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Notes d'Itinérances

20 mai 2024

Campo Marzio - Piazza di Spagna et Pincio (8/25). Place, palais et rampe Mignanelli.

Le souvenir d’un krach bancaire

 

 

La piazza Mignanelli, un diverticule de la place d’Espagne, tire son nom du Palazzo Mignanelli qui ferme la place (photo). Construit vers 1575 par l'architecte Moschetti pour la famille Gabrielli, il devient la propriété des Mignanelli en 1615. Le palais est situé à l’emplacement des « Horti Luculliani »[1], les luxueux jardins construits sur les pentes du Pincio, entre 66 et 63 av. J-C, par Lucius Licinius Lucullus, et constitués d'une série de terrasses, terminée en hémicycle à hauteur de la Piazza Mignanelli. 

 

À l'origine, le palais comprenait deux étages, divisés horizontalement lesquels ne s'élevaient que sur la moitié droite du bâtiment actuel. En 1887, le palais a été agrandi, surélevé d’un étage, et la façade refaite. Le portail, voûté en bossage, est orné de deux putti en stuc supportant un globe terrestre avec les lettres SCPF pour Sacra Congregazione di Propaganda Fide (Congrégation Sacrée pour la Propagation de la Foi). De 1834 à 1865, le bâtiment a été loué à la Banca Romana, comme le rappelle le poème de Giuseppe Gioachino Belli (1791 / 1863) écrit en romanesco.

 

Dar popolo pe annà a li Du Macelli

su la Piazza de Spagna a mmano manca

in fonno a la piazzetta Mignanelli

ve viè de petto ‘na facciata bbianca.

Lì, a lettere più granne de girelli

tutti ‘ndorati, ce sta scritto Banca

Romana. Ebbè, currete, poverelli,

che de priffete lì nun ce n’amanca.

Sta banca inzomma è ‘na scuperta nova

pe dispenzà quadrini a chi li chiede

in qualunque abbisogno s’aritrova.

Sortanto c’è che sta Banca Romana

com’ha detto quarcuno che ciaggnede

capisce poco la lingua itajana [2]

Du Popolo à celle du Macelli

Sur la place d’Espagne à main gauche

au fond de la placette Mignanelli

vous vous trouverez devant une façade blanche.

Là, en lettres plus grosses que des moulinets

tout dorés, est écrit Banca

Romana. Alors, courez, pauvrets,

car il ne manque pas d'argent là-bas.

Cette banque est une nouvelle découverte

pour distribuer de l'argent à qui le demande

quel que soit le besoin où il se trouve.

Seulement cette Banque Romaine

comme l'a dit quelqu'un qui y est allé

comprend peu la langue italienne

 
 
La Banca Romana, anciennement Banca dello Stato Pontificio (Banque de l’État Pontifical), a été créée par des investisseurs français (d’où l’illusion de Belli !). Après la création de l’unité italienne, en 1870, elle était l'une des six institutions bancaires émettrices de monnaie du Royaume d'Italie. Avec la fin du boom de la construction à Rome au début des années 1890, plusieurs banques, qui avaient soutenu des programmes pharaoniques de construction, se sont retrouvées dans une situation où, pour éviter la faillite, elles eurent recours à des prêts importants auprès des six institutions bancaires émettrices. Pour éviter un crash, ces dernières avaient été autorisées à augmenter la circulation monétaire. Si toutes semblent avoir dépassé les plafonds autorisés, la Banca Romana, elle, avait doublé la monnaie mise en circulation en émettant illégalement des billets de banque numérotés comme des billets légaux. Elle avait, en outre, accordé des prêts très favorables à des ministres et des politiciens. Le scandale éclata en 1892 provoquant la faillite de la banque, la suspension de la convertibilité de la Lire, et une crise politique majeure.

 

Aujourd'hui, le Palazzo Gabrielli-Mignanelli est surtout célèbre pour être la résidence romaine du créateur de mode Valentino ainsi que le siège de sa maison de couture.

 

Au fond de la placette, à gauche, la rampe Mignanelli permet d’atteindre les hauteurs du Pincio, les via Gregoriana et Sistina, et l’église de la Trinità dei Monti par une série de petits escaliers.

 


[1] Henri Broise, Vincent Jolivet. « Recherches sur les jardins de Lucullus ». In « L'Urbs : espace urbain et histoire (Ier siècle av. J.-C. - IIIe siècle ap. J.-C.) ». Actes du colloque international de Rome (8-12 mai 1985). 1987. 

[2] Giuseppe Gioachino Belli. « La cassa de sconto ». 1834. Cité par le site RomaSegreta. « Piazza Mignanelli ». Traduction personnelle…

 

 

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18 mai 2024

Campo Marzio - Piazza di Spagna et Pincio (7/25). Le musée missionnaire et la chapelle des Rois mages.

Déception au nouveau musée missionnaire – Un plafond à l’architecture imaginative

 

 

En passant le porche du palazzo di Propaganda Fide, on pénètre dans le territoire de l’État du Vatican, ce qui se manifeste dans l’habit du gardien qui présente, sur sa veste et sa casquette d’uniforme, un blason brodé des clefs de Saint-Pierre. Mais, de clefs pour ouvrir la chapelle, il fut longtemps difficile d’en obtenir ! Le seul moment où il était possible de visiter la chapelle des Rois-Mages, c’était pour la messe de 7h30 ! Autant dire que, malgré mon intérêt pour les œuvres borrominiennes, je n’avais jamais pu le faire. Avec l’ouverture au public du musée missionnaire, en décembre 2010, la visite est désormais facile. Toutefois, exception faite de l’attrait de l’architecture intérieure du palais, la visite du musée s’avère très décevante. Compte-tenu de la riche histoire des missions évangéliques dans les différentes parties du globe, effectuées depuis un demi-millénaire, on pouvait s’attendre à y voir des documents anciens, curieux ou révélateurs de leurs évolutions, objectifs, moyens, résultats, difficultés, échecs, erreurs…

 

Rien de cela ! Le musée propose une vision traditionnelle et superficielle des actions d’évangélisation avec force photos des déplacements dans le monde des derniers souverains pontifes et quelques souvenirs de missions évangélisatrices aventureuses aux iles philippines ainsi que des tableaux ou des objets pour décrire la vie familiale et traditionnelle au Japon. De réflexion sur « la mission évangélisatrice », que nenni, rien que de l’image d’Épinal ! Rattrapez-vous de votre déception avec un coup d’œil sur la chapelle des Rois-Mages qu’il est possible d’admirer des fenêtres du premier étage. Elle présente un plafond souligné de nervures croisées, en forte saillie, enrichissant d’une nouvelle manière le langage architectural interne des plafonds romains pourtant riches en inventions décoratives. C’est un espace rectangulaire adoucis par des angles concaves arrondis, surmonté d’un plafond bombé. Les pilastres colossaux qui rythment les murs de la chapelle se poursuivent au plafond en nervures obliques, entrecroisées (photo). Le croisement des nervures donne à la chapelle une dynamique presque gothique. Ce que ne manquait pas de souligner Le Bernin qui prenait plaisir à traiter l’œuvre de Borromini de « gothique ». Autant dire, pour ces hommes issus et nourris des œuvres de la Renaissance italienne : barbare ou arriéré. L’injure était d’autant plus malveillante que « gothique » pouvait signifier aussi « allemand », donc luthérien, ce qui revenait quasiment à être traité d’hérétique au lendemain de la victoire de la Montagne Blanche (1610) !

 

Les grands hommes ont aussi leurs petites faiblesses, et ces deux-là, Bernini et Borromini, se sont empoisonnés régulièrement la vie, dénigrant, voire détruisant, leurs œuvres réciproques. Borromini fit notamment détruire la chapelle des Rois mages qui avait été construite par Le Bernin dans le palais quelques années plus tôt. A l’époque, la papauté gaspillait avec une aisance souveraine l’argent qu’elle récoltait auprès des peuples d’Europe en faisant détruire une église remarquable peu de temps après son érection. Borromini serait également largement responsable de la démolition d’un campanile ajouté à la façade de la basilique Saint-Pierre par Bernini suite à l’apparition de lézardes sur le monument. De son côté Bernini savait récupérer le projet de fontaine de la piazza Navona sous le nez de Borromini !

 

Ce n’est malheureusement pas le dernier scandale qu’a connu le palais de Propaganda Fide. En 2005, le gouvernement Berlusconi a octroyé 5 millions d'euros[1]. pour restaurer le palais, lequel n’est pas situé sur le territoire national mais sur celui du Saint-Siège, alors que le patrimoine immobilier de la Congrégation pour la Propagation de la Foi est estimé à neuf milliards d’euros. A ce premier scandale vint s’en ajouter un second. Les 5 millions d'euros de financement public n’ont pas été utilisés pour les objectifs qui leurs avaient été assignés[2].. En 2010, la justice italienne a mis en examen le cardinal Crescenzio Sepe, alors président de la Congrégation, pour corruption et trafic d'influences dans les marchés publics[3]. !

