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Notes d'Itinérances
27 mai 2023

Chroniques tunisiennes 1975 / 2023 (68/69). Une révolution aux multiples visages.

Des lendemains incertains ?

 

 

Près de cinquante années de voyages et de missions en Tunisie ont permis d’observer les formidables bouleversements de ce pays au cours des années 1975 / 2023 avec des révolutions démographiques, économiques, sociales, culturelles et politiques qui ont fait sortir ce petit pays du sous-développement bien qu’il reste encore beaucoup de progrès à réaliser. Révolution démographique avec un taux de natalité qui a chuté et est égal au taux de renouvellement (2,11 enfants/femme), un allongement de l’espérance de vie (75,9 ans), un fort exode rural et une urbanisation élevée (70%). Révolution économique, avec le développement des secteurs de l’industrie (32% de la population active) mais surtout du tertiaire (52%), et élévation du niveau de vie moyen. Révolution sociale, avec l’accès massif à l’éducation notamment des filles (60% des bacheliers sont des filles lesquelles représentent 48,2% des étudiants du supérieur), le développement d’une classe moyenne, les changements dans les structures familiales qui se resserrent sur la cellule nucléaire. Révolution culturelle enfin, avec l’ouverture sur le monde notamment par le biais de la scolarisation, des échanges commerciaux internationaux, du tourisme et des télécommunications. En Tunisie, la scolarisation dans le secondaire a augmenté de 314% en 45 ans, et le taux brut de scolarisation dans le supérieur est de 37% des 19/24 ans. 

 

Mais ces révolutions démographique, économique, sociale, culturelle ne se sont pas faites sans mal, et surtout sans accroitre les inégalités économiques et les contradictions sociales. Le taux de chômage est élevé (15% de la population[1]), les jeunes ont beaucoup de mal à trouver un emploi (le taux de chômage des jeunes entre 15 à 24 ans est de l’ordre de 37%, celui des diplômés de l’enseignement supérieur de 24%) et seuls 27% des emplois sont aujourd’hui occupés par des femmes. Une partie non négligeable de la population vit de petits boulots, dans des conditions de logement déplorables (8% en bidonville) ; les écarts de revenus sont élevés entre une bourgeoisie tunisoise et des petits vendeurs ou des petits paysans qui vivent au jour le jour (12,6% de la population est en insécurité alimentaire). 

 

D’autres contradictions sont apparues au cours de cette période : l’apparition de jeunes femmes portant le hidjab ou plus simplement un foulard, puis la quasi généralisation pour les femmes dans les lieux publics,  l’utilisation de la basmala, l’introduction de l'appel à la prière dans les médias audiovisuels et la retransmission à la télévision de la prière du Vendredi, la création d’un ministère des Affaires religieuses… alors que la République tunisienne de Bourguiba avait développé une laïcité sourcilleuse. Autant de signes d’une société en profond changement, cherchant des repères dans un monde instable où les grandes utopies sociales et politiques se sont effondrées au profit d’une libéralisation et une financiarisation économiques aux conséquences graves sur la vie quotidienne, notamment des couches les plus pauvres.

 

Toutes ces contradictions ne sont évidemment pas pour rien dans la révolution tunisienne de 2010 / 2011. Elles ont fini par faire tomber un régime qui était une dictature policière, avec un parti dévoué à un président contrôlant tout, monopolisant les postes et les responsabilités pour sa famille et ses fidèles inconditionnels, pourchassant sans merci toutes personnes exprimant des opinions différentes. Mais toutes ces contradictions n’ont pas disparu comme par miracle avec la chute du régime Ben Ali ! La situation politique s’est aussi aggravée avec les attentats terroristes de 2015 et 2018 (Le Bardo, Sousse et Tunis), à quoi s’est ajouté la pandémie en 2020 / 2021 qui a entraîné la fermeture des frontières, frappant durement les échanges internationaux notamment le secteur du tourisme, un secteur clé de l’économie tunisienne représentant 14% du produit intérieur brut, 100 000 emplois directs et près de 300 000 indirects. Et les vieilles habitudes perdurent, autoritarisme et pouvoir autocratique : en 2021, le président Kaïs Saïed s'est arrogé les pleins pouvoirs, a dissous le Parlement, limogé son Premier ministre, suspendu la constitution, puis dissous le Conseil supérieur de la Magistrature, limogé des juges, fait voter en 2022 une constitution concentrant les pouvoirs et fait arrêter en 2023 de nombreux opposants… L’avenir de la Tunisie n’est pas écrit.

 


[1] Ce chiffre ne tient évidemment pas compte d’une large partie de la population qui est condamnée aux petits boulots précaires et sans lendemains.

 

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