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Notes d'Itinérances
27 avril 2022

Borgo - Au pied du Vatican (5/16). La Casa di Mastro Tita.

La maison du bourreau - Une décoration difficile à voir

 

 

Au début de la via della Conciliazione, à droite, l’église Santa Maria in Traspontina a été conçue par Giovanni Sallustio Peruzzi et a été achevée en 1637. La rue qui s’ouvre ensuite, le Vicolo del Campanile tire son nom du clocher de l’église voisine. Au n°4, la maison du XVe siècle, présentant sur la façade des vestiges décoratifs en grisaille, est la « Casa del Boia » (la maison du bourreau), ou « Casa di Mastro Titta ». C’est ici qu’habitait Giovanni Battista Bugatti (1779 / 1869), dit Mastro Titta, « maestro di giustizia » (maître de justice), autrement dit le bourreau des États pontificaux de 1796 à 1865 [1]. Il est décrit comme un homme de petite taille, corpulent, toujours bien habillé, marié, mais sans enfants. Lorsqu'il n'exerçait pas ses éminentes fonctions, Bugatti et sa femme vendaient des parapluies et des souvenirs. Les bourreaux avaient obligation de vivre de l’autre côté du Tibre. Il habitait donc ce quartier excentré et ne pouvait traverser le Tibre qu'en prévision d'une exécution, pour sa préparation et sa réalisation. La phrase populaire « Mastro Titta passa Ponte » signifiait que quelqu'un allait être exécuté le jour même. Entre 1796 et 1864, en 68 ans de bons et loyaux service, Mastro Titta exécuta plus de 500 personnes, soit une moyenne de 7 exécutions par an, ce qui laisse effectivement du temps pour vendre des parapluies et des souvenirs aux touristes.

 

La décoration [2] parait très endommagée. Sa réalisation est attribuée, par Giorgio Vasari (1511-1574), à Giulio Romano lequel aurait conçu, vers 1520, cette façade en sgraphite [3]. Mais elle pourrait être aussi de Polidoro da Caravaggio (1492 / 1543), un artiste célèbre pour avoir décoré de nombreuses façades. Lors du remaniement du quartier, en 1936, une campagne d’étude a été conduite avec description des images et restauration complète du programme décoratif. 

 

Le rez-de-chaussée était bordé de fausses silhouettes sculptées. Au premier étage, entre les quatre fenêtres cintrées, étaient dessinés quatre prisonniers daces [4] et un gardien endormi au milieu de son troupeau de vachesDans la frise, entre le premier et le deuxième étage, deux paires de lions posant une patte sur un motif de fleurs d’acanthes, de couronne avec trois plumes correspondant à l’emblème des Médicis. Au deuxième étage, quatre figures féminines symbolisant les quatre saisons et un soldat marchant vers le berger endormi, son bras droit levé et sa main tenant un cimeterre, sa main gauche saisissant sa victime par l’épaule, prête la décapiter. Sur la frise, des paires de griffons reposant sa patte sur une lyre soutenue par une tête jeune émergeant d’un calice d’acanthe et des vases avec des fleurs, et au dernier étage des têtes de lions.

 

Les deux scènes narratives qui ornent la façade font référence à l’épisode de Io dans « Les Métamorphoses » d’Ovide. Jupiter est amoureux de la nymphe Io. Redoutant la réaction de sa femme Junon, Jupiter transforme la nymphe en génisse blanche. Mais Junon, qui n’est pas trompée par la ruse, demande à Jupiter la génisse en cadeau et la confie à Argus, berger aux cent yeux. Jupiter ne pouvant plus supporter la détresse de Io, il envoie son fils, Mercure, tuer Argus afin de la libérer. Mercure enchante Argus avec de la musique faisant succomber les cent yeux d’Argus au sommeil. Il coupe alors la tête d’Argus. Io s’enfuit en Égypte, retrouve sa forme humaine, et Jupiter parvient à calmer la fureur de Junon !

 

La scénographie choisie pour la décoration de la façade est bien évidemment liée au contexte et traditions du XVIe siècle. Les représentations de lions soulignent une allégeance à la famille des Médicis. Les prisonniers daces barbares et les griffons symbolisent vraisemblablement la gloire de l’histoire romaine antique. La représentation du meurtre d’Argus par Mercure, si elle fait référence aux Métamorphoses d’Ovide, serait par contre inhabituelle [5]. Le plus curieux étant que cette maison devienne, plus de trois siècles plus tard, la maison d’un professionnel de la décapitation !

 


[1] Son fantôme hanterait le pont Saint-Ange, tôt le matin, en offrant du tabac aux passants. Mastro Titta a noté 516 noms d’exécutés dans un carnet. En 1891, l'éditeur Perino s’en inspira pour publier de prétendues mémoires du bourreau « Mastro Titta, le bourreau de Rome : Mémoires d'un bourreau écrits par lui-même ». Voir le site de RomaSegreta : https://www.romasegreta.it/roma-nella-letteratura.html

[2] Dessin réalisé par hachures ou grattage d'un enduit blanc recouvrant un fond noir ou coloré.

[3] Sophie Lambert. « The House on vicolo del Campanile: A Sgraffito Façade in the Borgo ». Dissertation for Master of Arts. The Courtauld Institute of Art. 2016.

[4] Les Daces est le nom donné par les Romains aux populations issues du bassin du Bas-Danube.

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