 


[1] La Repubblica. « Propaganda Fide, il museo delle polemiche realizzato con i fondi concessi da Lunardi ». 19/10/2010.

[2] Voir « Le Vatican, un paradis financier dans la tourmente ».  « Capital ». 29/04/2011.

[3] Benoit XVI aurait « éloigné » le cardinal en le nommant cardinal-évêque à Naples. Il n’y a pas eu de suite judiciaire.

 

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16 mai 2024

Campo Marzio - Piazza di Spagna et Pincio (6/25). Le palazzo di Propaganda Fide.

Sur la place, une façade du Bernin et, sur le côté, de Borromini

 

La piazza di Spagna se termine avec la façade du palais de la Sacra Congregatio de Propaganda Fide. La Congrégation a été fondée en 1542 sous le nom de « Sacrée congrégation de l'inquisition romaine et universelle » dont la mission était de lutter contre les hérésies et d’évangéliser les peuples.

 

« Le collège de Propaganda Fide, où l’on engraisse des missionnaires pour donner à manger aux cannibales. C’est, ma foi ! un excellent ragoût pour eux, que deux pères franciscains à la sauce raide. Le capucin en daube se mange aussi comme le renard, quand il a été gelé »[1].

 

La Congrégation a été présidée, de 1981 à 2005, par le cardinal Ratzinger, devenu pape sous le nom de Benoît XVI[2]. Le palais Ferratini, érigé place d'Amelia (aujourd’hui extrémité sud de la piazza di Spagna), fut donné en 1625 par un évêque espagnol, membre de la Congrégation, pour servir de siège à l’institution et lui permette d’accueillir un collège afin de former les missionnaires chargés de diffuser la bonne parole dans le monde. L’année suivante, la Congrégation acheta tous les jardins avoisinants de l’ilot. Le Cardinal Antonio Barberini, frère du pape régnant, souhaita édifier une église dédiée à l'Adoration des Rois Mages, reliée au palais, et dont le projet fut confié au Bernin, l’architecte préféré d’Urbain VIII (le pape qui fit condamner Galilée ; comme quoi on peut apprécier les audaces architecturales mais pas scientifiques). Le Bernin réalisa une église de forme elliptique, à l’image de Sant'Andrea al Quirinale. Elle fut jugée « merveilleuse » par les contemporains. Parallèlement, il devenait nécessaire de reprendre le vieux palais Ferratini, miné par l’humidité. Le projet et sa réalisation furent naturellement confiés au Bernin avec notamment l’érection d’une façade d’une facture sobre, agrémentée seulement de pilastres en forte saillie (1642 / 1644, photo).

 

Toutefois, dès 1646, les travaux à peine terminés, il apparut indispensable d’agrandir le palais rénové et le nouveau pape, Innocent X Pamphili (1644 / 1655) confia le projet à Borromini. Celui-ci proposa un grandiose édifice, occupant tout l’ilot, comprenant une nouvelle église, une imprimerie, un hospice pour les évêques et de nouvelles chambres destinées aux élèves du collège. Après bien des discussions et modifications le projet fut décidé (1652), remodelant l’ensemble, la nouvelle chapelle étant symboliquement située au milieu de l’édifice, entre le collège et le siège de la congrégation. Conséquence : la démolition de l’église du Bernin construite quelques années plus tôt. L’église se trouvait, comme par hasard, tout près du logement de Bernini (Via della Mercede) et ce n’est donc pas sans jubilation que Borromini dut la faire démolir quasiment sous son nez !

 

La façade latérale du palais, via di Propaganda Fide, est également de Borromini (1662 / 1666). Sur cette rue étroite et rectiligne, Borromini développe une haute façade, en sept travées, rythmée par des pilastres colossaux, dont il incurve légèrement la partie centrale pour en rompre la monotonie. La façade est également brisée dans sa hauteur par une corniche en forte saillie. Ce qui n’aurait pu être qu’une longue et insignifiante façade sur une rue sombre devient un décor mouvant par le jeu du haut porche incurvé, des profondes fenêtres aux jambages de colonnes géminées, aux frontons arrondis ou surmontés d’œil-de-bœuf, de la corniche et des consoles saillantes. Il faudrait encore signaler les colonnes encadrant le porche, carrées, aux larges et profondes cannelures, placées de biais, qui s’évasent progressivement vers le haut. Chaque détail, par le jeu des formes et des saillies, emprisonne ou renvoie la lumière accentuant encore les effets de relief.

 

Après le décès de Borromini (1665) la construction fut poursuivie sur la partie Sud (côté Sant’Andrea delle Fratte, via della Mercede) d’une manière plus conventionnelle.

 


[1] Président de Brosses. « Lettres d’Italie ». 1740. Un humour acide et irrespectueux bien français !

[2] Avec l'entrée en vigueur de la constitution apostolique Praedicate evangelium, le 5 juin 2022, la congrégation a disparu et fusionne avec le Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation pour former le dicastère pour l'évangélisation. Celui-ci a pour rôle l'évangélisation dans le monde face à la sécularisation progressive de la société et l'établissement, l'accompagnement des nouvelles Églises particulières.

14 mai 2024

Campo Marzo - Piazza di Spagna et Pincio (5/25). La Barcaccia et la colonne de l’Immaculée Conception.

Le triomphe de l’eau sur la  pierre - Le dogme de l'Immaculée Conception 

 

 

Au pied de l’escalier de la Trinità dei Monti, la fontaine de la Barcaccia est une des plus extraordinaires de Rome qui n’en manque pourtant pas ! Elle représente une barcasse enfoncée dans le sol de la place, comme un bateau abandonné et enlisé (photo). C’est une œuvre de Pietro Bernini (père de Gian Lorenzo Bernini) qui en dessina le plan (1627)[1]. Elle porte le blason aux abeilles du pape Urbain VIII Barberini (1623 / 1644).

 

 « Toutes les fontaines du monde marquent ainsi le triomphe de la pierre sur l’eau. Toutes les fontaines sauf la Barcaccia, où c’est le contraire qui se produit. La vasque de pierre est taillée en sorte que l’eau en déborde de partout : on dirait une embarcation en train de couler »[2].

 

Les explications sur cette très étonnante fontaine ne manquent pas. Pour les uns, elle serait le rappel de l’échouage d’un bateau suite à la terrible inondation de 1598. Une barcasse, chargée de pièces de vin, portée par la crue à partir du port de Ripetta, serait venue s’échouer piazza di Spagna. Pour d’autres, elle rappelle que l'endroit était utilisé pour des naumachies dans l’antiquité. Pour les derniers enfin, il fallait résoudre un problème technique, celui du manque de pression dans la conduite de l’Acqua Virgine et donc construire une fontaine la plus basse possible[3].. Peu importe la raison, le résultat est magique : une fontaine douce et intime, à l’opposé des fontaines orgueilleuses et grandioses.

 

« Chaque fois que je la vois, il me semble me trouver devant l’allégorie de notre insignifiance mais aussi de notre volonté de résister envers et contre tout. Ce n’est ni un galion sillonnant toutes voiles dehors les océans, ni un vaisseau voguant vers l’île au trésor : c’est une barge qui prend l’eau de toutes parts, qui semble sur le point de couler dans la mer étale des pavés, à cent mètres d’un rivage invisible »[4]..

 

En face de l’ambassade d’Espagne se dresse la colonne de l'Immaculée Conception que Pie IX Ferretti (1846 / 1878) a fait ériger en 1857 en l’honneur du dogme défini trois ans plus tôt.

 

« Une mère cependant tout à fait particulière, choisie par Dieu pour une mission unique et mystérieuse, celle d’engendrer à la vie terrestre le Verbe éternel du Père, venu dans le monde pour le salut de tous les hommes »[5]

 

Il n’est que « justice » que la colonne soit dressée sur la place d’Espagne compte-tenu du rôle pilote joué par ce pays dans la création de ce dogme récent. Les évangélistes font peu de cas de Marie, seul Luc décrit l’Annonciation par l'archange Gabriel et la conception immaculée de la vierge[6]. Sur une base de marbres polychromes sont représentés les statues des quatre prophètes, Moïse, David, Esaïe et Ézéchiel, et quatre bas-reliefs illustrant la définition du dogme, le rêve de St-Joseph, le Couronnement de Marie et l’Annonciation. La colonne de cipolin rouge, haute de 11 mètres, est surmontée d’une gigantesque statue de laiton et de bronze de la Vierge. Lors de l’inauguration, avait été dressée une tribune provisoire, ornée de colonnes, pilastres et pinacles, en bois, papier mâché et plâtre. Sur cette tribune étaient alignés prélats, évêques, cardinaux de la Curie et le pape. Tous firent leur révérence à la statue, ce qui fit sourire le petit peuple romain irrévérencieux : le sculpteur de la statue de la Vierge ayant utilisé les traits de sa belle-mère pour modèle ! Comme le veut la tradition depuis 1923, chaque 8 décembre, jour de l’Immaculée Conception férié en Italie, à 7h00, les sapeurs-pompiers de Rome montent au sommet de la statue pour déposer une guirlande de fleurs au bras de la Vierge, puis il est rendu hommage à la Vierge par des défilés.

