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Notes d'Itinérances
1 septembre 2022

Chroniques tunisiennes 1975 / 2023 (34/69). Utique, des ruines jardinées.

Souvenirs des guerres puniques et de Caton le Jeune

 

 

Utique est une ville antique, un ancien port de mer à l’embouchure de l’oued Medjerda. Les Phéniciens s’y seraient établi dès le XIIe siècle avant J.C ; elle précéderait ainsi de trois siècles la création de Carthage. 

 

Alliée de Carthage contre la Grande Grèce, Utique le restera dans les guerres carthaginoises contre Rome. Au cours de la seconde guerre punique (206 à 202 avant J.C), elle résistera vaillamment à la flotte de Scipion l’Africain qui campera à proximité sur un monticule. Néanmoins, au cours de la troisième guerre punique (149 à 146 avant JC), elle se livra finalement à Scipion Emilien, fils adoptif de Scipion l’Africain. Devenue colonie romaine, puis ville libre, Utique sera encore le témoin de la lutte entre partisans de Pompée et de César (de 49 à 45 avant JC). Après la défaite des partisans de Pompée [1], Caton le Jeune [2], arrière-petit-fils de Caton l’ancien [3], se donnera la mort à Utique en se transperçant de son épée.

 

Aujourd’hui les ruines d’Utique sont peu spectaculaires, la ville antique ayant été recouverte par plusieurs couches de limons entraînés par l’oued Medjerda, limons qui ont fait reculer le rivage de la Méditerranée de plus de quinze kilomètres ! Il est donc désormais difficile d’imaginer que la ville était un grand port. François de Chateaubriand, qui se piquait d’être un fin connaisseur de l’histoire antique et un bon archéologue, ne parvint pas à reconnaître les ruines d’Utique, il est vrai qu’il ne possédait aucun moyen de prospection.

 

« Mes yeux voulaient reconnaître l’emplacement d’Utique : hélas ! les débris des palais de Tibère existent encore à Caprée, et l’on cherche en vain à Utique la place de la maison de Caton ! » [4].

 

En 1980, elles étaient néanmoins tout à fait charmantes les ruines d’Utique grâce à l’entretien très particulier que leur prodiguait le vieux gardien du site. Assez peu visitées, parce qu’en dehors des circuits touristiques mais aussi parce que mal indiquées sur la route nationale de Tunis à Bizerte, le gardien occupait son temps à embellir « ses » ruines par des plantations de pétunias, d’arômes, de géraniums, d’iris, le long des allées, dans les urnes et les vasques de pierre, entre les fûts de colonnes tombés à terre. Il « jardinait » ses ruines.

 

Les ruines se composent essentiellement d’anciennes villas dans lesquelles de petites mosaïques ont été laissées en place comme cette galère entourée de poissons, tortue, anguille, raie, et chevauchée par un amour pêcheur, gros angelot joufflu. Le vieux guide, qui nous accompagnait avec un arrosoir, ravivait les couleurs ternies par la poussière en aspergeant les mosaïques d’un peu d’eau. Le même arrosoir lui servait également à arroser ses bordures de fleurs au cours de la visite. Aussi entre soleil, arrosages réguliers, et soins du vieil homme, les fleurs s’épanouissaient-elles partout, illuminant et colorant les vieilles pierres.

 

Ayant le souvenir de cette agréable visite, j’en vante les mérites auprès d’amis et nous décidons d’y retourner, vingt ans plus tard. Les ruines ne sont pas mieux indiquées et pas plus visitées, mais le vieux gardien n’est plus là. C’est désormais un jeune homme qui est chargé de garder les ruines et ses centres d’intérêt sont manifestement très différents : plus de pétunias, d’arômes, de géraniums et d’iris, mais de l’herbe folle entre pierres et futs de colonnes. Plus d’arrosage des petites mosaïques qui se couvrent de poussière et deviennent ternes. 

 

Utique est en train de mourir une seconde fois, tristement, redevenant un tas de pierres grises et informes.

 


[1] Lire à ce sujet « Astérix légionnaire » pour obtenir de plus amples informations et notamment bien comprendre l’aide décisive apportée par les Gaulois à la victoire finale de Jules César !

[2] Caton le Jeune, questeur et gouverneur de Sicile, partisan de Pompée contre César.

[3] Caton l’ancien, sénateur romain notamment célèbre parce qu’il terminait tous ses discours au Sénat par « Ceterum censeo Carthaginem esse delendam » (« En outre, je suis d'avis qu'il faut détruire Carthage »).

[4] François de Chateaubriand. « Itinéraire de Paris à Jérusalem ». 1806.

 

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