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Notes d'Itinérances
29 mai 2019

Chronique burkinabée - 1990 / 2005 (15/32). Le faux-départ à la guerre du Moro-Naba.

Une cérémonie rituelle chaque vendredi – Le pouvoir du soleil en Afrique

 

 

Depuis le créateur de la dynastie Mossi, Ouédraogo, au XVe siècle, se répète tous les vendredi matin, vers 7h00, la cérémonie du départ à la guerre du Moro-Naba [1]. Ce rite rappelle l’histoire du prince fondateur : sa femme étant allée rendre visite à ses parents, Ouédraogo lui avait demandé d’être de retour pour le jeudi soir. Par suite de son absence au terme fixé, le Moro-Naba fit sceller son cheval, le vendredi matin, pour aller la chercher. La guerre se préparant, ses ministres et son peuple le supplièrent alors de ne pas partir. Mais comme dans tous les grands mythes fondateurs, il existe plusieurs versions. Autre « explication » : le frère du premier Moro-Naba ayant enlevé sa femme et ses fétiches et étant parti se réfugier au Yatenga, Ouédraogo aurait décidé de les poursuivre. Mais son entourage l’en aurait dissuadé pour éviter la guerre avec le Yatenga [2].

 

Au Sud du palais, s’étend un grand espace découvert, à peu près rectangulaire, entouré de grands arbres. Une discrète porte dans le mur d’enceinte permet d’accéder au palais. Peu après le lever du soleil, une agitation peu ordinaire se manifeste, des personnages, habillés de magnifiques boubous colorés, discutent dans un coin de la place : les ministres et chefs guerriers de l’empereur. D’autres se joignent à eux qui arrivent simplement et démocratiquement en mobylette, en vélo, ou en voiture, mais le plus souvent en pick-up 404. A l’autre bout de la place, devant la petite porte du palais, un cheval richement caparaçonné est tenu par la bride. Les passants s’arrêtent quelques instants et tout le monde attend en discutant, sans impatience. Puis il se fait un mouvement parmi les notables, ils se regroupent et s’avancent au milieu de la place. Nouvelle attente, du cheval près de la petite porte du mur d’enceinte, des notables au milieu de la place, des passants et de quelques très rares touristes, au fond, sous les arbres. Plusieurs femmes sortent alors du palais, les épouses du Moro-Naba, puis l’empereur des Mossis lui-même, vêtu de rouge. Il rentre à nouveau au palais et ressort habillé de blanc et va pour enfourcher son cheval, mais son Premier Ministre a quitté le groupe des chefs et se dirige vers lui pour lui demander de renoncer à partir. Ils palabrent un moment, le Moro-Naba fait demi-tour et rentre au palais suivi de ses femmes. Et pendant qu’un palefrenier ramène le cheval à l’écurie, les ministres et les chefs guerriers du Moro-Naba reprennent qui leur vélo, qui leur mobylette, qui leur pick-up 404 pour aller travailler.

 

Après avoir assisté à la cérémonie du départ à la guerre, ne trouvant pas de taxi pour me ramener à l’hôtel, je décide de rentrer à pied soit une quarantaine de minutes de marche environ. Cela permet aussi de passer devant la cathédrale de Ouagadougou, énorme bâtiment néogothique de briques rouges de banco. Mais le projet étant certainement trop ambitieux et trop coûteux, les deux tours de la façade ne furent jamais terminées, dépassant à peine la hauteur du fronton de la cathédrale pour l’une des deux. Faute d’étages supplémentaires et de flèche finale, les deux tours sont méchamment couvertes de toits plats en tuiles donnant à l’édifice un air pataud.

 

De retour à l’hôtel, je me rends à l’université, toujours à pied, car elle est située non loin de là. En sortant de mon rendez-vous, n’ayant rencontré ni grand chemin de fer, ni la mer et ses coquillages, ni la maison qui fuyait devant l’hiver et pas même un taxi, « Alors on est revenu à pied... » [3]. A pied tout autour de Ouagadougou, tout autour du palais présidentiel et du palais du peuple, à pied sous le soleil et les frais ombrages des avenues de Ouagadougou. Mais l’après-midi, au cours d’une réunion, je me retrouve par terre à la suite d’un évanouissement dû à une bonne insolation ! Moralité : en Afrique, ne faites pas le fanfaron, mettez un chapeau de soleil ou voyagez en taxis !

 

« Il n’est pas recommandé, en effet, de débarquer en Afrique crachant le feu, le diable au corps et des fourmis dans les jambes. Ce pays n’aime pas que chez lui on fasse le malin. Autrement, il vous envoie tout de suite son gendarme. C’est le soleil » [4].

 


[1] Voir la description d’Albert Londres de 1927 in « Terre d’ébène » 1929.

[2] Lire également YambaTiendrebeogo. « Histoire traditionnelle des Mossi de Ouagadougou ». Journal des Africanistes, tome 33, fascicule 1. 1963.

[3] Jacques Prévert. « En sortant de l'école ». 1963.

[4] Albert Londres. « Terre d’ébène ». 1929.

 

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