 

[1] Sovrintendenza capitolina ai Beni Culturali. « La fontana della Barcaccia ».

[2] Dominique Fernandez. « Le voyage d’Italie – Dictionnaire amoureux ». 1997.

[3]Francesco Milizia, Jean-Claude Pingeron. « Vies des architectes anciens et modernes qui se sont rendus célèbres chez les différentes nations ». 1771.

[4] Marco Lodoli. « Nouvelles îles – Guide vagabond de Rome ». 2014.

[5] Dogme réaffirmé par Benoit XVI. Discours du 08 décembre 2007, place d’Espagne.

[6] Évangile selon Saint Luc, chapitre I, versets 26 – 38.

 

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12 mai 2024

Campo Marzo - Piazza di Spagna et Pincio (4/25). L'escalier della Trinità dei Monti.

Pomme de discorde entre Français, Espagnols et papauté

 

 

Avec le développement de la ville au XVIIe siècle, la nécessité de relier le sommet du Pincio aux quartiers situés à ses pieds était de plus en plus grande car il fallait alors passer par des ruelles (via Sebastianello) ou des escaliers étroits (rampa Mignanelli). Mais les papes s’y opposaient pour éviter de donner de l’importance à la France dont la Trinità dei Monti était une des églises. De plus, en contrebas, était située l’ambassade d’Espagne, vieille rivale du Royaume de France ! La signature du traité des Pyrénées, en 1659, mettant fin à la guerre et scellant la « nouvelle amitié » entre les deux pays, était l’occasion de créer cette liaison. Le cardinal Mazarin, qui avait passé sa jeunesse à Rome, voulait faire de cet escalier le symbole de la gloire de la monarchie française à Rome. On élabora un projet grandiose, dominé par la statue équestre de Louis XIV. Etienne Gueffier, représentant du Roi et qui habitait non loin, s’inquiétant du développement de la présence espagnole, aurait pris l’initiative de proposer cette construction en offrant 20 000 écus en 1660 ! Mais trop, c’était trop et le pape Alexandre VII Chigi (1655 / 1667) s’y opposa.

 

Ni la mort de Mazarin, en 1661, ni celle du pape, en 1667, ne mirent fin aux querelles d’autant qu’elles se doublaient régulièrement de démêlées entre Espagnols et Français qui manifestaient leurs puissances réciproques. Fin 1661, les Français firent réaliser une liaison provisoire entre les deux zones, au prétexte de la naissance du Dauphin, et y donnèrent une fête fastueuse. Piqué au vif, l’ambassadeur d’Espagne organisa à son tour une fête grandiose, Place d’Espagne, en février 1662, laquelle coûta une fortune (8 000 écus), à l’occasion de la naissance de l’Infant d’Espagne, datée pourtant de novembre de l’année précédente ! En 1666, les pères Minimes firent apposer sur la façade de l’église de la Trinità dei Monti un écu de marbre aux armes du Royaume de France au nez des Espagnols « qui ne sauroient metre la teste aux fenetres de leurs palais respondents sur la place qu’ils n’ayent c’est object devant leurs yeux ». De 1683 à 1687 l’ambassade d’Espagne étant sans titulaire, les Français en profitèrent pour disposer des dispositifs scéniques sur la colline pour des motifs les plus divers : la signature de l’Édit de Fontainebleau qui révoquait l’Édit de Nantes, ou à l’occasion de la santé recouvrée du souverain ! Mais l’ambassadeur d’Espagne, de retour en 1687, ne voulut pas être en reste et il donna une fête somptueuse sur la Piazza di Spagna pour l’anniversaire de la reine[1].

 

À la suite d'un concours en 1717, les escaliers sont imaginés par un quasi-inconnu, le Romain Francesco de Sanctis (1679 / 1731)[2], dont le projet reçu l’assentiment de Louis XV. Le conflit fut finalement résolu en 1723 par Innocent XIII Conti (1721 / 1724) et le chargé des affaires du roi Louis XV à Rome, le cardinal Pierre Guérin de Tencin, sur la base du projet de l'architecte de Sanctis. Les Français abandonnaient finalement l’idée de la statue équestre royale mais le projet de Sanctis fut modifié en écartant certaines propositions originales de son projet comme les grandes fontaines aux paliers de l’escalier et la rangée d'arbres de chaque côté qui aurait apporté de l'ombre et de la fraîcheur aux personnes empruntant l’escalier. L'escalier de la Trinité-des-Monts, construit de 1723 à 1726, a néanmoins hérité du baroque le goût des perspectives et du trompe-l’œil. Il descend de l'église comme une cascade de travertin qui s’écoule d’abord en deux bras, se nouent, se séparent à nouveau et s’étalent finalement en un large delta vers la fontaine de la Barcaccia et la Via dei Condotti (photo). La succession irrégulière de courbes et d'interruptions résolvent le problème de la transition entre la façade de l'église de la Trinità dei Monti et la fontaine de la Barcaccia qui ne sont pas alignées l’une avec l’autre. En bas de l’escalier, en relief sur des boules de pierre, les aigles d'Innocent XIII Conti font face aux lys de France, rappelant les luttes diplomatiques acharnées et l’accord final entre le Saint-Siège et la France[3]. Après toutes ces querelles entre Espagnols et Français, en bas de l’escalier, c’est maintenant un troisième larron qui marque sa présence ! La maison de droite était celle des poètes anglais Keats et Shelley, celle de gauche est occupée par le Babington's Tea Room, premier salon de thé de Rome créé sur l’initiative de deux sœurs anglaises.

 


[1] Charles Mazouer. « Les lieux du spectacle dans l’Europe du XVIIe siècle ». 2006.

[2] Francesco de Sanctis. « Dizionario Biografico degli Italiani ». Sa seule œuvre connue est l'élégante façade de l'église de la Trinità dei Pellegrini, au profil concave (1722).

[3] Attention ! Un jugement (février 2024) rappelle qu’il est interdit de s’asseoir sur l’escalier sous peine d’amende !

 

10 mai 2024

Campo Marzio - Piazza di Spagna et Pincio (3/25). Le palais Monaldeschi, ambassade d’Espagne.

Un territoire disputé

 

 

Le palais, initialement loué, fut acheté par l’Espagne en 1642, puis agrandit et restructuré en 1654 / 1656. Les diplomates espagnols décidèrent de rénover le palais en 1653, en confiant les travaux à Antonio Del Grande qui utilisa probablement des dessins de Borromini, à qui on avait demandé un projet, mais que celui-ci n'exécuta pas car il était engagé dans d'autres chantiers. La façade fut modifiée au cours du XIXe siècle. Le bâtiment conserve aujourd'hui sa fonction de résidence et de bureaux de l'ambassadeur d'Espagne près le Saint-Siège (photo).

 

Les terrains situés aux alentours de l'ambassade d'Espagne étaient considérés sous contrôle espagnol, ce qui valut plus d’une mésaventure aux grandes puissances de l’époque, la France, l’Espagne et l’Empire Romain-germanique. C’est que, dans la Rome papale, chaque grande puissance entretenait ses palais et sa milice pour surveiller ses territoires, faisant la « police » alentour. Saint-Simon raconte[1] que, le soir de la victoire du Prince Eugène contre les Turcs à Pétrovardin (août 1716), les partisans du Saint-Empire romain germanique « promenèrent par les rues divers signes de victoire, entre autres un char à la manière des anciens triomphes ». Passant par la piazza di Spagna, avec de nombreux soldats, les Espagnols se crurent attaqués firent « charger et dissiper tout cet attroupement ». L’évènement qui, semble-t-il, ne fit pas de morts, fut l’occasion d’une grande colère du pape. Cela se termina par une négociation entre le souverain pontife et le représentant de l’Espagne, puis des grandes puissances qui acceptèrent que chacun pu passer où bon il voulait et que, désormais, les ambassades seraient protégées par des « sbires » de la papauté.

 

Il faut croire que l’accord ne fut guère respecté car, en 1745, suite à l’élection de François Ier comme empereur Romain-germanique (l’époux de Marie-Thérèse de Habsbourg, archiduchesse d’Autriche souvent appelée « l’impératrice » Marie-Thérèse), le parti de l’Empire décida d’organiser une mascarade dans la ville. En passant devant le palais du Cardinal de La Rochefoucauld, chargé de représenter les affaires de la France, la foule poussa des cris auxquels La Rochefoucauld répondit en envoyant des piécettes d’argent. La mascarade se rendit alors piazza di Spagna dans l’espoir d’obtenir le même traitement du représentant de l’Espagne, le cardinal Troyano Francisco Acquaviva de Aragon y Spinelli (ouf !). La foule réclama la présence du cardinal au balcon mais, au moment où celui-ci parut, une vingtaine de coups de fusils furent déchargés sur la foule faisant de nombreux morts et blessés. Pendant que la foule s’échappait et se réorganisait pour prendre d’assaut le bâtiment, le cardinal fit mettre en batterie devant le palais quatre canons chargés de mitraille, dissuadant la manifestation de toute velléité d’assaut[2].

