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Notes d'Itinérances
15 janvier 2014

Angkor (2/27). A travers le siècle, aller à Angkor.

En train, "mouche à vapeur", char à bœufs, automobile, avion à hélice et jet désormais !

 

 

Pour aller à Angkor, il suffit aujourd'hui de changer d'avion à Bangkok, Hanoï, Ho-Chi-Minh-Ville, Phnom-Penh, Séoul ou Vientiane. Ce changement reste encore nécessaire, car la piste de l'aéroport de Siem Réap est trop courte pour recevoir les jets gros-porteurs. De Phnom Penh, en trois quarts d'heures de vol d'un ATR-72, vous atterrissez à Siem Réap.

 

En 1992, après l'ouverture des frontières du Cambodge et l'arrivée des forces des Nations-Unies, cela pouvait paraître encore comme une petite expédition. Oh, bien modeste ! Un seul avion assurait un aller et retour quotidien, un vieil Iliouchine asthmatique, à turbopropulseurs, qui lâchait dans la cabine un nuage de vapeur transformant celle-ci en rue londonienne un soir de smog. Avec la condensation, des gouttières se formaient sur les parois trempant consciencieusement votre chemise ou votre pantalon. Un seul hôtel pour vous accueillir, le « Grand Hôtel d'Angkor », vieux bâtiment colonial fatigué construit en 1929, quelques rares touristes et militaires de l'APRONUC, et des soldats Cambodgiens patrouillant à bicyclettes, le fusil dans le dos.

 

Il subsiste parfois encore un petit goût d'aventure... Lors d’un autre voyage, le ciel était couvert et le plafond très bas sur Angkor ; nous étions dans les dernières phases des procédures d'atterrissage et descendions toujours dans les nuages quand, tout à coup, le sol est apparu, à quelques mètres d'altitude seulement. Nous nous sommes alors rendu compte que l'avion était à côté de la piste ! Le pilote a effectué deux virages rapides, sur l’aile, pour se remettre dans l'axe et pouvoir atterrir ! Je suppose que depuis l’aéroport est doté de radars ?

 

Pierre Loti s'est rendu de Saigon à Angkor en 1901, par le train tout d'abord de Saigon à Mytho, puis en « mouche à vapeur », un petit bateau à coque en fer agrémenté d'une minuscule cabine, par le Mékong et le grand lac, le Tonlé-Sap. Il utilisa ensuite un sampan, dont il note que « la toiture est en couvercle de cercueil » [1], pour traverser la forêt inondée des bords du grand lac. Il termina enfin son voyage en charrette à bœufs pour atteindre Siem Réap. Comptez cinq jours de voyage, encore que, Pierre Loti, officier de marine sur un cuirassé en escale à Saigon, écrivain renommé, avait bénéficié d'une mise à disposition par la « Royale » de la fameuse « mouche à vapeur ». Roland Dorgelès effectue le même voyage au début des années 20, mais en automobile cette fois, et en quinze heures. Exploit impossible à réitérer dans les années 90 compte tenu de l'état des chaussées, de la circulation entre Saigon et Phnom-Penh, et de l'insécurité de la route N°6 entre Kompong Thom et Siem Réap. Arrivant à Siem Réap, Dorgelès remarque une grande pancarte : « Pèlerins d'Angkor. Tournez à droite », annonçant déjà la nouvelle ère du tourisme de masse !

 

« On croyait échapper enfin à la colonie civilisée, pénétrer dans l'Asie légendaire (...) et patatras ! il faut qu'on tombe sur ce panneau de Touring-Club, hommage saugrenu à la mémoire de Loti, pour revenir à la réalité » [2].

 

Aujourd'hui, plus d'hébergement à la bonzerie, seul lieu d'accueil au début du siècle, ni même de « sala », petit hôtel à l'européenne d'entre les deux guerres, aux salles de douche et chambres grillagées[3], mais des hôtels offrant tout le confort moderne : moquette, climatisation, grooms dorés sur tranche, eau chaude, steaks-frites et télévision. De taille modeste dans les années 90, ils sont devenus d'immenses palaces, thaïlandais ou chinois, s’égrenant tout au long de la route qui conduit de l’aéroport à Siem Réap, ou disséminés dans le centre-ville. Faut-il s'y résigner ?

 

« Le monde est plus grand que tu ne crois, écrivait Renan. Depuis tout a changé. Il devrait écrire aujourd'hui : "Le monde est plus petit que tu ne supposes" » [4].

 

Ne l'avons-nous pas désiré, voulu ? N'en bénéficie-t-on pas aussi ? N'est-ce pas grâce aux jets et à la démocratisation des voyages que le site d'Angkor n'est plus réservé à quelques historiens, esthètes, artistes, riches dilettantes ou coloniaux ? Quand je rêvais, enfant, à la « mystérieuse cité d'Angkor », quelle chance pouvais-je alors avoir d'y aller jamais ?

 


[1] Pierre Loti. « Un pèlerin d'Angkor ». 1901.

[2] Roland Dorgelès. "Sur la route mandarine". 1925.

[3] Idem.

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