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Notes d'Itinérances
31 août 2021

Algérie au coeur (22/42). Massacre à Sétif le 8 mai 1945.

Fascisme et colonialisme, même combat

 

 

Quand la victoire des Alliés sur la barbarie nazie est apparue imminente, alors que les troupes d’Afrique du Nord avaient largement participé à la guerre et à la Libération, les populations algériennes ont espéré que serait mis en application le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Le 8 mai 1945, un cortège pacifique est organisé à Sétif par les Algériens de la ville et des villages environnants pour demander la libération de Messali Hadj, le fondateur du Parti du Peuple Algérien (PPA) lequel réclame l’Indépendance pour l’Algérie.

 

Cette manifestation est autorisée par les autorités sous plusieurs conditions : elle ne doit pas être « politique » (?) et on ne doit voir aucun drapeau à part ceux de la France et de ses alliés (sous-entendu, pas de bannière algérienne !). Au centre ville, le commissaire de police tente de faire disparaître les banderoles demandant l’Indépendance comme les emblèmes algériens. Un jeune homme brandit le drapeau, bousculade, un autre garçon s'en empare, les policiers interviennent, tirent, tuant le porte-drapeau et blessant plusieurs personnes. Le cortège poursuit néanmoins son chemin jusqu’au monument aux morts où les gendarmes et policiers ouvrent le feu une seconde fois sur la foule. Le préfet n’avait-il pas donné l’ordre, la veille, de faire tirer sur tous ceux qui arboreraient le drapeau algérien [1] ? La foule, évaluée à 8 000 personnes se déchaîne et 28 Européens sont tués dans d'atroces conditions. Il y aurait eu de 20 à 40 morts dans la population algérienne.

 

Le lendemain, des fermes de colons situées autour de Sétif sont attaquées. Bilan : une centaine de morts, français et algériens. La répression sera alors féroce, organisée par l’armée comme par les colons eux-mêmes qui se sont organisés en milices, lesquels colons sont abondamment incités par les autorités à intervenir. Le Préfet de Constantine Lestrade-Carbonel, accompagné du Général Duval commandant de la division de Constantine, déclare à Guelma :  « Quelles que soient les bêtises que vous commettrez, je les couvrirais ! Messieurs, vengez-vous ! » [2]. Les très rares images de la répression sont atroces : arrestations arbitraires, civils désarmés assassinés froidement, longues lignes de cadavres alignés au sol, villages incendiés. Les soldats de l’armée française envoyés sur place se sont comportés comme ceux de l’armée nazie. Comme les nazis, ils ont ensuite essayé de faire disparaître les traces du forfait. Au sud de Guelma des centaines de cadavres sont déterrés et brûlés pendant une dizaine de jours dans les fours à chaux de Marcel Lavie, entrepreneur. Une très sinistre opération rappelant les découvertes récentes des camps d’extermination.

 

Le communiqué du gouvernement général du 10 mai déclare : « Des éléments troubles, d'inspiration hitlérienne, se sont livrés à Sétif à une agression armée contre la population qui fêtait la capitulation de l'Allemagne nazie. La police, aidée de l'armée, maintient l'ordre et les autorités prennent toutes décisions utiles pour assurer la sécurité et réprimer les tentatives de désordre » ! 

 

Bilan : de 25 000 à 45 000 victimes parmi les Algériens, selon les sources ! Les autorités comme les colons français devaient être certainement très satisfaits du résultat qui a participé à régler la question de l’insoumission. On peut effectivement penser que cela a réglé la question, mais pas dans le sens qu’ils espéraient : c’est du massacre de Sétif que surgira le levain de la future Armée Nationale de Libération (ALN) avec Ben Bella, Krim Belgacem, Houari Boumediene, mais aussi une des voix de la littérature algérienne, le poète Kateb Yacine qui, lycéen, défilait le 8 mai au milieu de la foule mitraillée. Les assassins ne réfléchissent toujours qu’à très court terme.

 

Bref, on est pas toujours très fier du comportement des responsables français quand on est à Sétif [3].

 


[1] Henri Alleg. « La guerre d’Algérie ». 1981.

[2] Adresse du sous-préfet de Guelma, citée par Henri Alleg. « La guerre d’Algérie ». 1981.

[3] Il faudra attendre le 27 février 2005 pour que l’Ambassadeur de France à Alger, M Hubert Colin de Verdière, lors d'une visite à Sétif, qualifie les « massacres du 8 mai 1945 de tragédie inexcusable » (2017).

 

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