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Notes d'Itinérances
13 avril 2016

Les statues parlantes de Rome (7/10). « Facchino » (via Lata), un joyeux luron mais pas très bavard ?

Un buste de porteur d’eau décorant une fontaine - Le petit nouveau de la bande - Modeste et peu visible !

 

La sixième statue parlante fut celle que j’eu le plus de mal à repérer et pourtant elle est celle qui voit certainement passer le plus de monde à proximité ! Elle est aujourd’hui située via Lata, sur le côté gauche du Palazzo De Carolis (1728) lequel abritait l’ambassade de France au XIXe siècle et aujourd’hui la Banque de Rome. Elle est située à quelques mètres du trottoir du Corso où défilent les Romains qui font leurs courses et démarches, et les touristes qui se rendent ou reviennent du monstrueux Vittoriano. La statue décore une petite fontaine et représente un porteur d’eau avec son petit tonneau, un « aquarolo », un vendeur d’eau lequel allait dans les quartiers de la ville distribuer l’eau des fontaines publiques encore trop rares. 

 

Pasquino a deux concurrents,
l'un le Facchino de la Via Lata,
l'autre le Marforio sur le Capitole.
Pasquino est destiné aux nobles,
Marforio aux citoyens,
le Porteur à la plèbe [1]

 

La tradition voudrait que la statue ait été réalisée à la fin du XVIe par le grand Michel-Ange lui-même. Il est vrai qu’on ne prête qu’aux riches. De fait, elle aurait été exécutée en 1580 par Jacopo del Conte pour la corporation des porteurs d'eau. Mais c’est également curieux car Jacopo del Conte est plutôt connu comme étant un peintre maniériste. C’est la statue parlante la plus récente et la seule qui ne soit pas antique. Autrefois placée en façade, via del Corso, elle a été déplacée via Lata en 1872, peut-être parce qu’elle gênait la circulation des carrosses et voitures à cheval. Deux autres traditions se rapportent à la statue, la première qui voit dans ce buste un portrait de Martin Luther, vraisemblablement à cause de son curieux chapeau. Martin Luther dans le centre historique et mondial du catholicisme, ce n’est pas banal ! Gageons qu’il s’agit plutôt d’une remarque frondeuse et irrévérencieuse du peuple romain. Autre interprétation, de la même veine, la statue représenterait Abbondio Rizzio un célèbre porteur d’eau pour sa consommation… de vin ! En 1859, une inscription latine aurait été attachée à la fontaine et aurait proclamé : « Pour Abbondio Rizio, porteur sur le trottoir public, vaillant aux charges légères. Portant du poids quand il voulait, a vécu comme il a pu ; mais un jour, portant un baril de vin sur son épaule et un autre dans le corps, contre sa volonté il mourut ». Je n’ai trouvé aucune pasquinade susceptible d’être attribuée à Facchino. Il n’était pas très bavard ?

 

Dans les articles sur les statues parlantes, on trouve parfois la référence à une septième « statue », le Scanderberg. Cette « statue » représenterait le prince albanais Georges Castriota Scanderberg (que les Romains traduisent par « Scannabecchi ») sur la façade de son petit palais dans la ruelle du même nom, près de via della Dateria, au pied du Quirinal. Mais, sur la façade du palais, je n’y ai vu qu’une peinture représentant le prince, de profil, au-dessus du tympan de la porte. 

 

C’est un peu la débandade dans le groupe des statues parlantes de Rome ! Madama Lucrezia, après avoir fait la fête à chaque printemps et connu la gloire, se morfond aujourd’hui dans un recoin peu fréquenté de la piazza Venezia ; gageons qu’elle doit aussi servir d’urinoir pour les touristes aux nuits bien arrosées quand l’autocar de Carabinieri ne stationne plus devant. L’abate Luigi, outre qu’il perd régulièrement la tête, a été longuement prisonnier d’échafaudages qui ne permettaient pas de l’approcher. Marforio est bien protégé dans son musée et ne peut plus être approché que de jour, mais il est alors sous la surveillance aiguisée de gardiens ; en gagnant en respectabilité avec son entrée aux musées capitolins, il a perdu en liberté. Le Babuino est désormais interdit de graffitis avec un traitement spécial du mur auquel il est adossé ; devant l'église de Sant'Anastasio dei Greci, c’est à peine s’il se remarque ou c’est seulement pour se demander « Qu’est-ce-que c’est que cette horreur ! ». Facchino se fait tout petit en contemplant le défilé ininterrompu de touristes qui est à la recherche du colossal Vittoriano, levant la tête et oubliant de baisser les yeux sur lui.

 

Cela n’ironise plus beaucoup dans le groupe des statues parlantes ! Serait-ce lié au fait que toutes ces statues ont connu de nombreux déplacements et que, vu leur grand âge, elles souhaitent désormais connaître le repos ? Ou les Romains auraient-il perdu leur gouaille contre les exactions des puissants ?

 


[1] Theodor Sprenger. « Roma nova ». 1660.

 

Liste des promenades dans Rome par thèmes et liste des articles sur les statues parlantes de Rome

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