Algérie au coeur (10/42). Cherchell et le pari de Pascal.

Un libraire gentiment prosélyte 

Cherchell possède un magnifique musée de mosaïques romaines. Pour s’y rendre, n’ayant pas de véhicule, nous devons emprunter la ligne d’autobus qui dessert les villes côtières, tous les matins, par la route du bord de mer. A peine sommes-nous arrivés à l’arrêt du bus, à 6 heures du matin (heure supposée de passage du bus), que le conducteur d’un minicar qui sort du village de vacances s’arrête, nous demande où nous allons et nous propose de nous conduire à Cherchell où il va livrer les journaux. D’un geste large, il nous propose de nous installer dans son fourgon, assis sur des piles de journaux. Espérons que l’encre en soit assez sèche pour ne pas imprimer les nouvelles du jour sur notre fond de pantalon, à la manière de ces femmes de journalistes à qui Brassens, 

« ...rends les honneurs, à fesses rabattues, 
sur des tas de bouillons, des paquets d’invendus, 
et voilà ce qui fait  que quand vos légitimes 
montrent leurs fesses au peuple ainsi qu’à vos intimes, 
on peut souvent y lire, imprimés à l’envers,
les échos, les petits potins, les faits divers... »[1]

Cherchell, comme Tipaza, est une tranquille ville méridionale composée d’une longue avenue longeant la mer avec, au centre, une place avec son monument aux morts et son église. Ce bâtiment représente trois des civilisations qui se sont installées sur ce bord de la Méditerranée : Punique, Romaine, Vandale (bien que le sens courant ne semble pas accorder quelque prix à cette civilisation là !), Byzantine, Arabe, Européenne. Construit à la fin du XIXe pour servir d’église catholique, il a néanmoins la forme d’un temple romain ; aujourd’hui il est transformé en mosquée avec l’adjonction d’un minaret pataud couvert d’un petit dôme. Bel exemple de syncrétisme méditerranéen !

Dans la rue principale, une librairie expose les titres d’ouvrages édités dernièrement en Algérie. Le libraire sort sur le pas de porte et nous invite à entrer dans sa boutique pour nous montrer les ouvrages dont il dispose. La désormais traditionnelle discussion s’engage... d’où nous venons, quelles villes françaises il connaît ou dans lesquelles il a de la famille, et après avoir appris que mon épouse est née en Algérie, il évoque les familles Pieds-noirs de la ville. Très peu sont restées à Cherchell après l’Indépendance, de fait, une seule, des personnes âgées dont les enfants ont préféré s’installer en France. 

Nous discutons aussi de religion. Afin de mieux nous faire connaître la religion musulmane, le libraire nous propose un petit ouvrage de vulgarisation sur « La pratique de la prière en Islam ». C’est un tout petit opuscule de trente pages, écrit en français bien sûr, qui vise « à faciliter à beaucoup de musulmans l’accomplissement de leurs obligations religieuses » [2]. Pour les y aider, les paroles des prières sont mêmes « francisées » et cela donne : « Allahou Akbar ! Achhadou enne la Ilaha illa Allah ! Achhadou enna Mouhammadène Rassoulou Allah ! » etc. Je vous fais grâce de la suite, il y en a parfois une demi-page sans que l’on ait la traduction et que l’on sache à quoi nous engagent ces formules hermétiques. Je ne pense pas que notre compréhension de l’Islam progressera ainsi et c’est un peu le pari de Pascal que nous propose le libraire. « Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter » [3].

Mais l’intention y est, n’est-ce pas ! Serais-je un peu jésuite peut-être ? Bref, de retour en France, le petit opuscule sera déposé dans la bibliothèque, de façon très œcuménique entre « Les évangiles », « La philosophie de Confucius », « Les Pensées », « Le discours de la Méthode » et « Le manifeste du Parti Communiste » !

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[1] Georges Brassens. « Le bulletin de santé ». 1966.

[2]  « La pratique de la prière en Islam ». Imprimerie « Et-thaälibia ». Alger. Sd.

[3] Blaise Pascal. « Les Pensées ». 1670.

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