraire, c’est au nom de leur idéal communiste qu’ils soulèvent questions et problèmes. Est-ce préparer l’avenir que de refuser de voir les problèmes, d’écouter ceux qui disent « attention » ? L’Union soviétique officielle n’aime-t-elle ses poètes que décédés ? Faut-il que la Russie répète encore et encore le sort qu’elle a réservé à Pouchkine ? Un bon poète, est-ce un poète coulé dans le bronze ? Un bronze bien réaliste de préférence comme ceux de Maïakovski et de Vissotsky ?

 

« Une année à peine a passé
Et me voici rectifié, couronné,
Sculpté, coulé, magnifié...
Sous les yeux du peuple en foule
On s’inaugure, et valse la musique,
Valse ma voix des bandes magnétiques. (...)
On me chipe mon linceul, on me rétrécit.
Est-ce donc ainsi que vous utilisez ma mort ? »[2]

 


[1] Boulat Okoudjava. « Dommage quand même ».

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