 

« Après ce coup vigoureux, le cardinal Acquaviva ne fut que plus respecté dans Rome, et il savait se défaire, de façon ou d’autre, de ceux qui lui faisaient ombrage »[3].

 

Mais les anecdotes les plus fréquentes sur les rivalités entre grandes puissances européennes portent sur les velléités des Français de faire construire un escalier pour rejoindre l'église de la Trinità dei Monti, alors territoire français, sans passer par des ruelles tortueuses. Espagnols et Français, alors fréquemment en guerre, se narguaient régulièrement en organisant des fêtes fastueuses qui sur la piazza di Spagna, qui à la Trinità dei Monti[4].

 

Les papes s’opposaient également au projet d'escalier sur la Trinità dei Monti c’était accorder de l’importance à la France, l’église de la Trinità dei Monti ayant une position pour le moins dominante, qui plus est, il était proposé d’y ériger une statue équestre de Louis XIV ! Il fallut plus de soixante années de négociations par les représentants des rois de France, de 1660 à 1726, et l’abandon du projet de statue du roi, pour passer du financement du projet à sa réalisation.

 

 


[1] Saint Simon. « Mémoires complets et authentiques du Duc de Saint-Simon sur le siècle de Louis XIV et la Régence ». Tome 14.

[2] Charles Duclos. « Voyage en Italie ou Considérations sur l’Italie ». 1791.

[3] Stendhal. « Promenades dans Rome ». 1829.

[4] Charles Mazouer. « Les lieux du spectacle dans l’Europe du XVIIe siècle ». 2006.

 

 

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8 mai 2024

Campo Marzio - Piazza di Spagna et Pincio (2/25). La Piazza di Spagna (Place d’Espagne).

La place d'Espagne et ses guerres picrocholines

 

 

La place, qui doit son nom à la présence de l’ambassade d’Espagne, est composée de deux triangles accolés par leurs sommets, lui donnant une forme de papillons aux ailes de tailles inégales. Elle présente plusieurs diverticules comme la place Mignanelli ou l’impasse qui sert de sortie au métro. Située au pied de la colline du Pincio, elle est célèbre par l’extraordinaire composition urbanistique qu’elle propose avec le somptueux escalier baroque qui grimpe sur la colline, dominé par un obélisque et la façade de l’église de la Trinità dei Monti, et, en contrebas, une des plus étranges fontaines romaines, la fontaine de la Barcaccia (photo).

 

« On connaît le symbolisme de la Place d’Espagne. De la « Barcaccia » jusqu’à l’église de la Trinité-des-Monts, l’organisation de l’espace indique un itinéraire à suivre. En bas, la fontaine en forme de barque qui fait naufrage, image de la condition humaine déchue. Puis, l’interminable escalier, métaphore de l’ascèse nécessaire pour faire son salut (…). Enfin, tout en haut, l’obélisque planté par Pie VI, doigt levé vers le ciel et invitation à entrer dans l’église »[1].

 

Mais cette fabuleuse composition urbaine ne s’est réalisée que très graduellement, sur plusieurs siècle[2]. Au début XVIe siècle, la zone de la place était située en marge de la ville moyenâgeuse et la première initiative d'aménagement revient à Charles VIII, roi de France, qui achète, en 1494, un terrain en haut de la colline pour y construire une église. Au pied du Pincio, l’endroit se bâtit progressivement par suite du développement des activités portuaires à Ripetta et de la restauration de l’aqueduc de l’Acqua Vergine. En 1525, Clément VII Médicis (1523 / 1534) fait tracer une voie directe avec la piazza del Popolo, la via Clementia (aujourd’hui via del Babuino). En 1544, c’est Paul III Farnèse (1534 / 1549) qui fait ouvrir une rue rectiligne entre cette zone et le port de Ripetta, la Via dei Condotti (rue des conduites, par suite de l’aqueduc souterrain) et, en 1570, un grand réservoir d’eau y est construit pour développer les activités artisanales faute de pression pour y ériger une fontaine. A la fin du XVIe siècle, deux palais y sont construits, celui de la famille Ferratini, transformé plus tard en palais du Collège de Propaganda Fide, et celui appartenant aux barons Monaldeschi, acheté en 1622 par l’Espagne pour y établir son ambassade. Urbain VIII Barberini (1623 / 1644) reprend le projet d'une fontaine au bout de la via Condotti ; Pietro Bernini et son fils Gian Lorenzo, construisent la fontaine de la Barcaccia, point central de la place (1627).

 

Du fait de sa proximité avec l’entrée nord de la ville, la porta del Popolo, la place devient un lieu de repos pour les chevaux des diligences et, en conséquence, c’est souvent dans ce quartier, devenu très cosmopolite, que logent les étrangers. C’est notamment le cas pour De Brosses et ses amis qui y louent un appartement, les auberges à Rome étant, semble-t-il, alors rares et fort peu accueillantes[3]. A droite de l’escalier de la Trinità dei Monti, la « Casina Rossa » appartenait à une dénommée Anna Angeletti qui louait des chambres aux touristes en visite à Rome. C’est également ici que logea le poète anglais Keats accompagné de son ami le peintre Joseph Severn. La réputation d’accueil des étrangers se maintint longtemps…

 

« Le quartier de Rome habité par les étrangers, les forestiers comme on dit, est celui de la place d’Espagne avec ses rues environnantes, via Sistina, via Gregoriana. En effet, il n’y a guère que là qu’on trouve un peu de confort dans le logement et son ameublement ; ailleurs les appartements sont généralement meublés et distribués à la romaine c’est à dire de façon un peu trop primitive pour qui veut faire un long séjour à Rome »[4] !

 

Par suite des rivalités entre la France, l’Espagne et la papauté, l'escalier de la Trinità dei Monti, ne sera construit qu’en 1723 / 1726.

 

[1] Dominique Fernandez. « Le voyage d’Italie – Dictionnaire amoureux ». 1997.

[2] Elena de Leoni. « Nuove strade nella Roma del Cinquecento ». Banconota. N°92. Octobre 2018.

[3] Président de Brosses. « Lettres d’Italie ». 1740.

[4] Hector Mallot. « Comte du pape ». 1877.

6 mai 2024

Campo Marzio - Piazza di Spagna et Pincio (1/25). Autour de la piazza di Spagna.

Piazza di Spagna – Palais Monaldeschi – Escalier de la Trinità dei Monti - Barcaccia et colonne de l’Immaculée Conception – Palais de Propaganda Fide – Musée missionnaire et la chapelle des Rois mages – Place, le  palais et la rampe Mignanelli - Palais Zuccari et la Biblioteca Hertziana – Église de la Trinità dei Monti – Couvent de la Trinità dei Monti - Villa Médicis – Académie de France – Jardins de la Villa Médicis - Jardins du Pincio – Via Sistina - Théâtre Alibert et l’invention du théâtre à l’italienne – Complexe de Mérode - Via Margutta – Via del Babuino – Caffe Greco – Via Condotti – Les rues Bocca di Lione et Santa Croce

 

 

Voilà une promenade qui introduit à la Rome des années 1550 / 1750, celle de la fin de la Renaissance et de l’explosion du baroque, une Rome qui invente les nouvelles références artistiques européennes, celle des peintres, des architectes et des artistes du spectacle. Une Rome dans laquelle les grandes nations s’affrontent pour gagner en influence auprès de la puissance morale et politique que représente encore le Saint-Siège. Une Rome capitale du monde mais qui n’est qu’une petite ville de 100 à 200 000 habitants, une Rome catholique sûre d’elle, vivant sereinement de ses vastes domaines et de la rente des deniers de l’église alors que, progressivement, une partie de l’Europe lui échappe, la France devient la référence dans les arts, une nouvelle structure sociale et économique émerge, le mouvement des idées remet en cause tous les fondements de la société

 

Liste des promenades dans Rome et liste des promenades Piazza di Spagna et Pincio

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4 mai 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (20/20). Liste des articles.

 

Rome disparue – Rione Trastevere – Le canon du Janicule (1908)

 

Trastevere - Promenade sur le Janicule (1/20). Le pont Mazzini et les quais du Tibre - La prison Regina Cœli - La via della Lungara et San Giacomo alla Lungara - La Galerie Corsini - Le jardin botanique - La Farnesina - Le palais Torlonia - La porta Settimania et la via Garibaldi - Le Conservatorio Pio et Santa Maria dei sette dolori - Le Bosco Parrasio – Le « complexe espagnol » - San Pietro in Montorio - Le Tempietto – Le mausolée aux morts de 1849 et 1870 - La fontaine de l’Acqua Paola – La promenade du Janicule – La Villa Lante - Le chêne du Tasse

Le Pont Mazzini et les quais du Tibre (2/20). Des inondations catastrophiques - Les quais du Tibre, symboles d'une nouvelle politique

Entre prison et ONG de solidarité internationale (3/20).  La prison Regina Coeli - Une ONG italienne de développement rural 

La via della Lungara et San Giacomo alla Lungara (4/20). Un mémorial funéraire du Bernin

Le palais Corsini (5/20). L’Académie des Lyncéens et la Galerie Nationale d'Art Ancien

Le jardin botanique - Orto Botanico (6/20). Un jardin botanique ancien mais aussi très récent !

