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Notes d'Itinérances
14 décembre 2023

Viêt-Nam - 1995 / 2023 (23/27). Le delta du Mékong et My Tho.

Aujourd’hui paradis et hier, enfer ?

 

 

Autrefois My Tho était une ville de garnison de l’armée française et le terminus d’une petite ligne de chemin de fer qui la reliait à Saigon. 

 

« Un de ces semblants de patrie égarés au milieu de la grande brousse asiatique... » [1]

 

… où Pierre Loti entend, dans la promenade du soir, des voix aux accents d’Aunis et de Gascogne et où il prendra une « mouche à vapeur » pour remonter le Mékong jusqu’au grand lac, le Tonlé Sap, pour y visiter Angkor.

 

Promenade en bateau sur un des bras du Mékong, le Ham Luông. Le Mékong, d’un torrent montagneux, devient un large fleuve jaunâtre, brassant les limons dans la plaine cambodgienne, puis dans les entrelacs de ses bras, de ses arroyos et canaux de son delta. Il ira mourir dans la mer de Chine, dans le fouillis des palétuviers, après un périple de plus de quatre mille kilomètres.

 

Accostage à l’île de Thai Son ; une mince butte de terre ferme dans ce malstrom de limon et un véritable paradis tropical : cocotiers, manguiers, bananiers, longaniers, sapotilliers, papayers, ananas, jaquiers, durians... fruits doux, sucrés, âcres... 

 

Cette zone du delta du Mékong paraît aujourd’hui un paradis paisible : canaux tranquilles, glissement des pirogues, balancement des feuilles de palme dans le vent, scènes de récolte et de battage du riz. Elle fut un enfer pendant les guerres d’Indochine et du Viêt-Nam.

 

« - Et ici dans le Sud ?

- Les Français contrôlent les routes principales jusqu’à sept heures du soir ; après cela ils contrôlent les tours de guet, et les villes partiellement. Cela ne veut pas dire qu’on y soit en sécurité, sans quoi il n’y aurait pas de grilles de fer devant les restaurants » [2].

 

Dans la région de My Tho, notamment sur l’île d’An Hoa, les Français s’appuyaient sur des milices privées armées comme les Unités Mobiles de Défense des Chrétientés (UMDC) organisées par un métis franco-vietnamien, Jean Leroy, propriétaire d’un domaine sur l’île. Cette milice aurait regroupé jusqu’à 25 000 hommes en 1951. 

 

« Ce petit état médiéval commandé par un jeune métis, le colonel Leroy, qui lisait Tocqueville, entretenait des danseuses, et attaquait les communistes de son district avec une soudaineté et une cruauté de tigre » [3].

 

Il y eut bien d’autres milices privées dans la région, plus ou moins liées à des mouvements religieux sectaires, Hoa Haos, Caodaïstes, Binh Xuyen, avec à leur tête de petits seigneurs de guerre locaux.

 

La région fut aussi un enfer pour les GI’S : chaleur et humidité, eau et boue des rizières, milieu inconnu, hostile où le foisonnement tropical est déjà, en soi, une menace, ennemi insaisissable et pourtant toujours présent, mais enfer aussi pour les Viêt-Congs. En face de l’île de la Licorne, c’est Bên Tre, où les combats entre Américains et Vietnamiens furent terribles. Faute de pouvoir s’y maintenir, les forces U.S décidèrent de raser systématiquement l’ensemble de la zone. L’un des officiers américains aurait alors déclaré qu’il « fallait détruire la ville pour la sauver » [4] !

 


[1] Pierre Loti. « Un pèlerin d'Angkor ». 1901.

[2] Graham Greene. « Un américain bien tranquille ». 1955.

2023. Le témoignage de mon oncle confirme cette affirmation de Graham Greene. Entre Saigon et My Tho, en 1951 déjà, les routes ne pouvaient plus être empruntées que de jour et par des convois militaires. La nuit, les fortins militaires qui s’échelonnaient tout au long de la route étaient très régulièrement attaqués.

[3] Graham Greene. « Un américain bien tranquille ». 1955. Préface.

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