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Notes d'Itinérances
21 novembre 2022

Romaines ! (7/25). Lucrèce Borgia (1480-1519).

Rione Monti / Salita del Borgia

 

 

La salita dei Borgia est un curieux escalier qui permet de joindre une des hauteurs de l’Esquilin, le Colle Oppio, à la Suburra. Il traverse la via Cavour un peu plus bas que la station de métro Cavour. Elle passe sous un arc du palais qui appartenait à la famille Cesarini, les plus puissants seigneurs du quartier au Moyen-âge, qui le cédèrent ensuite aux Borgia. La tradition populaire veut que cette demeure ait été la résidence de Vannozza Cattanei, maîtresse de Rodrigo Borgia, cardinal et futur pape sous le nom d’Alexandre VI (1492 / 1503), et mère de ses quatre enfants dont César et Lucrèce. Chacun connait l’excellente réputation du pape Alexandre VI Borgia, modèle de piété, de vertu, et d’abnégation [1]., comme son fils aîné, César, qui rivalisa avec lui de générosité et de bonté. On raconte (mais peut-on se fier à toutes les légendes ?) que, dans la nuit du 14 juin 1497, en sortant de ce palais, César aurait assassiné son frère Giovanni car ils auraient été amants d’une même femme. Rien n’est prouvé néanmoins, sauf que le corps de Giovanni a bien été retrouvé dans le Tibre percé de nombreux coups de couteau…

 

Dans la famille Borgia, il y a donc aussi une fille, Lucrèce, fille légitime du cardinal Rodrigo Borgia et de la belle Vannozza Cattanei. Elle vit d'abord auprès de sa mère avec ses frères et ses nombreux beaux-pères. En effet, sa mère, bien que favorite officielle du cardinal Borgia, s'est mariée quatre fois. Lucrèce est ensuite envoyée par son père chez sa cousine Adriana Orsini qui lui enseigne les fondements de la culture savante, le latin, le grec, l'italien et le français, mais aussi la musique, le chant et le dessin. À l'adolescence, elle est accueillie dans le palais de son père, qui se fait passer pour son oncle et ne lui révèlera la vérité que plus tard. Alexandre VI vit alors avec sa nouvelle maîtresse, Giulia Farnèse. La jeune fille bénéficiera d'une éducation soignée.

 

Pour son père et son frère César, Lucrèce est un outil politique dans des alliance à géométrie variable. Enfant, elle est deux fois promise à des aristocrates espagnols avant de finalement épouser, à treize ans, Giovanni Sforza, demi-frère du duc de Milan, ceci afin de contrer l’influence des Aragonais de Naples. Mais Alexandre VI change d’alliance ; il annule, en 1497, le mariage au prétexte qu’il n’aurait pas été consommé et, en 1498, il initie un second mariage de Lucrèce avec Alphonse, le fils illégitime du roi de Naples, pour renforcer les ambitions du pape sur Naples. Alphonse est assassiné en 1500 par Michelotto Corella, un homme de main de son frère César car Alexandre et César envisagent désormais une alliance avec la France contre Naples ! En 1501, troisième mariage, avec Alphonse Ier d'Este, futur duc de Ferrare et allié de la France. Ce n'est qu'à la mort de son père, en 1503, que Lucrèce accède à une vie plus sereine. À Ferrare, l’un des centres artistiques et littéraires de la Renaissance, elle devient la protectrice des arts. Elle meurt à 39 ans d'une septicémie consécutive à la naissance d'une fille qui mourra à l'âge de deux ans. Lucrèce est inhumée au monastère Corpus Domini de Ferrare.

 

Malgré ses différents mariages arrangés, son rôle politique personnel aurait été limité, même si elle a été plusieurs fois responsable en chef des affaires du Vatican lors des voyages de son père.

 

La réputation de Lucrèce Borgia dans l’imaginaire collectif est généralement assez médiocre, son nom étant souvent associé à des scènes de luxure, d'inceste, voire de meurtre. Cette réputation lui a notamment été faite par Giovanni Sforza pour se venger des malversations des Borgia [2]. D’autre part, l’époque était pleine de paradoxes, d’ambiguïté, avec un remarquable épanouissement intellectuel et le développement d’arts raffinés, alors même que les conduites personnelles étaient souvent marquées par la plus grande cruauté et le cynisme. Lucrèce est aussi une victime, victime de la condition faite aux femmes dans la haute société dans laquelle elle était plongée. Une fille, c’était avant tout un outil d’associations entre puissants, un corps dont les pères et les frères pouvaient disposer dans leurs politiques d’alliances !

 


[1] Pasquino, statue parlante de Rome, à propos d’Alexandre VI Borgia : « Non mirum si viomit nigrum post fata cruorem / Borgia, quem biberat concoquere haud potuit » (Il n’est pas étonnant que Borgia vomît des flots de sang après sa mort / C’est tout celui qu’il avait bu et n’avait pu digérer !).

[2] La pièce de Victor Hugo, « Lucrèce Borgia » (1832), a également participé à cette réputation détestable. Il fait de Lucrèce une intrigante, cruelle, capable de tous les crimes.

 

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