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Notes d'Itinérances
11 mars 2022

Emilie - Romagne (20/28). Parme - La camera di San Paolo (la chambre de l’abbesse).

Nouveauté du Corrège

 

 

Entre 1518 et 1519, le peintre Le Corrège réalise sa première grande œuvre picturale avec la décoration de la chambre du monastère de Saint-Paul (« chambre de l'abbesse »). Le monastère est un couvent bénédictin, fondé en 985, dont l’église abrite les reliques de sainte Felicola. Il devient progressivement un lieu privilégié pour les filles des familles nobles n’ayant pas contracté un mariage satisfaisant et une institution puissante gérée par les grandes familles parmesanes. Le respect des règles et de la discipline y sont alors assez libres. Le monastère connait une période de grande splendeur au tournant des XVe et XVIe siècles, sous les abbesses Cecilia Bergonzi de 1488 à 1505 et Giovanna da Piacenza de 1507 à 1524 qui en font un centre culturel majeur. Compte-tenu des nombreuses possessions du couvent, des liens de parenté prestigieux des moniales et de l’abbesse, celle-ci joue un rôle social majeur, effectuant de nombreuses visites et déplacements et bénéficiant d’appartements privés dans le monastère.

 

En 1514, l'abbesse Giovanna Piacenza a fait décorer la voûte d’une des pièces de son appartement privé par Alessandro Araldi (1460 / 1529) avec des sujets bibliques, mythologiques et des grotesques, selon les canons de la peinture romaine de l’époque. Elle commande ensuite au Corrège la décoration d’une seconde chambre. C’est une pièce quadrangulaire dont la voûte est couverte de seize compartiments en ombelle, de style gothique tardif construite en 1514 et décorée alors par des tapisseries sur les murs. Le Corrège utilise la particularité de la voûte pour figurer une tonnelle dans un jardin. Au centre de la voûte sont placées les armoiries de l'abbesse, desquelles partent seize côtes peintes comme des perches de bambou, reliées par des croisillons de lattes de bambou. Dans cette voûte de la tonnelle s’ouvrent des espaces ovales décorés de putti. En contrebas, le long des murs, des lunettes semi-circulaires simulent, en trompe-l'œil et en grisaille, des niches contenant des statues. Enfin, la bande inférieure figure, toujours en trompe-l'œil, des chapiteaux en cornes de béliers, auxquels sont accrochées des toiles de lin tendues devant des assiettes, des vases, des cruches. Enfin, sur la cheminée, le Corrège peint la déesse Diane sur un char tiré par des chevaux. Le Corrège organise une liaison allégorique entre chacune des statues présentées dans les niches et les ovales décorés de putti. Par exemple, une des niches (photo) figure les Trois Grâces et l’ovale qui la domine est décoré de putti dansants. L’ensemble illustre le thème symbolique de l’amitié, de la concorde et de la paix. La niche suivante représente un jeune homme nu avec une guirlande de fleurs sur la tête ; dans l’ovale supérieur un putto essaye de saisir une grappe de fruits tandis qu’un second indique le ciel. L’ensemble symbolise la vertu. Ainsi chacune des bandes donne lieu à la lecture d’un symbole : l’intégrité, la chasteté, la fortune, la discorde, le bien-être, l’eau, la terre, l’air, le feu, Saturne, Jupiter [1]

 

Le plafond de la chambre de l’abbesse constitue un programme pictural complexe, composé de références à des histoires aux origines diversifiées, provenant de l’antiquité, de mythes ou de règles morales, dans un jeu de références croisées, pas directement compréhensibles notamment pour les Hommes du XXIe siècle, peu familiers des mythes antiques et des références morales de la Renaissance. La présence de cet ensemble, globalement très peu religieux, est assez étonnant au sein d’un couvent, ce qui explique vraisemblablement qu’il ne fut pas visible pendant trois siècles et n’a été redécouvert qu’à la fin du XVIIIe siècle. La comparaison entre les deux chambres décorées du couvent de San Paolo permet de mettre en évidence la nouveauté de la peinture du Corrège qui ne se contente pas de décorer la pièce, mais qui la structure en utilisant ses caractéristiques architecturales et un programme pictural complexe. Enfin, dans la peinture des putti, il n'utilise pas une ligne sèche mais au contraire douce et lumineuse, usant du sfumato [2] à la manière de Léonard de Vinci. 

 

Cette analyse de l’œuvre et de son histoire nous sont nécessaires pour en comprendre l’inventivité et la nouveauté car le déferlement de représentations de chérubins et de putti dans les images religieuses (comme de bébés potelés dans les publicités contemporaines) aboutissent à ce que nous jugions spontanément fades et mièvres toutes les représentations d’angelots joufflus !

 


[1] « Parme - Art, histoire et monuments ». 2012.

[2] Le sfumato est une technique picturale qui donne au sujet des contours imprécis au moyen de glacis d'une texture lisse et transparente.

 

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