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Notes d'Itinérances
20 juin 2018

Cameroun - Années 80 (26/34). Cameroun – Scènes de la vie.

Qu’est-ce que le monde « moderne » ?

 

 

Une fois encore, nous sommes invités par un responsable d’établissement lequel nous a présenté son épouse, une jolie jeune femme. La salle de séjour est fort agréablement arrangée, meubles aux lignes « modernes », vernis polyester, profonds canapés et fauteuils, et télévision allumée. Le dîner est composé d’un buffet dressé sur une large table couverte d’une nappe d’une blancheur immaculée ; il comprend salade de riz avec tomates et œufs durs, poulet frit, ndolé, bananes plantains frites ou bouillies et des « bâtons » de manioc, ou miondo, très prisés dans le Sud. Le repas est apprécié et, bien évidemment, nous en félicitons la jeune maîtresse de maison. Erreur ! La maîtresse de maison, c‘est la première femme laquelle n’a pas assisté au repas, s’activant dans la cuisine. A la fin du repas, elle nous est présentée par son mari et, comprenant notre méprise, nous nous empressons de la remercier et de la féliciter. A aucun moment, il nous est venu à l’idée que le directeur de l’établissement pouvait avoir tout à fait légalement deux épouses ! Autre pays, autres mœurs.

 

Le journal local fait grand cas de l’arrestation d’un paysan de la région qui aurait mangé son voisin ! Les journalistes de la presse écrite sont manifestement gênés par cette affaire, comme s’ils ne voulaient pas voir resurgir un certain nombre de fantasmes que les colonisateurs avaient largement répandus sur l’anthropophagie des Africains. Toutefois, si l’on en croit cet auteur du début du siècle, il n’y a vraiment rien à craindre : 

 

« Il ne faut pas s’imaginer que les cannibales sont des gens toujours aux aguets, prêts à manger quiconque se trouve sur leur chemin. Pas plus que vous qui voyez gambader des moutons, ne songez à vous précipiter pour en couper une côtelette, eux ne pensent pas à vous mordre aux cuisses » [1]

 

Ce malheureux paysan n’avait mangé qu’un seul homme, et encore cela ne semblait être que la conséquence d’une querelle entre voisins. Peut-être ce pauvre homme voulait-il seulement s’approprier les qualités du défunt, ce qui est une pratique sociale ancienne, la manducation des corps. La manducation du corps d'un ennemi mort au combat ou exécuté, ainsi que celle d'un parent défunt, permet simplement d'acquérir les forces vitales du trépassé. Ou, plus simplement, ce paysan voulait-il se débarrasser du cadavre sans laisser de traces ? Est-ce vraiment pire que de découper son mari ou sa femme et en mettre les morceaux au congélateur ? Ou couler le cadavre dans une chape de béton ? C’est finalement beaucoup plus écologique comme solution.

 

Un très fort orage tropical se déclare pendant un vol en soirée de Yaoundé à Douala, secouant fortement l’avion qui fait des bonds impressionnants. Dehors la visibilité est nulle ; dans l’habitacle également car le pilote en a éteint les lumières. Nous devons être proches de Douala. A la lumière des éclairs nous devinons la ville. L’avion continue à sauter et le pilote doit renoncer à atterrir à cause des sautes de vent. Il retourne sur Yaoundé où nous atterrissons sans encombre à minuit. L’aéroport est désormais fermé, le responsable de l’approvisionnement en carburant est absent et il est impossible de faire le plein pour retourner sur Douala où l’orage est maintenant terminé. Le pilote nous fait descendre de l’appareil et nous annonce que nous allons devoir coucher à Yaoundé. L’ensemble du personnel de l’aéroport étant parti, c’est le pilote qui recherche les hôtels et les cars pour sa centaine de passagers ; il s’est enfermé dans un bureau de l’aéroport et téléphone aux hôtels pour réserver des chambres et des moyens de transport ! Seul maître à bord après Dieu, il est responsable de son petit monde comme les capitaines de bateaux. 

 

« L’on est aux mains du commandant, du commissaire, du maître d’hôtel. Avec le prix du passage, on s’est remis en eux de tout soin temporel » [2].

 

Les hommes d’affaires camerounais n’en reviennent pas. Les palabres vont bon train autour de la porte du bureau où officie le commandant de bord : « Voilà, ce qui fait de nous un pays sous-développé... », « Fermer un aéroport, est-ce qu’Orly est fermé ainsi ? ». Et puis, l’extraordinaire se produit, le responsable du carburant apparait, fait remplir les réservoirs de l’avion pour le retour sur Douala ! Ce miracle-là est bien réel et je suis sûr qu’il n’aurait pas eu lieu à Orly ou à Roissy !

 


[1] E.Torday. « Causeries congolaises ». 1925.

[2] Charles Maurras. « Le voyage d’Athènes ». 1901.

 

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