La Farnesina (7/20). La première Villa romaine - Raphael et La Fornarina

Le palais et la collection Torlonia (8/20). Un musée pour une collection privée et dissimulée

La Porta Settimania et la via Garibaldi (9/20). Le quartier de Rafael Alberti

Le Conservatorio Pio et Santa Maria dei Sette Dolori (10/20). Œuvres pieuses au pied du Janicule

Le Bosco Parrasio (11/20). L'Académie d'Arcadie - Les lieux de réunion de l’Académie

Le « complexe espagnol » du Janicule (12/20). Lycée et Académie espagnoles

San Pietro in Montorio  (13/20). Le lieu de la crucifixion de Pierre - Le corps de Béatrice Cenci

Le Tempietto de Bramante 14/20). Un des chefs-d'oeuvre de la Renaissance italienne

Le Monument aux morts tombés en 1849 et 1870 (15/20). Les révolutions de 1848 frappent aussi les Etats de l'Eglise - La République française au secours du pape ! 

La Fontaine de l'acqua Paola (16/20). Erection de la fontaine et pillage des ruines romaines

La promenade du Janicule et la piazza Garibaldi (17/20). Monument de Garibaldi - Théâtre de marionnettes 

La Villa Lante et le phare Manfredi (18/20). Une villa Renaissance – Un monument extravagant

Le chêne du Tasse et Sant’Onofrio al Gianicolo (19/20). Un lieu de pèlerinage pour les écrivains

Liste des articles (20/20).

 

Rome, Montpellier, Senlis, 2007 / 2024.

 

Liste des promenades dans Rome

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2 mai 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (19/20). Le chêne du Tasse et Sant’Onofrio al Gianicolo.

Un lieu de pèlerinage pour les écrivains

 

 

[1] Par la passegiata del Gianicolo, on redescend sur les bords du Tibre, pour rejoindre la basilique Saint-Pierre. Sur la droite, vous rencontrerez les restes du chêne sous lequel le poète Torquato Tasso, (Le Tasse, 1544 / 1595), aimait méditer. L'endroit, pittoresque et panoramique, est connu pour avoir donné refuge aux ultimes angoisses du poète à la fin de sa vie. Il n’avait que 51 ans. Il était venu à Rome à l'invitation du pape Clément VIII Aldobrandini (1592 / 1605) pour être couronné de lauriers au Capitole, comme Prince des poètes. Il mourut la veille de la cérémonie.

 

« Lorsqu’il se sentit près de mourir, Le Tasse se fit transporter ici ; il eut raison ; c’est sans doute un des plus beaux lieux du monde pour mourir. La vue si étendue et si belle que l’on y a de Rome, cette ville des tombeaux et des souvenirs, doit rendre moins pénible ce dernier pas pour se détacher des choses de la terre, si tant est qu’il soit pénible »[2].

 

Si le Tasse est mal connu des contemporains, il était d’une fréquentation régulière pour les écrivains du XIXe siècle. Tous les Chateaubriand, Stendhal, Zola, Goethe, Leopardi et beaucoup d’autres, vinrent ici en souvenir du poète. Las, du chêne, il n’existe plus qu’une misérable armature de fer qui dut le soutenir jusqu’à sa fin. Mais pire, le lieu est à l’abandon, avec des papiers et des canettes entassées dans les coins. Les Italiens auraient-ils oublié leur Prince des poètes ? Comment se fait-il que la municipalité romaine soit à ce point incapable d’entretenir le lieu, de le mettre en valeur, d’y planter un nouveau chêne ? Ce ne sera pas le chêne du Tasse ? Qu’importe. Le précédent n’était déjà pas celui sous lequel Le Tasse aimait à méditer ! Il avait été frappé par la foudre en 1843 et remplacé par un nouvel arbre. Ce qui compte c’est de souligner le fil d’une histoire. Il est vrai que l’Histoire, à Rome, est présente à chaque pas, mais avouez que la plantation d’un chêne et le nettoyage régulier du lieu ne serait pas trop lourd pour les finances de la cité[3] !

 

« Sur la seconde pointe du Janicule se dresse, comme un château-fort de la religion, le cloître de Saint-Onuphre ; Aræ pacis, aræ quietis, me répétais-je pendant que je gravissais la colline en pensant que c’était à cette forteresse inoffensive que le charmant Torquato Tasso était venu demander un abri contre les derniers assauts du monde. Ce cloître fut l’Ararat où s’arrêta enfin sa faible barque si longtemps noyée des pluies du ciel et si cruellement secouée par la marée de la vie ; c’est là qu’il fut surpris par la mort »Il mourut la veille de la cérémonie"[4] .

 

​​​En descendant, sur la gauche, Sant'Onofrio al Gianicolo a conservé son ancien aspect. L’église et le couvent avaient été érigés en 1439 sous la forme d'un ermitage. Le petit cloître du couvent a été construit au milieu du XVe siècle ; il comprend une galerie à arcades surmontée d’une autre galerie à l'étage supérieur. Les lunettes sous la galerie du cloitre ont été peintes avec des scènes de l’histoire de Sant'Onofrio, un ermite égyptien du IVe siècle, par le Cavalier d'Arpin (les quatre premières à droite) et son école à l'occasion de jubilé de 1600. A l'intérieur, l'église possède un petit musée qui rassemble des manuscrits, des éditions anciennes des œuvres du poète et son masque funéraire[5] . C'est ici que le poète décéda le 25 avril 1595. En son hommage, Sant'Onofrio est devenu l'une des étapes d'artistes et d'écrivains lors d'une visite à Rome.

 

Rome, Montpellier, Senlis, 2007 / 2024

 

[1]  Arthur John Strutt. La quercia del Tasso (le chêne du Tasse). 1843.

[2]  Stendahl. « Promenades dans Rome ». 1829.

[3]  Il Messaggero. « Che brutta fine ha fatto la quercia del Tasso ». 14/07/2016.

[4] Emile Montégut. « Souvenirs de Rome ». In « Revue des Deux Mondes ». Tome 86. 1870.

[5]  Selon le site Romanchurches « Ce doit être un candidat pour le musée le moins visité de Rome » : les visites se font uniquement sur rendez-vous, et les coordonnées (non officielles) sont : téléphone 06 6877341 /347, entre 16h00 et 18h00 le mardi uniquement.

 

Liste des promenades dans Rome. et liste des articles sur le Janicule

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30 avril 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (18/20). La Villa Lante et le phare Manfredi..

Une villa Renaissance - Un monument extravagant

 

 

Après la piazza Garibaldi, à droite, la Villa Lante est une belle villa du XVIe siècle comme la Farnesina, bien que plus modeste. Sa construction avait été commandée par le nonce pontifical Baldassarre Turini (1486 / 1543), fidèle secrétaire des papes Léon X de Médicis (1513 / 1521) et Clément VII de Médicis (1523 / 1534), lequel souhaitait disposer d’une villa moins exposée aux rigueurs estivales de la ville. L’architecte, Giulio Romano (Jules Romain), élève préféré de Raphaël, a fait travailler à la décoration de la villa Giovanni da Udine, Polidoro da Caravaggio, Vincenzo Tamagni et Maturino. La construction, débutée en 1518, a connu une interruption, voire des dégradations, lors du sac de Rome de 1527 par les lansquenets protestants du très catholique Charles Quint. Un graffiti célèbre dans le hall de la villa proclame : « A dì 6 de magio 1527 fo la presa di Roma » (le 6 mai 1527 j'ai fait la prise Rome !). Bigre ! Tout seul ?

 

En 1551, la villa passa à la famille Lante, qui lui donna son nom qu’elle conservera malgré divers changements de propriétaires, notamment Camillo Borghese (1817) puis l’ordre du Sacré-cœur de Jésus (1937). A partir de 1880, l’archéologue allemand Wolfgang Helbig et son épouse, la princesse russe Nadine Schahawskoy, y ont vécu avant que leur fils achète la villa en 1909. Ils y tenaient un salon culturel fréquenté par le « Tout Rome » et des artistes, écrivains et musiciens, dont Carducci, D'Annunzio, Schliemann, Tolstoï et Wagner. En 1950, la propriété a été vendue à la Finlande pour y établir son ambassade près le Saint-Siège et l'Institut culturel finlandais.

