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Notes d'Itinérances
29 juillet 2023

Pinciano - Le parc Borghese (8/12). Incompréhensions culturelles.

A propos de la statue équestre de Louis XIV par Le Bernin

 

 

En 1665, au cours de son séjour à la cour de Louis XIV, il aurait été convenu que le « Cavalier Le Bernin » entreprendrait une statue équestre du Roi. Colbert commande donc un projet au Bernin dans l’objectif d’animer le grand vide entre les palais du Louvre et des Tuileries : une statue équestre à la gloire du roi. Les pourparlers traînent et l’œuvre est finalement réalisée par les pensionnaires de l’Académie de France à Rome, entre 1671 et 1673, sous la direction du Bernin qui modela lui-même le modèle réduit de la sculpture. La statue est achevée en 1677, mais elle est toujours à Rome à la mort du Bernin en 1680 ! Finalement, en juillet 1684, la statue équestre quitte Rome pour Paris où il est prévu de l’installer en mars 1685. 

 

Comme on peut le voir sur la maquette de la statue déposée à la galerie Borghese (photo), Le Bernin a représenté le roi et sa monture gravissant la montagne de la Vertu comme Hercule avant lui, manière de faire comprendre que Louis XIV en serait le digne descendant. Le roi est un beau jeune homme, svelte et vigoureux, domptant un cheval fougueux. La statue est également organisée selon une spirale avec le mouvement du cheval qui se cabre vers la droite, et le bras du Roi s’écartant à droite en tenant dans la main son sceptre de commandement. Le Bernin développe ainsi une vision dynamique de la puissance royale. Une première modification avait toutefois déjà été opérée par rapport à la maquette : les rochers de la statue avaient été remplacés par des étendards ennemis piétinés par le cheval, soulignant le caractère conquérant du roi et ses victoires européennes.

 

L’œuvre est placée, en août 1685, à l’intérieur de l’orangerie du château de Versailles où le roi la découvre en novembre à son retour de Fontainebleau, dix ans après sa commande. Mais patatras : 

 

« Mercredi 14 à Versailles (…) ensuite il se promena dans l’Orangerie qu’il trouva d’une magnificence admirable ; il vit la statue équestre du chevalier Bernin qu’on y a placée et trouva que l’homme et le cheval étoient si mal faits qu’il résolu non-seulement de l’ôter de là, mais même de la faire briser » [1].

 

En fait, dès octobre, il y avait déjà de l’eau dans le gaz car Louvois avait demandé à François Girardon de retravailler la sculpture ! Finalement, plutôt que de la briser, la statue fut maquillée en statue du général Marcus Curtius lequel, pour sauver Rome, se serait jeté dans un gouffre qui se serait ouvert sur le Forum, parce que les Romains auraient oublié de rendre un culte à Pluton, dieu des enfers. Les étendards ennemis devinrent des flammes caressant le ventre du cheval, signifiant ainsi que le général se jette dans un gouffre de feu. La tête du cavalier fut resculptée et recouverte d’un casque à plumes ! Pour être bien sûr que la statue soit hors de la vue du roi, elle fut exilée au fin fond de la Pièce d'eau des Suisses [2]. A quelque chose malheur est bon car cet exil la sauva des destructions de la Révolution, toutes les statues équestres de Louis XIV ayant été détruites. Victime de vandalisme en 1980, elle a été restaurée et est retournée à l’orangerie d’où elle avait été chassée par Louis XIV ! 

 

Pourtant, on peut trouver cette statue assez remarquable. Certes, Louis XIV n’est pas « en majesté » contrairement à ses autres représentations assez statiques de Montpellier ou Versailles, Place des Victoires, où le Roi manifeste surtout du sérieux, de la dignité et de la solennité ! Mais quelle fougue, quel dynamisme ! Ce Louis XIV là marque au contraire sa volonté, sa détermination, son audace ! C’est le mouvement qui prime sur la raison… ce qui pourrait expliquer l’incompréhension assez générale des Français vis-à-vis du baroque ! Le Bernin aura finalement sa revanche grâce à un architecte sino-américain. Sur proposition de Io Ming Pei, lors du réaménagement des jardins des Tuileries, une copie en bronze de Marcus Curtius a été érigée, à l’emplacement qui avait été prévu par Le Bernin pour son projet original ! Un architecte américano-chinois et la République auront finalement le dernier mot sur le roi-soleil, mais il y aura fallu du temps : trois siècles !

 


[1] Journal de Philippe de Courcillon, marquis de Dangeau.

[2] Laurent Dandrieu. « Le roi et l'architecte Louis XIV - Le Bernin et la fabrique de la gloire ». 2015

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