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Notes d'Itinérances
28 juin 2019

Chronique burkinabée - 1990 / 2005 (30/32). Missions à l’étranger.

Ce ne sont pas des parties de plaisir – Etre à deux est plus agréable

 

 

Faire seul une mission de travail dans les pays en développement n’est pas toujours facile. Ces pays présentent généralement quelques lacunes matérielles et organisationnelles. C’est ainsi que l’on peut se heurter à l’absence de moyens de transport publics ou de taxis (Luanda, Phnom-Penh), à la perte de sa valise sans obtenir d’information précise sur l’endroit où elle peut se trouver (Douala, Luanda, Ouagadougou), à des  hébergements médiocres (Abomey, Huambo, Taez) voire très sommaires (Koupéla, Ebolowa), à des accueils spartiates chez des coopérants (Lubango, Bambey). Sans même parler des vols retardés (fréquents), hypothétiques (Lubango), détournés (Yaoundé) et des correspondances ratées (Paris !) ; il est même parfois impossible de monter dans l’avion (N’Djamena) [1]. Par chance, je n’ai jamais eu à tester les équipements hospitaliers. Bref, c’est toujours plus agréable de faire une mission avec une autre personne ! A deux, il est plus facile de rechercher des solutions et de supporter les temps d’attente. Au Burkina-Faso, en prenant quelques précautions élémentaires, il n’y a certes pas grand-chose à craindre [2] sinon de se faire taxer de 500 francs CFA par un chauffeur de taxi sur le prix de sa course, ce qui n’est pas bien grave, ou pire, d’attendre sa valise trois jours. Certes, c’est toujours plus compliqué de se déplacer, de téléphoner, de remplir des formalités, dans un pays que l’on ne connaît pas ou peu, mais c’est aussi naturellement ce qui fait l’attrait du voyage, la petite pointe d’émotion, d’habitudes bousculées.

 

« S’en aller, c’est gagner son procès contre l’habitude » [3].

 

Mais, le problème quand on est deux en mission, c’est quand l’autre personne est beaucoup plus anxieuse que vous et qu’elle craigne que l’avion ne se crashe ou que la voiture ait un accident. Elle dort mal, en pensant à toutes les calamités susceptibles de se produire dans ce pays qu’elle ne connaît pas. Or la liste des catastrophes naturelles est déjà étendue, la liste s’allonge encore si l’on y ajoute toutes les catastrophes qui peuvent être la conséquence de l’activité humaine ! Ayant peu dormi, à coup de calmants, elle débarque pour le petit-déjeuner en marchant au radar avec la mine défaite. La situation est supportable quand la personne double son angoisse par une forte dose d’ironie sur elle-même, ce qui lui permet de conserver une certaine distance avec sa peur ; c’est aussi l’occasion d’un « jeu » dans lequel, se moquant d’elle-même, elle cherche à combattre ses craintes. Entre moquerie et ironie on aboutit généralement à dédramatiser la situation car il nous faut encore travailler, et sérieusement !

 

D’autres cas sont plus difficiles. Celui qui, anxieux, n’extériorise pas son angoisse et finit par se rendre malade en assurant qu’il aurait attrapé une maladie tropicale quelconque, le tout démontré méthodiquement après avoir effectué une analyse clinique approfondie des manifestations de sa maladie : fièvre, courbatures, fatigue ! En conséquence, il n’arrive plus à s’endormir, n’a pas d’appétit, a mal de tête et ne pense qu’à s’allonger. L’un de ces cas difficiles m’accompagne à regret au restaurant « L’Eau Vive » de Bobo où, dans un site très agréable, jardin, musique classique, nappes blanches sur les tables, des jeunes novices vous accueillent et vous présentent la carte à une page sur laquelle est décrite leur ordre religieux et ses objectifs, comprenant notamment ses mots de leur créateur : 

 

« J’ai toujours été attiré par les milieux paganisés. J’ai pensé qu’il fallait les évangéliser avec des jeunes filles vierges » [4] !

 

Bien qu’il n’ait pas faim et se sente même barbouillé, ce collègue anxieux se décide à prendre quelque chose de léger, une brochette de capitaine. C’est simple, c’est sain, ça ne peut pas faire de mal. Non, il hésite, peut-être ferait-il mieux de prendre des spaghettis à la bolognaise ? Finalement, il commande la brochette de capitaine, mais sans sauce, ou plutôt non, avec sauce, mais dans un ravier, à part. La serveuse à peine partie, il se ravise, non ce serait mieux des spaghettis, il se lève pour modifier la commande, puis change d’avis et se rassied. Il change une nouvelle fois d'avis et mange son capitaine avec la sauce et commande des fraises à la crème pour le dessert ! Bon, il va mieux, on va peut-être arriver à faire ce pour quoi nous sommes ici. Jusqu’à la prochaine crise d’angoisse qui ne saurait tarder.

 


[1] Aux alentours des années 2000. Si cela s’est amélioré au Cambodge ou en Angola, ce n’est pas le cas au Yémen ou dans le sahel (2018).

[2] Il convient désormais d’être prudent et de suivre les recommandations des services des ambassades (2018).

[3] Paul Morand. « Le voyage ». 1964.

[4] Cela raisonne désormais très mal après la mise en cause des fondateurs de la communauté pour abus sexuels et les différents scandales traversés par l’église catholique (2023).

 

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