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Notes d'Itinérances
23 novembre 2023

Viêt-Nam - 1995 / 2023 (3/27). Le Viêt-Nam, une histoire de famille.

Liens familiaux – Et souvenirs de discussions familiales

 

 

Comme dans bien d'autres familles françaises, le Viêt-Nam s'était invité chez nous. Entre les deux guerres un grand-oncle était allé chercher fortune en Indochine. La chronique familiale veut qu’il ait occupé une place importante dans la société des transports urbains d’Hanoi. Mais il eut d’autres emplois, responsable de la concession Citroën de Hanoi, et j’ai aussi souvenir d’une photo, impossible à retrouver, où il livre des camionnettes Ford à des représentants de la Chine nationaliste de Tchang-Kaï-Chek, à un poste frontière sino-vietnamien !

 

Il est revenu en France en février 1951. Sa fortune ? De quoi s’acheter un bar-tabac dans sa région natale, en Lorraine. Mais, il rentrait aussi avec une épouse sino-vietnamienne et la fille de celle-ci. Je possède quelques photos de leur embarquement à Saigon (photo). Toutes deux, bien droites, souriantes, serrées l’une contre l’autre, sur la passerelle d’un grand paquebot, ma grand-tante habillée avec le pantalon et la tunique, l’aò-dài. Imaginaient-elles qu’elles ne retourneraient peut-être jamais dans leur pays ? 

 

En 1952, en Lorraine, la jeune fille est prise en photo habillée en vietnamienne d’opérette. Pas d’aò-dài mais une robe d’intérieur vaguement asiatique et, pour faire exotique, elle pose, un éventail dans la main, devant un paravent qui semble dissimuler un mur triste. Que son Viêt-Nam, chaud et humide, doit lui sembler loin dans cette ville de la Lorraine industrielle que je me représente bien froide. La très jeune fille épousera plus tard mon oncle. Que voulez-vous, le Viêt-Nam est aussi une affaire de famille !

 

Autre souvenir familial...

 

1954. Ce devait être une belle journée de printemps, car la fenêtre du salon était ouverte sur le jardin. La famille, composée de la sœur de mon père, son mari et ses enfants, mes grands-parents paternels, était venue passer le dimanche à la maison. Dans l’attente du repas, nous jouions, mes cousins et moi, dans le jardin du petit pavillon. Nous fûmes surpris par des cris provenant du salon et, inquiets, nous rentrâmes précipitamment, croisant dans le couloir, oncle, tante et grands-parents qui se rhabillaient. Au passage, ils saisirent mes cousins et partirent promptement. Je trouvais mes parents dans le salon, mon père avait sur la joue gauche trois longues balafres où le sang perlait : les traces laissées par les ongles de sa sœur ! Les grandes personnes s’étaient disputées suite à l’ouverture des pourparlers de paix au Vietnam !

 

Au début du siècle, circulait une caricature représentant, dans une première vignette, une grande famille installée autour d’une soupière fumante. Les invités sont manifestement heureux d’être ensemble et se préparent à un bon repas. Horreur, la seconde vignette nous montre tous ces joyeux convives en train de s’invectiver et de se battre. La légende précise sous la première illustration : « Affaire Dreyfus, ils n’en ont pas parlé », et sous la seconde : « Ils en ont parlé » ! Je venais d’assister à la même scène, le thème n’en était plus l’affaire Dreyfus mais l’ouverture de la Conférence de Genève avec le Vietminh [1] ! Mon père avait eu la faiblesse d’approuver les négociations et de se réjouir de la fin prévisible de la guerre.

 

Beaucoup plus tard, je pris connaissance de cette analyse écrite en 1925 :

 

« Si nos hommes d’État, nos Gouverneurs cédant à la pression des profiteurs de la colonie, appliquent en Indochine, une politique de force, s’ils refusent d’accorder à l’indigène des droits plus étendus, s’ils ne font rien pour augmenter son bien-être et le considèrent plus longtemps comme l’outil vivant uniquement chargé de les enrichir, la France, avant trente ans, aura perdu son plus bel empire » [2].

 

Et cela s’est effectivement passé ainsi. Après avoir constamment cédé aux pressions des colons, après avoir essayé les politiques de force avec le bombardement d’Haiphong (1946) et tenté l’écrasement des forces Vietminh sur les hauts plateaux à Dien-Bien-Phu (1954), exactement 30 ans après cette déclaration prémonitoire, l’Indochine était indépendante, causant, entre autres, la fin de nos jeux par une belle journée de printemps. Mais c’était là le moindre des problèmes.

 


[1] Conférence de Genève sur l’Indochine. 26/04/1954 – 20/07/1954.

[2] Roland Dorgelès. « Sur la route mandarine ». 1925.

 

Liste des articles sur Viêt-Nam du nord au sud

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