Trevi - Un quartier de perles baroques (10/26). Mussolini brade une partie du patrimoine du palais Barberini.
Un dictateur qui n’aime pas l’art, même italien !
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Dans la Galerie Nationale d’Art ancien, vous ne verrez pas ce Caravage de la collection Barberini (Les Tricheurs), aujourd’hui au Museum of the Order of St John de Clerkenwell de Londres car l’œuvre a été vendue par Mussolini au prétexte qu’elle n’était pas « véritablement » italienne ! La collection Barberini, d’une extraordinaire richesse, avait fait l’objet de tentatives de dispersion dès le XVIIIe siècle mais, grâce à un fidéicommis, confirmé lors du passage des États pontificaux au Royaume d'Italie en 1870, la collection avait pu être conservée dans son intégralité comme les autres collections princières romaines (Doria Pamphilj, Borghese, Colonna).
Dans les années 30, la défense de l'unité de la collection et la résistance à la vente était symbolisée par le surintendant des antiquités romaines Roberto Paribeni (1876 / 1956)[1]. Suite au remplacement de l’intraitable et intègre Roberto Paribeni par un surintendant plus malléable, l'État a obtenu de la famille Barberini seize œuvres « jugées véritablement italiennes » ( ? !) en échange de la délivrance d’une licence d'exportation, avec exonération fiscale, de cent-six peintures italiennes et étrangères ! Le 26 Avril 1934, un arrêté royal abolit le fidéicommis permettant ainsi la dispersion de la collection. Partent ainsi, par exemple, de Fra Carnavale (1420 / 1484) La naissance de la Vierge et Présentation de Marie au temple (Metropolitan Museum de New York), d'Albrecht Dürer le Christ parmi les docteurs (musée Thyssen-Bornemisza de Madrid), de Caravage Le joueur de luth (Metropolitan Museum de New York), La Sainte Catherine d'Alexandrie (Thyssen-Bornemisza), Le portrait de Maffeo Barberini (collection privée) et une version des Tricheurs (Museum of the Order of St John de Clerkenwell), de Nicolas Poussin La mort de Germanicus (Institute of Fine Arts de Minneapolis), du Guerchin Le Prophète Elie (collection Denis Mahon de Londres), de Claude Lorrain le Castel Gandolfo (Fitzwilliam Museum de Cambridge)… œuvres achetées avec intérêt par les grandes collections privées et publiques.
« Le gouverneur (de Rome) a demandé à savoir « si le Duce juge opportun que le gouvernorat entre en négociation avec les propriétaires pour l'achat des objets susmentionnés ». Une réponse manuscrite du 12 août a accepté d'autorité chaque discussion : « si le gouvernement a l'argent, faites ce qu'il croit : de notre côté, il n'aura rien. Je ne comprends pas ce fait de rassembler des choses que personne ne va voir : même s'il part à l'étranger, il reste italien »[2].
Le dictateur faisait peu de cas du patrimoine culturel italien, Fra Carnavale, Caravage ou Raphaël n’étaient pas jugés véritablement italiens alors que les statues antiques l’étaient. Pour le Duce, entre la Rome antique et lui, il n’y avait rien ! Une partie des œuvres promises à la vente a pu heureusement rester au palais Barberini, comme les reproductions des Stances de Raphaël, Apollon et les Muses de Rinaldo Cottone, In arcadia ego du Guerchin, La Fornarina de Raphaël, ou en Italie comme quatorze des vingt-huit tableaux des Hommes Illustres, de Juste de Gand, renvoyés à leur emplacement d'origine au palais ducal d’Urbino (les quatorze autres avaient été acquis par le musée du Louvre en 1861).
Comme les salles du palais avaient été vidées de leurs œuvres, les Barberini les louèrent, en 1934, au Cercle des Officiers des forces armées… ce qui explique la présence des plaques commémoratives de la fin de la première guerre mondiale apposées sur les murs d’entrée du palais. En 1949, le Palazzo a été acheté par l'État pour y placer les œuvres de la Galerie Nationale d'Art Ancien pour laquelle les salles du Palazzo Corsini ne suffisaient plus après l'acquisition de collections importantes (Torlonia, Chigi, Odescalchi, Colonna). Le Cercle des Officiers et le Ministère des Armées mirent la plus grande mauvaise volonté à quitter les lieux[3], les militaires ne trouvant pas les autres locaux suffisamment prestigieux à leurs yeux. Il fallut attendre 2006 pour que l’ensemble du palais puisse enfin être libéré et accueillir la Galerie Nationale d’Art ancien.
[1] Thomas Villa. « La storia dell’incredibile Collezione Barberini e della sua dispersione ». In « Artribune ». 16/06/2023.
[2] Idem. Ce n’est pas sans faire penser à une déclaration péremptoire et absurde d’un candidat à la présidence de la République Française sur les œuvres de Madame de Lafayette !
[3] Salvatore Settis. « Il museo cancellato ». In « La Repubblica ». 06/05/2005.