 

La villa[1], construite sur les vestiges d'une villa romaine antérieure, a conservé extérieurement son style Renaissance : symétrie, régularité, proportions harmonieuses selon les principes édictés par Vitruve[2]. L'étage noble se compose du salon de forme presque carrée, de trois salles plus petites, du vestibule et de la loggia, qui s'étend sur la façade orientale. La loggia, ouverte sur le panorama de la ville par des baies serliennes, possède des stucs attribués à Giovanni da Udine. Le vestibule menant au salon est orné d'un Triomphe de Rome du peintre Valentin de Boulogne et, au-dessus des portes, de hauts-reliefs d'Antonio Canova. Deux salles ont été décorées de fresques par Vincenzo Tamagni (1525-27), probablement sur un projet de Giulio Romano, avec des copies de célèbres portraits de Raphaël (La Fornarina, La Voilée), de muses et d'hommes illustres. En 1837, lorsque la villa a été achetée par l'ordre religieux du Sacré-Cœur, 32 petites fresques du salon avec des cupidons et des déesses et 4 fresques plus importantes avec des histoires relatives à la colline du Janicule, ont été jugées indécentes ; elles ont été détachées puis achetées par Henriette Hertz pour les installer au Palazzo Zuccari.

 

On remarque ensuite, toujours à droite, le très étrange phare Manfredi (photo), du nom de son architecte Manfredo Manfredi, député et collaborateur de « la machine à écrire », pardon, de l’Autel de la Patrie (Le Vittoriano). C’est une colonne de 20 mètres de haut, de style éclectique, gréco-romano-classico-baroque ! Le phare a été offert à la ville par les italiens d’Argentine, en 1911, en mémoire du 50e anniversaire de la création du royaume d'Italie (1861). Pour rappeler que Rome est une « ville phare » ? Pour que tous les Italiens se tournent vers sa lumière ? Bref, il avait été décidé par la municipalité du Bloc du peuple, conduite par Ernesto Nathan, de positionner le phare sur la colline du Janicule en souvenir d’une bataille importante en ce lieu pour la défense de la République Romaine, en 1849, contre les armées de la seconde République Française présidée par le prince Louis-Napoléon Bonaparte. Un faisceau tricolore illumine la ville de Rome lorsque le phare est allumé. Cette particularité, ou son style très éclectique, est à l’origine de l'expression romaine « Sembri il faro del Gianicolo ! » (vous ressemblez au phare du Janicule), utilisée pour une personne portant une tenue colorée ou extravagante.

 


[1]Site Institutum Romanum Finlandiae. « Villa Lante »..

[2] Vitruve. « De Architectura ». 15 av. J-C. Livres III et IV.

 

28 avril 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (17/20). La promenade du Janicule et la piazza Garibaldi.

Monument de Garibaldi - Théâtre de marionnettes - Tir au canon

 

 

La porte San Pancrazio fit l’objet de vifs combats en juin 1849 entre la jeune République Romaine et les troupes envoyées par la Deuxième République Française, dont Louis-Napoléon Bonaparte était le Président, au prétexte de contrebalancer l'influence autrichienne ! Mais l’objectif de Napoléon-le-Petit était avant tout le retour du pouvoir papal à Rome afin de pouvoir s’assurer du vote des catholiques français ! La porte San Pancrazio, très endommagée au cours des combats, a été reconstruite en 1854. Au n°3 de la Passegiata del Gianicolo se dresse une jolie façade de style Renaissance connue sous l’appellation de « Maison de Michel-Ange ». Selon la tradition, elle comprendrait des éléments de la maison de l’artiste, détruite lors de la construction du Vittoriano, mais c’est assez peu probable [1].

 

Sur la promenade du Janicule sont disposés quatre-vingt-quatre bustes des soldats et officiers garibaldiens illustres qui ont combattu pour la défense de Rome en 1849 [3]. Elle débouche sur une grande place circulaire, la piazza Garibaldi, surplombant Rome, avec au centre le monument équestre du héros (1807 / 1882). Un monument qui ne lui ressemble pas ! Le cheval est à l’arrêt et Garibaldi semble bien pensif, les bras ballants. Il n’a rien de la fougue et de l’obstination du républicain combatif que l’on imagine. Sur la place, vous remarquerez le « Teatrino dei Burattini Gianicolo » un petit théâtre de marionnettes, en plein air, lequel joue chaque fin de semaine.

 

« Voilà quarante-quatre années que Carlo Piantadosi joue et rejoue ses spectacles pour des vieux de sept ans et des gamins de soixante-dix printemps, qu’il agite au nez du monde ses ‘guarattelle’ napolitaines » [3].

 

En contre-bas de la place, un canon tire à blanc, chaque jour, à midi. Cette coutume date de décembre 1847 quand le pape Pie IX Ferretti (1846 / 1878) a souhaité que toutes les cloches des églises romaines sonnent midi au même moment, ce qui n’était pas le cas ! Précédemment, c’était le Campenard du palais du Montecitorio qui était chargé de donner le « la » aux clochers romains… Mais sa voix ne devait pas être assez forte pour se faire entendre. Aussi, c’est un canon installé au château Sant'Angelo qui fut chargé de mettre de l’ordre dans toutes ces cloches carillonnantes. En 1903, le canon fut envoyé sur le Monte Mario avant de rejoindre le Janicule, juste en dessous de la statue de Garibaldi, en 1904.

 

« Durant la Seconde Guerre mondiale, on cessa de l’utiliser, mais la tradition fut rétablie le 21 avril 1959, date symbolique de la fondation de Rome, pour le plus grand bonheur des habitants et des touristes qui viennent également observer cette tradition » [4].


A gauche, la très belle statue équestre d’Anita Garibaldi, réalisée par Mario Rutelli, est dynamique, bien à l’image de la personne à qui elle rend hommage. Ana Maria de Jesus Ribeiro, née au Brésil en 1821 [5], est issue d’une famille pauvre ; elle se marie à 14 ans avec un savetier qui l’abandonne. Elle rencontre Garibaldi alors en exil lors de la prise de la ville de Laguna par les révolutionnaires qui veulent y créer une République. A 19 ans, Anita combat avec Garibaldi dans les troupes républicaines du Rio Grande. Remarquable cavalière, c’est elle qui apprendra l’équitation au matelot Garibaldi. En 1849, ils s’engagent tous les deux dans la défense de la République Romaine. A sa chute, Anita coupe ses cheveux longs, s'habille en homme et part à cheval avec Guiseppe dans l'intention d’aller défendre à Venise la République de Saint-Marc. Anita meurt en cours de route, à Ravenne, de la fièvre typhoïde, en 1849. Ses restes, après bien des vicissitudes, sont finalement inhumés sous le monument équestre du Janicule

 

 [1] Voir le site RomaSegreta. « Casa di Michelangelo ».

 [2] Mais une seule femme, Colomba Antonietti (1826 / 1849), qui participa à la défense de la porte San Pancrazio.

 [3] Marco Lodoli. « Iles – guide vagabond de Rome ». 2005.

Le couple Piantadosi est décédé. Manuel Pernazza et Alessia Luongo sont les nouveaux gérants du théâtre de marionnettes sur le Janicule. Samedi et le dimanche de 10h à 12h puis à partir de 17h et jusqu'à minuit.

 [4] Karine Gauthey. « Un rituel romain à découvrir : le coup de canon du Janicule ». Lepetitjournal.com. 18/11/2021.

Depuis 1991, un obusier de la Seconde Guerre mondiale est utilisé.

 [5] Graziella Gardini Pasini. « Anita Garibaldi ». Enciclopedia delle Donne.

26 avril 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (16/20). La Fontaine de l'acqua Paola et le belvédère sur Rome.

Erection de la fontaine et pillage des ruines romaines

 

 

« Mais, voici, elle arrive à la fin de son chemin, et d’ici quelques pas, elle sera parvenue à sa première embouchure : elle jaillira en torrents des trois bouches de la grande fontaine du Janicule, en vue de Rome entière, aux fontaines du Ponte Sisto, de la via Giulia, de la piazza Farnese, du campo dei Fiori, de la piazza Navona, jusqu’à ce grand décor de pierre qu’est la fontana di Trevi ; partout elle portera son flot vocal, qui vient animer les architectures »[1]

 

En 1608, le Pape Paul V Borghèse (1605 / 1621) fit restaurer l’aqueduc romain Aqua Traiana, construit par l'empereur Marco Ulpio Traiano en 109, dans l’objectif d'alimenter en eau les quartiers du Borgo, du Vatican, du Trastevere et de la Via Giulia. L’aqueduc, long de 32 km, reçoit les eaux provenant des lacs de Bracciano, Oriolo Romano et Trevignano. Ses points d'arrivée sont la fontaine Trilussa (piazza Trilussa) et la fontaine Paola. Celle-ci fut érigée en 1610 / 1614 par les architectes Flaminio Ponzo et Giovanni Fontana, avec des éléments prélevés du forum romain et du temple de Minerve sur le forum de Nerva[2] . En forme d'arc de triomphe à trois grandes niches centrales, flanquées de deux plus petites, elle s’ouvre vers la ville comme une scène de théâtre. Devant les pieddroits, six colonnes de granit séparent les cinq niches et supportent un très volumineux entablementsurmonté d'un attique, avec les armes de Paul V, de la famille Borghèse, représentant un aigle couronné aux ailes déployées et un dragon ailé : « D'azur au dragon d'or au chef d'or à l'aigle de sable couronné d'or ».

