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Notes d'Itinérances
17 août 2021

Algérie au coeur (15/42). Alger - La pastilla de l’Hôtel Aletti.

L’hôtel des grands bourgeois et colons d’Algérie – Un service désuet attendrissant

 

 

L’« Hôtel Aletti » [1] est un grand bâtiment blanc, en bord de mer. Il a le charme de ces belles bâtisses de luxe des années 30, solide, cossu, avec des arcades en rez-de-chaussée, dominées au premier étage par un immense balcon sur lequel s’ouvre de vastes baies vitrées. 

 

L’Aletti, c’était le lieu de rendez-vous de la grande bourgeoisie commerçante, industrielle et des riches colons de la Mitidja. Un large escalier mène à une salle de restaurant vaste comme une salle de bal, ce à quoi elle avait dû souvent servir au temps du colonialisme triomphant. Combien de complots, de coups tordus, de putschs ont été discutés ici ? Dommage que les murs n’aient pas la parole, ils en auraient certainement de belles à nous raconter !

 

L’hôtel Aletti a été inauguré en 1930, en présence de Charlie Chaplin, à l’occasion de la célébration du centenaire de la présence française en Algérie. Six étages, 150 chambres, un casino, un cinéma, une salle de conférence, un cabaret, un salon de coiffures, des boutiques. Il avait été construit pour Joseph Aletti, l’enfant d’une famille émigrée italienne qui s’est illustré dans la direction des grands palaces (Hôtel du Parc à Vichy, Hôtel Claridge à Paris, Ruhl et Négresco à Nice...). Y ont séjourné de grands artistes, Joséphine Baker, alors sous-lieutenant de l’armée de l’air des Forces Françaises libres (FFL) y a dansé après le débarquement anglo-américain de 1942, Charlie Chaplin, Charles Aznavour ou Georges Brassens. Mais aussi des hommes politiques français dont François Mitterrand quand il était ministre de l’Intérieur, ou algériens comme Ferhat Abbas, Houari Boumediene, Mohamed Khider, Mohamed Boudiaf, Messali Hadj, ou étrangers comme Nelson Mandela, Patrice Lumumba, Fidel Castro et Hassan II… Sans parler, évidemment, de la clique de sinistre mémoire des généraux Bigeard, Massu, Salan, etc. Enfin, il a abrité la commission mixte germano-italienne de l’armistice 1940-1942.

 

En ce mois de ramadan d’août 1979, l’« Hôtel Aletti » est le seul restaurant que nous ayons trouvé ouvert lors de nos visites dans Alger. Mais, par-delà cet aspect immédiatement pratique, venir déjeuner à l’Aletti c’est un peu comme une revanche. Partis les comploteurs, disparus les ultras, évaporés les colons ; anticolonialistes, dans une Algérie désormais indépendante, nous venons prendre nos repas là où d’autres étalaient leur morgue et leur suffisance ! Il faut bien reconnaître que nous sommes bien peu nombreux à goûter ce plaisir : seules trois ou quatre tables sont occupées, la moitié des convives sont des Japonais qui n’y apprécient certainement pas les mêmes plaisirs historiques.

 

L’hôtel a conservé son chic 1930, bien qu’un peu défraîchi : des nappes blanches sur les tables, épaisses, mais abondamment reprisées, une lourde argenterie bien qu’un peu terne, des garçons en veste blanche, pantalon noir et nœud papillon mais le linge comme les peintures de la salle sont fatigués. Qu’importe, c’est même mieux ainsi car je suis assuré que rien n’a changé depuis le temps des colons.

 

Mais si le lustre d’antan est un peu passé, le restaurant de l’Aletti sert une « pastilla » à damner un saint, une grosse tourte bombée, contenant une farce légère de viande, de légumes, d’oignons et d’amendes, enrobée d’une pâte feuilletée fine, joliment plissée pour dessiner l’ovale de sa forme. Lorsqu’il amène cette magnifique pastilla, le garçon a soudain un léger malaise, il se rattrape vite au bord de la table et nous demande de l’excuser en nous expliquant qu’il fait le jeûne. Il est vrai que porter sous son nez cette pastilla odorante alors qu’il n’a pas mangé depuis le matin doit être une bien rude épreuve !

 


[1] L’hôtel Aletti, haut-lieu de la présence coloniale française, a été rebaptisé « Safir » en 1984. Jean Claude Brialy y a filmé quelques séquences de son film « Sur les traces de mon enfance » (2006). L’hôtel a été restauré en 2017, bien que certains pensent qu’il a été plus « massacré » que restauré (« Dia » du 10 avril 2017). 

 

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