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Notes d'Itinérances
28 août 2022

Chroniques tunisiennes 1975 / 2023 (28/69). Langue de bois d'olivier.

La voix de son maître

 

 

Les relations franco-tunisiennes ne sont pas toujours au beau fixe. C’est même parfois l’avis de grand frais, voire de tempête. Il faut dire que le président Ben Ali [1] a quand même une vision curieuse de la démocratie : se faire réélire avec 99,45% des voix n’est vraiment pas crédible ! Chacun sait aujourd’hui comment étaient arrangés les scrutins des pays du « socialisme réel » ou des dictatures sud-américaines et africaines.

 

Quelle autre bêtise que de confisquer les bandes d’enregistrement et les carnets de note du journaliste de France-Inter, Daniel Mermet [2] qui était venu recueillir les témoignages de militants des droits de l'homme, pourchassés et torturés dans le pays ! Au lieu de consacrer ses émissions pendant une semaine à parler du non-respect des droits de l’homme en Tunisie, Daniel Mermet en aura consacré trois ou quatre ! 

 

Aujourd’hui, seuls « Le Figaro » et « France-Soir » sont vendus dans les kiosques en Tunisie, et encore ! En centre-ville de Tunis seulement. Tous les autres journaux sont interdits, que ce soient « Libération », « Le Monde », « L’Humanité » ou « La Croix ». Par contrecoup les médias en sont réduits à mettre en valeur d’obscurs écrivaillons français pour montrer que le régime n’est pas isolé. En première page de son édition du 25 mars 2000, « Le Temps » consacre un de ses titres à la lettre ouverte de Gérard Cardonne [3] contre « la campagne menée par certains médias français contre la Tunisie ». Et, en page 5 du quotidien, je suis heureux d’apprendre que « …tous les Français ne partagent pas les pauvres aboiements des chiens médiatiques » suite à « une certaine campagne de presse menée par les forces obscures de la Gauche » ! Ce doit être encore un complot des Francs-maçons ou des Communistes !

 

La lecture du journal local rappelle d’autres temps. C’est fou les contorsions que sont obligés de faire les journalistes pour disserter sur pas grand-chose, tout en évitant soigneusement de se mouiller. Cela donne lieu à quelques remarquables exercices de langue de bois, en olivier, bien solide. Par exemple, sur les relations entre la Tunisie et la Hongrie : « Le partenariat qui englobe toutes sortes de domaines s’épanouit dans le plein exercice de la souveraineté et dans la liberté de chacune des deux parties qui décident ainsi de joindre leurs efforts et potentialités dans le but de préserver leurs intérêts et leurs chances dans un monde qui connaît une compétitivité de plus en plus féroce et orientée vers l’exclusion des plus faibles ». Voilà une belle phrase, bien ronflante, pour ne rien dire. Et tous les articles sont du même bois ! Pour montrer combien il est apprécié et aimé du peuple, le président utilise même les délégations d’enfants venus soutenir son action, comme un bon « petit père des peuples » et cela donne lieu à des situations et des commentaires ubuesques. 

 

« Le Président Zine El Abidine Ben Ali a reçu des enfants qui ont participé, jeudi, à la journée parlementaire pour les enfants, un message dans lequel ils expriment au Chef de l’État leurs remerciements et leur considération d’organiser cette journée annuelle dans le cadre de l’intérêt qu’il accorde aux enfants de la Tunisie et de son souci d’ancrer l’esprit de citoyenneté chez les jeunes générations et de leur offrir l’opportunité de prendre connaissance, à un âge précoce, de la vie politique et parlementaire de manière à enraciner en eux le comportement démocratique ».

 

Quelle phrase ! Pour la longueur et la complexité, c’est du Proust. Pour l’élégance et la compréhension, c’est autre chose. Quant au sens de la phrase, on peut même lui en trouver deux : ceux du va-et-vient de la brosse à reluire ! Pour le reste, les formulations du message adressé par les enfants au président ont dû faire transpirer plus de fronts à la présidence de la République que de fronts d’enfants…

 


[1] Zine el-Abidine Ben Ali, né le 3 septembre 1936 à Hammam Sousse, était président de la République tunisienne du 7 novembre 1987 au 14 janvier 2011. Le mouvement de protestation populaire l’a contraint à quitter le pays le 14 janvier 2011 pour se réfugier à Djeddah, en Arabie saoudite.

[2] Daniel Mermet, producteur de l'émission « Là-bas si j'y suis », sur France-Inter.

[3] Gérard Cardonne, écrivain, ex chef d'État-major de la 5e division blindée en Allemagne.

 

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