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Notes d'Itinérances
16 septembre 2021

Algérie au coeur (30/42). Alger / Oran en train en 1979.

Le métro aux heures d’affluence sous le grand soleil d’août

 

 

Sans automobile, pas d’autre solution que de prendre le train pour faire le « pèlerinage » d’Oran où vécut mon épouse. Un taxi nous conduit de Tipaza à la gare la plus proche sur la ligne Alger / Oran, El Affroun, à une trentaine de kilomètres. La gare d’El Affroun ne nous dépayse pas vraiment tant elle ressemble au millier de petites gares situées sur nos lignes secondaires, un bâtiment rectangulaire, d’un étage, au toit à deux pentes de tuiles mécaniques rouges. Le train, une rame moderne en aluminium, est absolument bondé et c’est très péniblement que nous arrivons à monter dans le wagon. C’est le métro aux heures d’affluence ! Mais un métro dans lequel nous serons enfermés six heures et qui se traîne péniblement sous le grand cagnard d’août. 

 

« La chaleur est intolérable. Tout objet de métal devient impossible à toucher, même dans le wagon. L’eau des gourdes brûle la bouche. Et l’air qui s’engouffre par la portière semble soufflé par la gueule d’un four » [1].

 

Malheureusement, ou heureusement, ce tortillard s’arrête à toutes les stations et si le voyage n’en est que plus long, chaque arrêt nous permet d’améliorer légèrement notre situation en fonction des flux de voyageurs. Après avoir mariné dans notre jus comme des sardines en boîte dans la plate-forme, nous avons réussi à passer dans le compartiment de la voiture, mais toujours serrés et debout. N’empêche, la situation s’est un peu améliorée, car certaines fenêtres sont entrebâillées et nous bénéficions de bouffées d’air chaud. Au fil des arrêts, nous finissons par conquérir une place semi-assise sur un accoudoir, puis mon épouse et mon fils conquièrent une place assise pour deux. Bref, à l’arrivée, nous finirons par être assis tous les trois. Le plus extraordinaire, c’est que dans ce hammam à roulettes, certaines femmes voyagent continuellement voilées tout en s’occupant d’une flopée de marmots ! L’une d’elle, tient son voile avec sa main, de l’intérieur, de manière à ne laisser visible qu’un œil, pendant six heures, sous la chaleur et avec un enfant sur les genoux ! Nous n’en verrons pas plus, mais elle participera activement à nous faire gagner des places assises, sans jamais nous montrer plus qu’un œil. Tous les voyageurs sont d’ailleurs charmants avec ces trois « franchaouis » et, si nous ne nous comprenons pas le plus souvent, sourires et gestes d’amitiés compensent largement les insuffisances du langage.

 

Au retour, trois jours plus tard, le train est heureusement beaucoup moins chargé qu’à l’aller et nous trouvons sans peine des places pour nous asseoir. Il est vrai que c’est un train qui roule en soirée et notre wagon est essentiellement occupé par des bidasses de retour de permission. L’un d’eux, chaussé de magnifiques bottes à bouts pointus ferrés, discute avec son copain avec un formidable accent de titi parisien. Nous apprendrons qu’ils sont de Ménilmontant et que ces deux jeunes beurs sont venus faire leur service militaire dans l’armée algérienne. Tout au long du voyage, ils se rappelleront les différents coins de Paris qu’ils fréquentaient : cafés, restaurants, cinémas, écoles primaires, grands magasins, boutiques de quartier, adresses de leurs familles et de leurs amis, tout y passe. Manifestement ces deux-là sont restés coincés entre deux cultures, entre la fidélité à leurs origines familiales qui les a amenés à choisir de faire leur service militaire en Algérie, et leurs souvenirs d’enfance et d’adolescence attachés à Paris.

 

 « Quand je dis que je suis français, je me donne une étiquette que tous les Français me refusent ; je m’exprime en français, j’ai été formé à l’école française. J’en connais autant qu’un Français moyen. Mais que suis-je, bon Dieu ? Se peut-il tant qu’il existe des étiquettes, je n’aie pas la mienne ? Quelle est la mienne ? Qu’on me dise ce que je suis ! » [2].

 


[1] Guy de Maupassant. « Au soleil ». 1884. En 1874, la distance Alger / Oran était parcourue en 17 heures. 

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