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Notes d'Itinérances
24 septembre 2021

Algérie au coeur (34/42). Oran - La promenade de Létang et le petit Vichy.

Souvenirs : jardins publics et oublies !

 

 

« Etre transpercé par son enfance c’est pire que de l’être par une arête : on a beau avaler des boulettes de pain, ça ne passe pas » [1]. 

 

La Promenade Cheikh Ibn Badis, ex-promenade de Létang, est située entre le port et les fortifications du Palais du Bey. Elle a été aménagée sur d’anciens jardins privés, en 1847, par le général français de Létang, gouverneur de la place. Elle comprend des essences végétales diverses, ficus, conifères, aloès, palmiers, dont certaines sont assez rares. C’est un coin de verdure non loin du centre de la ville.

 

De l’autre côté de la forteresse, à l'extrémité Ouest du boulevard de L'ALN (le boulevard du front de mer), Oran possède un Théâtre de verdure [2] construit à l’époque coloniale. D'une surface de 3 hectares et d’une capacité de 3 750 places, le théâtre accueille des manifestations culturelles en plein-air. Il est accessible via un petit jardin appelé également Hasni Chakroun, jadis « le Petit Vichy ».

 

Le Petit Vichy est un jardin public où, au temps de la colonie, les mamans, femmes au foyer bien sûr, venaient promener leurs enfants et faire la causette entre elles. Mon épouse, enfant, y venait jouer. Aujourd’hui, d’autres enfants y jouent toujours dans le bac à sable ou sur les balançoires. Le jardin semble avoir peu changé, il a même conservé les anciennes balances publiques, ici de couleur marron (elles étaient vertes me semble t’il à Paris), composées d’un corps massif, bombé en haut, et portant à hauteur des yeux, un énorme cadran circulaire qui vous précisait votre poids à cent grammes près. Contre une pièce de monnaie, elles vous imprimaient votre poids sur un petit carton grand comme un ticket de métro. Outre ses balances publiques, il était également possible au début des années 50 d’y acheter des « oublies ». Des oublies ! Je n’avais renconré cette confiserie qu’au travers de romans du siècle précédent ! 

 

« ...des vendeuses de plaisirs crièrent leurs oublies... » [3]

« ... vint à passer un oublieur avec son tambour et son tourniquet, qui cherchait pratique : je vis que les petites filles convoitaient fort les oublies... » [4].

 

Les oublies sont des sortes de gaufres très légères, cuites entre deux fers et roulées en forme de cylindre ou de cornet. L’origine en remonte au Moyen-Age. Les gaufrettes étaient enfermées dans une grosse boite ronde en carton bouilli, le « coffin » ou « corbillon », dont le couvercle était surmonté d’une loterie. Une flèche tournait qui désignait le nombre de « mains d’oublies » auxquelles le client avait droit [5]. Les vendeuses d’oublies du Petit Vichy chantaient-elles la chanson de l’oublieur ?

 

 « Oublies, oublies, oyez à bon prix,
Pour les grands et pour les petits,
Mes dez charmeront le billon,
Mais je chanterai la chanson »....

 

Les derniers « oublieurs », ainsi appelait-on les vendeurs d’oublies depuis le XIVe siècle, devaient disparaître des jardins parisiens entre les deux guerres mondiales, leur souvenir demeurant dans les romans de Restif de la Bretonne et quelques photographies de la fin du siècle dernier… mais aussi dans les squares d’Algérie !

 


[1] Antonio Lobo Antunes. « Bien sûr que tu te souviens de moi ». 1998.

[2] Le théâtre de verdure a été baptisé Hasni Chakroun du nom d’un chanteur de raï assassiné à Oran par le Groupe Islamiste Armé le 29 septembre 1994. (2017).

[3] François-René de Châteaubriand. « Mémoires d’outre-tombe ». 1849.

[4] Jean-Jacques Rousseau « Les rêveries du promeneur solitaire ». 1782.

[5] Claudette Joannis. « Les petits métiers des jardins publics ». 1977.

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