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Notes d'Itinérances
8 juin 2022

Parione - Entre Campo dei Fiori et Place Navone (10/21). La fontaine des fleuves.

Une composition étrange et audacieuse

 

 

La fontaine est une œuvre curieuse avec cet obélisque posé au centre, sur un amas évidé de rochers d’où surgissent un lion, un dauphin et un cheval marin, avec aux angles quatre statues colossales (photo). Mais, dans la composition de la fontaine, rien n’est laissé au hasard, chaque élément est un symbole qu’il faut déchiffrer. Les quatre statues colossales représentent les plus grands fleuves de chacun des continents : le Danube pour l’Europe (avec le blason pontifical car situé dans la chrétienté), le Gange pour l’Asie (avec un aviron pour signifier qu’il est navigable), le Nil pour l’Afrique (avec un palmier), le Rio de la Plata pour les Amériques (avec des pièces de monnaie qui symbolisent ses richesses). Le continent australien est absent car il n'avait pas encore été découvert. Le socle de l’obélisque est une falaise qui illustre le règne minéral sur lequel s´appuient les règnes végétal et animal, dont le dragon et le tatou sont des espèces intermédiaires. Au centre, l’obélisque est l’axe de la foi qui s’élance vers le ciel, dominé par une colombe qui représente le Saint-Esprit. Il symbolise le centre du catholicisme, Rome, qui rayonne dans les toutes les directions, les quatre continents et toute la création. Les colombes sculptées autour du monument et au sommet de l’obélisque aussi l’emblème de la famille Pamphili ! La famille Pamphili est suffisamment puissante, pour être au centre de Rome… et donc du monde !

 

« En son centre est érigée une fontaine qui symbolise les quatre parties du monde ; au cœur de cette fontaine se dresse un obélisque, hérité de l’Antiquité, qui symbolise l’Urbs. Rome est ainsi exposée comme le lieu syncrétique de l’unité où se croisent, de manière allégorique, quatre fleuves qui sont l’expression symbolique de la diversité du monde. La forme de la fontana dei Fiumi et sa mise en scène sur la place Navone révèlent la recherche de l’ordonnancement rigoureux d’un monde repérable et maîtrisé. Il s’agit assurément d’une vision géographique de la Terre dont Rome, « grand théâtre du monde » et « ville éternelle », serait métaphoriquement l’ombilic. » [1]

 

Contrairement à ce que voudrait une légende, liée à la concurrence que se sont livrés les deux plus grands architectes baroques romains, Le Bernin et Borromini, la statue du Nil ne se voile pas la face pour refuser de voir la façade de l’église Santa Agnese, œuvre de Borromini ! Pas plus que celle du Rio de La Plata ne tend le bras pour tenter de retenir sa façade qui semble tomber en avant ! Non, la fontaine est antérieure à la façade de Santa Agnese in Agone et, si le Nil se cache le visage dans le coude, c’est pour symboliser l’ignorance dans laquelle on était du lieu de sa source ! Je ne retiendrai pas non plus l’explication, pourtant séduisante, de Dominique Fernandez selon laquelle ces robustes personnages refusent les gelateria du glacier voisin afin de conserver la ligne, même si, manifestement, le Gange a « la poitrine gonflée de désir » et le Danube lève les paumes vers le ciel « pour invoquer une aide contre la tentation » [2] !

 

« C’est comme un manège qui tournerait sur soi. Le lion et le cheval ont la croupe dans deux alvéoles différentes, leurs têtes émergeant dans d’autres. Mieux, Le Bernin a joué entre des spirales et des obliques qui font qu’on ne distingue jamais les dieux en entier. On a les fesses de l’un et la figure de l’autre dans son champ de vision, jamais leur totale représentation, de sorte qu’on s’interroge toujours sur l’identité de l’un et de l’autre » [3].

 

Une année, il y avait des échafaudages sur la façade de Santa Agnese et sur la fontaine des fleuves supprimant tout motif de jalousie entre les deux architectes : ils étaient traités sur un pied d’égalité. Peut-être qu’à l’abri des palissades, le Rio de la Plata baissait-il les bras car il était assuré, du moins pour le temps des travaux, que la façade de Sainte-Agnès ne viendrait pas l’écraser, et le Nil soulevait-il son voile pour jeter un regard curieux autour de lui ?

 


[1] Laurent Grison. « Mise en abîme et orbialisation : la place Navone de Rome ». Mappemonde 59. 2000.

[2] Dominique Fernandez. « Le voyage d’Italie ». 1997.

[3] Pierre Pelou. « Impromptus italiens ». 2013.

 

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