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Notes d'Itinérances
27 mai 2023

Chroniques tunisiennes 1975 / 2023 (66/69). Cachez ces épaules que je ne saurais voir !

Des pratiques iraniennes ! – Chute d’influence de l’islam politique

 

 

Pour entrer dans la cour de la grande mosquée de Kairouan, comme pour celle de Sousse, il faut désormais que les femmes se couvrent d’un tchador, une grande pièce de tissu posée sur la tête, laissant apparaître le visage et tenue fermée à l'aide des mains, tchador remis gracieusement à l’entrée de la cour par un gardien. C’est une « nouveauté » laquelle n’avait jamais été exigée par le passé, « nouveauté » calquée sur des pratiques imposées dans certaines des mosquées iraniennes (mausolées Shah Cheragh à Shiraz et de Fatima à Qom) ! Est-ce à dire que les bigots islamistes ont pris le pourvoir en Tunisie après le départ de Ben Ali ? D’autant que le port d’un foulard ou du voile sur la tête (hidjab) s’est très largement répandu pour les femmes tunisiennes dans l’espace public.

 

Aux élections de 2011, après la chute du régime de Ben Ali, les Tunisiens ont assez largement fait confiance au parti islamiste Ennahda (« Mouvement de la Renaissance ») devenu alors le premier parti de la Tunisie avec 1,5 million de voix. Mais ce résultat ne représentait que 37% des exprimés et 89 députés (sur 217). Cette confiance, les Tunisiens la lui ont progressivement enlevée (27,7% des voix et 69 députés en 2014, puis 19,6% des voix et 54 députés en 2019) suite aux résultats économiques et sociaux médiocres du gouvernement qu’Ennahda présidait. Seuls 23 % des Tunisiens souhaitent que les chefs religieux jouent un rôle dans la prise de décisions gouvernementales [1]. Face à ce constat et à un environnement international défavorable aux partis se réclamant d’un islam politique, Ennahda a cherché à se défaire de l’étiquette « d’Islamisme » en autonomisant le parti des règles de la religion pour en faire plutôt un système général de valeurs de référence. L’adhésion au parti a été modifiée : la période probatoire de trois ans avant d'être membre, la formation religieuse et le serment d'allégeance, sont désormais supprimés. L’islam politique ne s’est pas imposé en Tunisie…

 

« Ainsi, l'islam politique ne s'est pas dissous dans l'urne mais dans le panier de la ménagère » [2] !

 

Le parti Ennahda affaibli, voire rejeté par les Tunisiens, le président Kaïs Saïed a pu faire arrêter plusieurs de ses dirigeants et fermer ses locaux en avril 2023, sans réaction de la part de la population. Mais il ne faudrait pas croire pour autant que Kaïs Saïed est un laïc pur et dur, même si la nouvelle constitution tunisienne qu’il a concoctée a supprimé toute référence de l’État tunisien à l’islam. Par contre, il y est précisé que la Tunisie appartient à une « Oumma » (Communauté) dont la religion est l'islam ! Le terme est même plutôt inquiétant dans la mesure où cela fait référence à une « identité » mal définie, aux contours flous, qui implique également mode de vie, coutumes et valeurs ! Si Kaïs Saïed n’est pas un représentant d’un islamisme militant, il est assurément un traditionnaliste réactionnaire ce qui n’est pas démocratiquement plus engageant.

 

Dans un monde instable, incertain, dans lequel les lendemains déchantent voire menacent, la religion est certainement pour les Tunisiens un facteur identitaire important. Ainsi « les deux tiers des jeunes tunisiens se décrivent comme religieux, ce qui représente une baisse significative par rapport à l'enquête de 2018, dans laquelle environ la moitié des jeunes tunisiens participant à l'enquête se décrivaient comme non religieux » [3]. Cette évolution serait la conséquence du retrait des extrémistes musulmans de l'espace public, ce qui aurait encouragé les jeunes à pratiquer leur religion ouvertement et librement. La seconde explication serait la pandémie de Corona qui a soulevé des questions sur l'existence. Enfin, les évolutions politiques et économiques défavorables détourneraient les jeunes de la démocratie et ferait de la religion le dernier recours d’une situation désastreuse…

 


[1] Enquête du réseau Baromètre arabe, pour la BBC. 2023.

[2] Eugénie Boilait. « Démocratie en panne, pénuries, inflation, grèves : la Tunisie au bord du chaos ? ». In Le Figaro. 12/05/2023.

[3] Nahim Qassem. « Pourquoi le rapport de la jeunesse arabe à la religion est-il en train de se transformer ? ». BBC News. 15/07/2022.

 

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