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Notes d'Itinérances
16 mai 2016

Luanda, la perle de l'Afrique (9/26). Les moines des Carmes et Kianda l’esprit des eaux.

Notre-Dame du Mont-Carmel – Alimentation en eau de la vieille ville et histoire romanesque contemporaine.

 

 

En descendant la rua da Missao, on tourne à gauche vers la rue Karl Marx (bien sûr, à gauche !), pour rejoindre l’église de Nossa Senhora do Carmo, Notre-Dame des Carmes ou Notre-Dame du Mont-Carmel. Fondée en 1660 sur un terrain donné par le gouverneur de l’Angola, elle a été consacrée en 1689. Elle fut d’abord l’église du Couvent dos Carmelitos Descalçados (des Carmes déchaussés [1]) fondé en 1659.

 

Son architecture est des plus simples, une nef unique, rectangulaire. A l’intérieur, elle présente une magnifique voûte de bois à la forme dite « plafond-pétrin » car elle reproduit, à l’envers, la forme des pétrins dans lesquels les boulangers pétrissaient la pate : deux pans coupés selon la pente du toit sur les côtés et un plafond médian plat. L’ensemble est peint, sur fond blanc, avec des guirlandes de fleurs sur les côtés et trois médaillons sur la partie médiane décrivant le triomphe d’Elie, le père spirituel de l’Ordre. Le mur du fond est couvert d’azulejos, bleus et blancs typiques du XVIIIe siècle.

 

Par suite de l’instauration d’un régime parlementaire au Portugal et de la crise financière de l’Etat au début du XIXe siècle , les financements des missions catholiques sont réduits, voire supprimés et, en 1828, la congrégation des Carmes de Luanda est ruinée, la majeure partie du couvent détruite. En 1834, la congrégation des Carmes est dissoute avec le départ du dernier moine. En 1855, la propriété de l’église est transférée aux Franciscains. Elle est aujourd’hui gérée par des Dominicains.

 

Le couvent de Notre-Dame du Mont-Carmel nous renvoie à la place Kinaxixi et sa particularité : l’existence d’une vaste zone marécageuse. En effet, afin de recueillir les eaux de pluie pour alimenter en eau la ville basse, les Carmes avaient fait creuser un étang sur une plateforme dominante (l’actuelle place Kinaxixi), peut-être elle-même alimentée naturellement en eau de ruissellement par la pente du plateau. En 1926, l’endroit fut occupé et remodelé pour créer une grande place, le largo Leonardo Cerveira, sur laquelle sera posé le monument aux combattants de la première guerre mondiale. Puis, dans les années 60, fut érigé l’ensemble de grands bâtiments qui entoure la place, notamment l’immeuble de la « Cuca », du nom d’une marque de bière qui a posé son enseigne sur le toit, et dont les fondations ont été plantées dans une zone humide. Enfin, au pied de « l’immeuble inachevé » subsiste une mare d’eau croupie laquelle pourrait tout aussi bien s’expliquer par le fait que ses habitants déversent leurs eaux usées par les fenêtres ?

 

« Cela avait d’abord été une flaque alimentée, eût-on dit, par un tuyau d’égout débouchant au milieu de la ferraille des fondations à côté de l’immeuble. Des têtards étaient apparus, puis des grenouilles. La flaque s’était peu à peu élargie, rendue verdâtre par les plantes qui en émergeaient. Des poissons à leur tour avaient fait leur apparition. Et les enfants y étaient venu nager » [2].

 

Ces éléments servent de base au roman de Pepetela, « L’esprit des eaux ». Arthur Pestana, dit « Pepetela », s'est engagé dans la guerre d'indépendance au sein du MPLA et, en 1975, il fut même nommé vice-ministre de l'Éducation.

 

Dans son roman, Kianda, le génie des eaux, qui avait élu domicile dans cet étang, aurait été dérangé par les aménagements et les constructions successifs de la place Kinaxixi. Il aurait alors fait s’effondrer les grands immeubles de la place, en douceur, en ménageant leurs habitants, afin de pouvoir rejoindre la mer par la rua da Missao transformée en torrent. Derrière la fable « africaine », il s’agit d’une charge satyrique et acerbe contre les évolutions de la politique gouvernementale qui renie ses valeurs humanistes et sociales au profit des classes aisées, et les anciens apparatchiks marxistes passés de la lutte des classes à l’enrichissement personnel en trafiquant dans tous les domaines, notamment celui du commerce des armes.

 


[1] Les Carmes déchaussés renouvellent dans l’Ordre le sens de la prière et de la pauvreté à travers l'humilité et une vie cachée selon les recommandations de sainte Thérèse d’Avila et saint Jean de la Croix.

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