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Notes d'Itinérances
27 février 2014

Laos de Vientiane à Luang-Prabang (11/17). Luang-Prabang, un « art de vivre » menacé ?

Nonchalance n'est pas indolence - L'insertion dans le commerce mondial

 

 

Luang Prabang est encore une petite ville, calme, tranquille, où le temps s’écoule apparemment avec une certaine nonchalance.

 

« En vérité, le temps ne compte plus au Laos comme ailleurs. On ne le détaille pas. On ne le découpe pas en parcelles précieuses, minutées, sous globe, comme chez nous » [1].

 

Des jeunes filles, très droites sur leur vélo, tenant d’une main une ombrelle pour conserver le teint clair, ou portant un masque de gaze sur le visage, pédalent sans forcer pour se rendre au lycée. Les commerçantes étalent leurs marchandises sur des nattes et attendent le chaland sans agitation excessive. Le client ne risque pas d’être importuné par un vendeur agressif, bavard et vantard, essayant de lui vendre n’importe quel produit en lui louant toutes sortes de ses qualités plus ou moins imaginaires. Tout au plus, la vendeuse se contentera-t-elle de lui indiquer de la main un autre de ses produits. C’est qu’il est très malséant de s’agiter, de montrer ses émotions, de s’extérioriser bruyamment.

 

Mais ce calme et cette gentillesse sont totalement désarmants et finalement beaucoup plus « productifs » que bien des attitudes et arguments affutés d’une quelconque « force de vente » !

 

Il ne faudrait pas toutefois se tromper, cette nonchalance apparente n’est pas indolence, indifférence ou apathie. Chacun ici, mais peut-être faudrait-il dire plutôt « chacune ici », s’active sans compter. C’est que la vie est difficile, les revenus très modestes et qu’il convient avant tout de vivre et de faire vivre sa famille. Les femmes semblent d’ailleurs jouer un rôle économique majeur. Si les hommes mènent les buffles, pilotent motoculteurs et barques, conduisent les autobus et tuktuks, ils sont généralement salariés, policiers, fonctionnaires et bonzes ! Les femmes, elles, investissent la quasi-totalité de la sphère commerciale et donnent l’impression de faire tourner l’économie, du moins l’économie de proximité, le grand commerce, celui des échanges internationaux, des concessions d’entreprises étrangères, étant certainement tenu par la communauté chinoise.

 

Mais le Laos n’est plus hors des circuits économiques et marchands mondiaux et les évolutions économiques et sociales y sont sensibles et manifestement rapides.

 

 « Le grand marché ressemble à une fourmilière commerciale, avec ses propres réseaux internes. Cet organisme en expansion est désormais traversé par des influences capitalistes. Ainsi, un très long calicot publicitaire entoure le grand hall du marché aux légumes et poissons. Il vante en écriture laotienne les qualités d’une soupe lyophilisée fabriquée par une entreprise bien connue des ménagères européennes. Après l’arrivée des boissons américaines gazéifiées notoire, la production alimentaire industrielle de  masse cherche à imprégner les esprits dans ce haut lieu de la vente artisanale de nourriture de qualité écologiquement correcte » [2].

 

Les constructions nouvelles se multiplient, les véhicules à moteur envahissent les rues. Les règles du commerce capitaliste s’imposent.

 

Le tourisme international au Laos explose : 15 000 touristes étrangers en 1990, un demi-million en 2000 et peut-être deux millions en 2010 ? Bien que ces données chiffrées soient à modérer, en effet 80% des visiteurs sont originaires des cinq pays frontaliers (Birmanie, Chine, Vietnam, Cambodge et Thaïlande) pour des séjours de courte durée. Il n’en reste pas moins que la situation évolue rapidement entraînant des modifications importantes de la ville de Luang Prabang : constructions anarchiques, ouvertures de commerces, restaurants, bars et « Guest House » dans le centre historique chassant la population vers sa périphérie, assèchement de zones humides naturelles, modifications du paysage. En 2007, l’UNESCO a même tiré la sonnette d’alarme et agité le spectre d’un possible retrait de Luang Prabang de la liste des sites du Patrimoine mondial de l’Humanité, demandant au gouvernement lao de prendre les mesures nécessaires pour conserver les équilibres naturels, écologiques et sociaux qui font le charme de la ville.

 


[1] Jean Ajalbert. « Raffin Su Su ». 1911.

[2] Fabrice Mignot. « Histoires de femmes et décalages culturels au Laos ». 2006.

 

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