 

 « Hier soir, chez Mme de D***, nous avons vu plusieurs gravures représentant ce monument (le temple de Pallas) tel qu’il était avant Paul V. Ce pape le fit démolir parce qu’il avait besoin des marbres pour sa fontaine Pauline sur le mont Janicule. L’utilité du livre que vous lisez, si tant est qu’il en ait, est peut-être d’empêcher à l’avenir de tels attentats » [3].

 

De la fontaine Paola, vous aurez aussi une des plus belles vues sur Rome. C’est de là que Zola fait commencer son roman « Rome ». Son personnage principal, Pierre Froment, un jeune prêtre français à la foi ébranlée, vient à Rome pour y défendre, auprès de la congrégation de l’Index, son livre dans lequel il plaide pour un renouveau du catholicisme allié au mouvement démocratique et social[4]. Arrivé le matin de Paris par le train, il se fait conduire sur le Janicule pour y admirer la ville.

 

« Ici, tout près, il reconnaissait à sa loggia tournée vers le fleuve, l’énorme cuve fauve du palais Farnèse. Plus loin, cette coupole basse, à peine visible, devait être celle du Panthéon. Puis, par sauts brusques, c’étaient les murs reblanchis de Saint-Paul-hors-les-Murs, pareils à ceux d’une grange colossale, les statues qui couronnent Saint-Jean-de-Latran, légères, à peine grosses comme des insectes ; puis, le pullulement des dômes, celui du Gesù, celui de Saint-Charles, celui de Saint-André-de-la-vallée, celui de Saint-Jean-des-Florentins ; puis, tant d’autres édifices encore, resplendissants de souvenirs, le Château Saint-Ange dont la statue étincelait, la villa Médicis qui dominait la ville entière, la terrasse du Pincio où blanchissaient des marbres parmi des arbres rares, les grands ombrages de la villa Borghèse, au loin, fermant l’horizon de leurs cimes vertes ».

 

Vers la porte San Pancrazio, la Villa Aurelia est située sur le point culminant du Janicule. Elle a été construite pour Girolamo Farnese, vers 1650, quand il a assumé la charge de gouverneur de Rome. La villa a connu ensuite des fortunes diverses, de très nombreuses modifications et appartient à l'Académie américaine de Rome depuis 1909. Restaurée en 2002 sur les bases de la documentation sur sa situation au XIXe siècle, elle accueille des concerts, des conférences et des événements culturels de l'Académie et des initiatives privées.


 

[1] Giogio Vigolo. « La Virgilia ». 1982.

[2] Sovrintendenza Capitolina ai Beni Culturali. « Mostra dell’Acqua Paola al Gianicolo ». Sur réservation, pour des groupes culturels et des associations, il est possible d'accéder au jardin situé derrière (max 25 personnes) que le pape Alexandre VII Chigi (1655 / 1667) avait destiné à être un jardin botanique.

[3] Stendhal. « Promenades dans Rome ». 1829.

[4] Ce sera évidemment un cause perdue. Emile Zola. « Rome ». 1896.

 

24 avril 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (15/20). Mausolée aux morts de 1849 et 1870.

Les révolutions de 1848 dans les Etats de l'Eglise - La République française au secours du pape ! 

 

 

 

« A propos, nous ne résisterons pas à l’impulsion de rappeler que la mort, par elle-même, à elle seule, sans aucune aide extérieure, a toujours beaucoup moins tué que l’homme » [1].

 

Sur le mur latéral de San Pietro in Montorio, vous remarquez un boulet de canon sur une plaque mémorielle. C’est que la zone a donné lieu à une âpre bataille en 1849 contre les troupes françaises. En 1848, des troubles se manifestent dans toute l’Europe, les peuples commençant à secouer le joug des différentes monarchies absolutistes. Les États de l’Église n’y échappent pas, d’autant moins que le Pape est une puissance temporelle des plus rétrogrades. Finalement, Pie IX Ferretti (1846 / 1878) octroie une constitution libérale, promulguée en mars 1848. Mais il refuse de rompre avec l’Empire d’Autriche à la grande irritation de la bourgeoisie libérale et du peuple romain. Le 15 novembre, le ministre de l’Intérieur, Pellegrino Rossi, est assassiné. Pie IX s’enfuit à Gaète et les patriotes regroupés autour de Guiseppe Mazzini font élire au suffrage universel une assemblée constituante qui proclame la République le 22 février 1849. La jeune République remet le pouvoir à un triumvirat, dont Mazzini fait partie, et le commandement des troupes à Garibaldi.

 

En avril 1849, Louis-Napoléon Bonaparte, Président de la seconde République Française, décide de l'envoi d'un corps expéditionnaire français à Rome, soi-disant pour contrebalancer l'influence autrichienne. Ce qui est un argument très curieux puisque c’est contre l’influence autrichienne que se sont révoltés les Romains ! (on n’avait pas encore eu l’idée d’invoquer la possession d’armes de destruction massive). Le 24 avril 1849, les troupes françaises, commandées par le général Oudinot, arrivent à Civitavecchia. Afin de débarquer sans opposition armée, les Français distribuent une déclaration par laquelle ils soulignent que « Le gouvernement de la République française, animé d'intentions libérales, déclare vouloir respecter le vœu de la majorité des populations romaines, ne venir qu'en ami, dans le but d'y maintenir son influence légitime, et décidé à n'imposer aux populations aucune forme de gouvernement qui ne soit désirée par elles ». Le 25 avril, des émissaires français viennent annoncer au triumvirat l'intervention française pour « empêcher » celle de l'Autriche, de l'Espagne et de Naples, s'assurer des sentiments de la population au sujet de la forme de gouvernement et chercher une réconciliation entre Pie IX et les Romains. Bien évidemment, tout cela n’est que poudre aux yeux, les troupes de la jeune République Romaine ne devant pas faire le poids devant une armée nombreuse et aguerrie. Le 30 avril, le corps expéditionnaire français, composé de 5 000 soldats, se présente face aux portes Cavalleggeri et Angelica.

 

Contrairement à leurs espoirs de conquérir Rome sans coup faillir, ils sont reçus à coups de canon et de fusil par près 10 000 soldats présents dans la ville. Ils se heurtent à la résistance de Garibaldi et des volontaires républicains notamment à la porte San Pancrazio sur le Janicule, et doivent reculer. Aux soldats français battus le 30 avril s'ajouteront 24 000 hommes, 4 000 chevaux et 75 canons et le siège de la ville commence alors. Après 16 jours, une brèche est effectuée et l'assaut est donné le 21 juin. Un second assaut doit être lancé le 30 juin à la porte San Pancrazio. La dernière bataille de la République Romaine a lieu et les hommes se battent à l'arme blanche, 3 000 Italiens sont tués ou blessés et 2 000 Français. La ville capitule et l'armée française s'installe à Rome pour une occupation qui durera jusqu'en 1870. Avec la guerre franco-prussienne de 1870 les troupes françaises sont rapatriées. Face au refus de Pie IX d’accepter la fin de son pouvoir temporel, le roi d'Italie Victor Emmanuel II décide d’avoir recours à la force et, le 20 septembre 1870, l'artillerie italienne opère une brèche dans la muraille de Rome, au nord-est cette fois, près de la porte Pia, dans laquelle s’engouffrent fantassins et bersaglieri mettant fin au pouvoir temporel des papes sur Rome.

 

En bon fasciste, le Duce ne manqua pas de s’approprier les « Héroïques Défenseurs de la Patrie » contre tous les envahisseurs étrangers, incorporant sous son drapeau les Républicains et Garibaldiens ! Les morts ne peuvent pas protester. Il fit construire un monument pompeux situé derrière San Pietro in Montorio. Inauguré le 3 novembre 1941, le mausolée accueille les restes de 200 combattants des batailles pour Rome de 1849 et 1870[2] dont Goffredo Mameli, le jeune poète génois, âgé seulement de 22 ans, auteur de l'hymne italien, mortellement blessé sur le Janicule en 1849.

 

[1] José Saramago. « Les intermittences de la mort ». 2005.

[2] Sovrintendenza Capitolina ai Beni Culturali. « Mausoleo Ossuario Garibaldino ».

 

Liste des promenades dans Rome. et liste des articles sur le Janicule

22 avril 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (14/20). Le Tempietto de Bramante.

Un des chefs-d'oeuvre de la Renaissance italienne

 

 

 « Au sommet est bâtie l’église de S. Pietro in Montorio, habitée par de pauvres moines ; derrière l’église est un joli petit temple rond, à colonnes, au centre duquel on conserve le trou dans lequel on a planté la croix où a été crucifié St Pierre. Le trou peut avoir 15 pouces de circonférence. C’est une sorte de puits, garni de marbre et au-dessus duquel brûle une lampe » [1].

