Rome, étrange et curieuse (21/45). Rione Pigna IX (2) – Le poussin de la Minerve – Piazza Minerva.
Un très curieux monument - Issu de l'imagination d'un romancier
Sur la piazza Minerva est dressé un des monuments les plus curieux de Rome : un petit éléphant de marbre portant sur son dos un obélisque (photo) ! Bien qu’étrange et culminant à une douzaine de mètres, l’ensemble a longtemps passé inaperçu au milieu des automobiles qui utilisaient la place comme parking. De nouvelles règles de la circulation ont finalement libéré le petit éléphant qui se retrouve isolé. C’est un des plus petits obélisques de Rome : un peu plus de cinq mètres. Il fut découvert en 1665 par les moines dominicains dans les jardins de l'église de Santa Maria Sopra Minerva bâtie à l'emplacement d'un temple dédié à Minerve. C’est un monolithe de granit rouge érigé dans la ville de Saïs par le pharaon Apriès (VIe siècle avant JC), puis envoyé à Rome pour y être dressé sur le Champ de Mars devant les temples d’Isis et Sérapis. En 1667 le pape Alexandre VII Chigi (1655 / 1667) décide de placer l'obélisque devant l’église et confie le projet à l'architecte dominicain, le père Domenico Paglia. Celui-ci imagine un socle orné de six collines (lesquelles composent les armoiries de la famille Chigi) avec, à chaque angle, un chien, symbole des Dominicains (le terme Dominicains - dominicanes en latin, peut s’entendre domini canes, soit « les chiens du Seigneur » !).
Alexandre VII ne trouvant pas le projet à son goût fait appel à son artiste préféré, Le Bernin. L'artiste s'inspire alors d’un best-seller, tant en Italie qu’en France, « Hypnerotomachia Poliphili », attribué à l’architecte Francesco Colonna. Le héros, Poliphile, rêve de celle qu'il aime, Polia, qui est indifférente à ses avances. Il effectue en songe un voyage initiatique qui le conduit à Cythère en traversant un pays agrémenté de monuments antiques abondamment décrits. Il croise notamment un « grand éléphant de pierre noire, étincelée de paillettes d’or et d’argent, en manière de poudre semée par-dessus » portant un obélisque sur une couverture de cuir liée par deux sangles sous le ventre. L’obélisque est « de pierre macédonienne verte (…) en la sommité estoit fichée une boule de matière claire et transparente » [1]. C’est un de ses élève, Ercole Ferrata, qui réalise la sculpture inspirée de la gravure qui orne le livre. Le père Paglia soutenant que le vide entre les pattes de l'éléphant ne permettrait pas de supporter le poids de l’obélisque, Le Bernin dut se résoudre à ne pas évider le bloc de marbre, le tout étant alors masqué par le tapis de selle ouvragé qui pend jusqu’au socle.
« Bernin, pourtant, se vengea : il tourna la croupe de l’animal en direction du couvent des Dominicains. L’éléphant, la queue balancée sur le côté, enverrait d’endiablées flatulences au père Puglia qui aurait ad vitam aeternam ce derrière sous le nez » [2].
La sculpture présente quelques différences avec la description qui est faite dans le livre. La taille, plus petite, puisque Colonna imagine « qu’on pouvoit aysement monter et aller à travers cette machine creuse ». La couleur, puisque l’éléphant est de marbre blanc et l’obélisque rosé. Enfin, l’obélisque n’est pas surmonté d’une boule de matière claire et transparente mais bien évidemment d’une croix ! L'inscription du socle célèbre la puissance de l’intelligence (figurée par l’éléphant, aux armes du pape !) capable de soutenir le poids du savoir (figuré par l'obélisque).
« Celui qui voit les inscriptions de la sage Égypte gravées sur l'obélisque au-dessus de l'éléphant comprendra que c'est vraiment un esprit robuste qui soutient une solide sagesse ».
Les Romains ont baptisé l'éléphant de la Piazza della Minerva, « Il Pulcino della Minerva » (le poussin de la Minerve). Étrange. Comment d’un éléphant est-on passé à un poussin ? Certes l’éléphant a une bonne bouille et, s’il est plutôt rondouillard, ne se confond pas néanmoins avec un poussin duveteux. Comme notre éléphant était plutôt replet, les Romains auraient commencé par l’appeler « Porcino della Minerva » mais, en romanesco « pulcino », se prononcerait « purcino ». Il y aurait eu ainsi une dérive des éléphantidés vers les porcins puis les gallinacés !
[1] Francesco Colonna. « Discours du songe de Poliphile, Combat d'amour en songe ». 1467. Publié à Venise en 1499, ce livre fut un des premiers ouvrages imprimés en Italie. Traduction en français en 1600.
[2] Marco Lodoli. « Nouvelles îles – Guide vagabond de Rome ». 2014.
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