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Notes d'Itinérances
19 août 2021

Algérie au coeur (16/42). Alger - Rue Ben M’hidi Larbi, ex rue d’Isly.

Un point de rupture dans la guerre – Toute marchandise n’est pas accessible aux non-musulmans

 

 

La rue d’Isly est située au nord du forum. Elle se dirige vers la Casbah. C’est dans cette rue que, le 26 mars 62, au cours d’une manifestation provoquée par l’OAS pour protester contre la signature des accords d’Evian et tenter de briser l’encerclement de Bab el Oued [1], une fusillade éclatait suite à des coups de feu tirés contre les militaires. La fusillade devait faire quarante et un morts et cent trente blessés. 

 

La retransmission télévisée permet de voir la foule des manifestants pacifiquement arrêtée par un cordon de soldats puis, tout-à-coup, d’entendre des coups de feu isolés. La caméra cherche le tireur sur les immeubles de la rue d’Isly, au moment où se déclenche une fusillade générale. Pendant que la foule s’effondre ou s’enfuie, la voix d’un officier crie dramatiquement « Halte au feu ! Halte au feu ! » alors que les soldats continuent à tirer. 

 

Comment expliquer que les soldats continuent à tirer alors que l’officier crie inlassablement « Halte au feu ! Halte au feu ! » ? La peur de se faire tirer des toits des immeubles comme à la foire ? Le ras-le-bol et l’exaspération des soldats vis-à-vis des ultras et de la population pied-noir qui poussent à la guerre alors que les accords de cesser le feu sont enfin signés ? La revanche contre les ultras qui n’avaient pas hésité à tirer sur les gendarmes au moment des barricades d’Alger en 61 et à tuer six appelés du contingent à Bab el Oued quelques jours plus tôt ? Cette fusillade marque un tournant dans les rapports entre les Français de métropole et d’Algérie : soldats français et Français d’Algérie ont tiré les uns contre les autres. 

 

« Désormais, nous tuerons tous ceux qui s’opposeront à notre œuvre, puisque c’est la seule méthode qui s’impose » [2].

 

C’est la rupture : les ultras appellent au meurtre contre soldats, policiers français et tous ceux qui s’opposent à leurs fins, mais plus important, les Pieds-noirs prennent brutalement conscience que le processus de paix avec les Algériens est irréversible et que cela signe la fin de l’Algérie française.

 

Vingt ans plus tard, c’est la paix dans la rue laquelle s’appelle maintenant Ben M’hidi Larbi, un des fondateurs du FLN, assassiné par l’armée française. Nous avons repéré dans la vitrine d’un libraire un très bel ouvrage du miniaturiste algérien Mohammed Racim, ainsi que des dessins reproduisant des textes en lettres arabes. L’un d’entre eux attire surtout notre attention parce que composé de grandes lettres en « arabesques » du plus bel effet. Le vendeur refuse néanmoins obstinément de nous le vendre et nous en montre d’autres qui nous semblent moins jolis parce que composés de caractères plus petits. Il insiste, nous nous obstinons aussi, c’est celle-là que nous voulons, non, non il ne peut pas nous la vendre. Mais pourquoi l’une et pas l’autre ? Il finit par nous lire l’inscription de la reproduction que nous avons choisie : « Il n’y a qu’un seul Dieu et Allah est son prophète ». Il ne lui est donc pas possible moralement de nous la vendre parce que nous ne sommes pas musulmans ! 

 

Un autre dessin reproduit une partie de la sourate du Coran dite « La vache ». Certes, c’est aussi un extrait du texte sacré mais cette sourate a la réputation de porter bonheur ; elle peut s’accrocher dans l’entrée de la maison pour protéger ses habitants. Certains même la recopient pour la placer dans leur portefeuille afin qu’elle les protège. Cette reproduction-là, il nous est possible de l’acheter mais elle est moins ouvragée à notre goût.

 


[1] Les accords d’Evian qui mettent fin à la guerre d’Algérie ont été signés le 19 mars 1962. Le 22 mars, à Bab El Oued, des éléments de l'OAS abattent six appelés du contingent et en blessent une dizaine. Le 23 mars, des commandos de l'OAS prennent le contrôle du quartier européen de Bab El Oued lequel est alors encerclé par l’armée française (2021).

[2] Tract de l’OAS cité par Henri Alleg. « La guerre d’Algérie ». 1981.

 

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