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Notes d'Itinérances
27 août 2022

Chroniques tunisiennes 1975 / 2023 (27/69). Être à l’heure Ben Ali.

Bourguiba envoyé en banlieue – Un réveille-matin pour mettre les Tunisiens au pas

 

Tunisie Tunis Avenue Bourguiba Horloge 1

 « Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira 
Nous tisserons le linceul du vieux monde

Et l'on entend déjà la révolte qui gronde » [1]

La statue équestre d’Habib Bourguiba [2] qui dominait le croisement des deux plus grandes et prestigieuses avenues de Tunis, les avenues Habib Bourguiba et Mohammed V, est désormais remplacée par une horrible horloge, à quatre faces rectangulaires. Une horloge étrange où les chiffres sont absents à l’exclusion du 7 situé en lieu et place du 6 ! Celle-ci est en effet dédiée à la gloire du pronunciamiento réalisé par Zine el-Abidine Ben Ali [3], ancien Premier Ministre, devenu Président de la République le 7 novembre 1987 en destituant Habib Bourguiba, leader de l’Indépendance tunisienne.

Ce 7 novembre 1987, le Grand Vizir finit donc par devenir Calife à la place du Calife ce dont chacun sait qu’il en rêvait depuis fort longtemps. Avec l’appui des janissaires, pour une fois disciplinés, ce fut un jeu d’enfant pour le Grand Vizir d’écarter le vieux Calife et, magnanime, plutôt que de lui faire passer une cordelette de cuir autour du cou, il le mit en résidence surveillée. Le vieux Calife, pourtant entré triomphalement dans sa bonne ville de Tunis après avoir bouté les Roumis hors du pays, n’était vraiment plus présentable. Outre qu’il se murmurait qu’il était désormais gâteux, il avait la fâcheuse manie d’abandonner brutalement les réformes réclamées par les organisations internationales si la révolte faisait trembler le bazar. Entre le prix du pain et l’ouverture de la Tunisie à l’international il fallait choisir. En contrecoup, la statue équestre de Bourguiba a été déplacée et érigée sur un autre rond-point, mais loin, très loin, en banlieue, à La Goulette, devant la porte de l’enceinte de la vieille forteresse, dans un endroit où la circulation est beaucoup plus fluide !

Le remplacement d’une statue équestre par une horloge est tout un symbole ! Il s’agit d’effacer le souvenir du vieux Calife, leader de l’Indépendance tunisienne, lequel ne peut faire que de l’ombre à son ex-Grand Vizir qui n’a pas les mêmes états de service. Ils sont désormais finis les temps héroïques, magnifiés, d’un Habib Bourguiba entrant à cheval en vainqueur dans Tunis. Maintenant il faut être à l’heure ! L’ère Ben Ali, c’est celle du développement au pas de charge dans le capitalisme mondialisé, de la production de masse à bas coût, de la bourgeoisie nationale qui impose ses règles et ses choix au peuple. C’est désormais « l’heure » Ben Ali ! C’est à des petits riens de ce tonneau-là que l’on voit que la Tunisie est entrée dans une nouvelle phase de son histoire. Les Tunisois ne s’y sont pas trompé qui ont surnommé la nouvelle horloge « Le réveille-matin » ! Et le réveil est rude.

Le souvenir du vieux leader Habib Bourguiba s’estompe. Places, rues et monuments changent petit à petit de dénomination, non pas encore pour s’appeler Ben Ali mais, première étape : « 7 novembre 1987 ». Nul doute que le général-dictateur y pense, mais c’est certainement prévu pour plus tard, quand le peuple infiniment reconnaissant vantera ses immenses mérites [4]. Sur l’avenue qui, exceptionnellement s’appelle encore Habib Bourguiba, c’est à six heures du soir le bruit infernal des piaillements des étourneaux dans les ficus. Aux carrefours, les fliquettes qui autrefois devaient toujours être accompagnées par un policier « homme » pour éviter les agressions, se débrouillent aujourd’hui très bien toutes seules et roulent du sifflet avec la plus extrême énergie et la plus grande autorité (autant que faire se peut vis à vis de piétons et d’automobilistes assez indisciplinés), ajoutant leurs sifflements dans l’ensemble des piaillements des moineaux.


[1] Aristide Bruant. « Le chant des canuts ». 1894.

[2] Habib Ben Ali Bourguiba, premier président de la République tunisienne de 1957 et 1987. Leader de la lutte pour l’Indépendance de la Tunisie, le 1er juin 1954, il entre triomphalement à cheval, à Tunis, suite à la signature d’accords avec la France sur l’autonomie de la Tunisie. Sa statue a été enlevée en 1988. Le 24 mai 2016, sa statue équestre a été réinstallée non loin de sa place initiale, au carrefour des avenues Habib Bourguiba et Mohamed V.

[3] Zine el-Abidine Ben Ali, né le 3 septembre 1936 à Hammam Sousse, était président de la République tunisienne du 7 novembre 1987 au 14 janvier 2011 et a été chassé par un soulèvement populaire.

[4] C’est raté, Le mouvement de protestation populaire l’a contraint à quitter le pays le 14 janvier 2011 pour se réfugier à Djeddah, en Arabie saoudite (note de 2018).

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