 

En 1502, Donato Bramante construit le Tempietto à côté de l'église San Pietro in Montorio (Saint-Pierre sur le Mont Doré), à l'emplacement attribué au martyre de saint Pierre, sur une commande des Rois d’Espagne, Aragon et Castille (l’unification de la royauté en Espagne n’étant faite qu’avec Charles Ier en 1516, lequel est plus connu sous le nom de Charles Quint). L’objectif était de protéger et mettre en valeur la cavité creusée sur le Janicule pour y placer la croix sur laquelle saint Pierre aurait été crucifié et d’élever au-dessus un petit temple. Pour la forme, Bramante s’inspire du temple de la Sibylle à Tivoli, un temple rond entouré d’un péristyle de colonnes corinthiennes [2].

 

L’édifice est de taille modeste, composé d’un péristyle circulaire, aux colonnes d’ordre dorique, entourant un sanctuaire central dont la cella ne mesure que 4,5 mètres de diamètre. Il est coiffé d’un dôme hémisphérique, porté par un haut tambour et surmonté d’un lanternon. Le monument serait également une image symbolique de l’Église : la crypte représenterait les débuts de la Chrétienté dans les catacombes, la cella (le corps central) évoquerait l’église militante et la coupole serait l’église triomphante du Christ dominant le monde.

 

Les proportions de l'édifice sont simples : la hauteur de la cella est égale à la largeur du péristyle, mais Bramante empile des formes cylindriques dans une progression savamment dosée, en retrait les unes par rapport aux autres. D’abord un soubassement circulaire, composé de trois marches, puis la colonnade surmontée d’une frise, d’une corniche et d’une balustrade, enfin le tambour de la coupole en fort retrait. La hauteur du tambour et de la coupole est proportionnée à celle du diamètre du péristyle afin de donner une apparence de hauteur et de pyramide à l’ensemble du bâtiment. Il s’agit d’articuler les différents éléments entre eux pour que la finalité du bâtiment apparaisse comme étant la coupole, image du ciel, avec la croix qui la surmonte.

 

Sous le Tempietto, il y a une chapelle souterraine dont les dimensions correspondent à celle de l’église extérieure. Un orifice central les fait communiquer et éclaire la chapelle. Au sol, au centre, une cavité, celle dans laquelle aurait été placée la croix de Pierre. L’ensemble de l’édifice est ainsi traversé par un axe vertical qui va du trou de la croix à la croix placée au sommet du dôme, en passant par l’orifice qui relie les deux chapelles.

 

Les architectes de la Renaissance étaient très attirés par la forme circulaire, voyant en elle l'image de la perfection divine, sans commencement ni fin. Le rythme régulier des colonnes du péristyle, des pilastres, fenêtres et niches de la cella, des colonnettes de la balustrade, dans une forme circulaire, définit une figure de la perfection d’une part parce qu’elle est en tous points similaire, mais aussi d’autre part parce qu’elle se suffit totalement à elle-même. Il n’est donc pas étonnant que Bramante ait envisagé que l'édifice soit isolé au centre d'un cloître lui-même circulaire faisant du Tempietto un point focal, parfait, unique.

 

Le Tempietto est considéré comme un des chefs-d’œuvre de la Renaissance par la simplicité et la rigueur de ses proportions, mais aussi par sa clarté fonctionnelle avec la superposition des trois composantes de sa structure. Malheureusement le Tempietto est à l’étroit dans une cour carrée entourée de hauts bâtiments. Son architecture audacieuse est ainsi peu mise en valeur, pour ne pas dire étouffée.

 


[1] Jules Cloquet. « Voyage en Italie ». 1837.

[2] Emmanuel Noussis. « Le modèle antique dans l’architecture de la Renaissance ». Histoire des Arts en khâgne. Sd.

 

20 avril 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (13/20). San Pietro in Montorio (Saint-Pierre sur le Mont Doré).

Le lieu de la crucifixion de Pierre - Le corps de Béatrice Cenci

 

 

Sur la montée de la via Garibaldi, le Janicule comporte quelques espaces verts dans un état lamentable à l’image des squares, jardins et parcs de la ville. On aimerait que ce ne soit pas une tradition attestée depuis quelques siècles !

 

« Ils (les italiens) ne paraissent guère se soucier de l’entretien ni de la propreté ; ils ne doivent pas faire grande dépense de jardiniers. Sans doute c’est pour conserver à leurs jardins l’air agreste et sans culture ; car il faudrait avoir l’esprit mal tourné pour se figurer que c’est par épargne »[1].

 

Après quelques épingles à cheveux, la via Garibaldi débouche sur l’esplanade de San Pietro in Montorio. Il est parfois possible de couper par un escalier, dénommé « via » di San Pietro in Montorio (s'il n'est pas fermé compte-tenu de son mauvais état d'entretien). En 1957, les stations d'un chemin de croix en terre cuite polychrome du sculpteur espagnol Carmelo Pastor Pia ( 1924 / 1966) ont été insérées le long de l'escalier. L'esplanade a été aménagée  en 1605 grâce à un financement du roi d'Espagne Philippe III, puis décorée d'une colonne surmontée d'une croix en 1657.

 

La première référence à l'existence d’une église et d’un monastère au Montorio date du IXe siècle. En 1472, le pape Sixte IV della Rovere (1471 / 1484) remet l'église et le couvent désaffectés à une congrégation réformatrice espagnole de Franciscains. En 1481, les frères ont décidé de reconstruire l'église à partir de ses fondations. L'église avec sa façade a été achevée en 1494 grâce aux dons du roi Louis XI, et elle a été consacrée par le pape d’origine espagnole Alexandre VI Borgia (1492 / 1503), le 6 juin 1500, sur le lieu attribué à la crucifixion de saint Pierre. Or d’autres sources précisent que la crucifixion de saint Pierre a eu lieu sur le cirque du Vatican construit par Caligula, c’est-à-dire à l’emplacement actuel de la basilique Saint-Pierre. Toutefois, il n’est même pas attesté que Pierre soit venu à Rome, les écrits qui y font référence datant du second siècle !

 

Par la suite, la reine Isabelle de Castille et le roi Ferdinand d’Aragon ont mis en place les fonds pour construire une chapelle de dévotion sur le site mythique du martyre de saint Pierre. Le Janicule a été depuis très lié à la royauté espagnole dont la présence est encore marquée, aux pieds de San Pietro, par les bâtiments du "complexe espagnol" l'Académie Cervantès, le lycée espagnol et la résidence de l’ambassadeur d’Espagne.

 

L'église est de forme très simple, un édifice rectangulaire sous un toit en tuiles à double pente, avec deux légères saillies pour marquer le transept et une abside polygonale laquelle a été reconstruite après les dégâts causés par le siège de 1849 par les armées françaises de la seconde République. Sur le côté gauche, ont été construit des chapelles latérales, de formes différentes. La façade est très sobre, plate, avec deux étages séparés par une corniche en très légère saillie. Au centre du deuxième étage est située une petite rosace de style gothique. L’église de San Pietro in Montorio possède plusieurs œuvres intéressantes dont une « Flagellation » (photo) dans la première chapelle à droite, œuvre de Sebastiano del Piombo (1485 / 1547), une peinture à l’huile sur le mur, inspirée de dessins de Michel-Ange. A voir aussi les fresques de Vasari (1511 / 1574) au plafond des quatrième et cinquième chapelles, un « Baptême du Christ » attribué à Daniele da Volterra (1509 / 1566) dans la cinquième chapelle à gauche. La seconde chapelle à gauche, la chapelle Raimondi, fut conçue par Gian Lorenzo Bernini.

 

Le cadavre de Beatrice Cenci, « la belle parricide »[2], aurait été enterré devant l’autel après son supplice, sa tête étant placée sur un plateau d’argent. La tombe fut profanée en 1798 par les soldats de la première République française et la tête de Beatrice disparut avec le plateau !

 


[1] Président de Brosses. « Lettres d’Italie ». 1740.

[2] La jeune Béatrice Cenci, ses frères et la seconde femme de son père, furent condamnés pour l'assassinat de Francesco Cenci, un riche aristocrate violent et débauché, protégé par le pape Clément VIII Aldobrandini (1592 / 1605). Béatrice fut décapitée, le 11 septembre 1599, place Sant’Angelo. Dans la nuit de la date anniversaire de sa mort, la légende veut que Béatrice Cenci traverse le pont Sant’Angelo avec sa tête sous le bras.

 

Liste des promenades dans Rome. et liste des articles sur le Janicule

18 avril 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (12/20). Le « complexe espagnol » du Janicule.

Lycée et Académie espagnoles

 

 

La via di Porta san Pancrazio grimpe sur le Janicule, en pente forte ; elle longe, à droite, le jardin du Bosco Parrasio et, à gauche, les bâtiments du lycée espagnol Cervantès, de la résidence de l'Ambassadeur d'Espagne en Italie et, derrière, l’Académie royale d’Espagne à Rome. Les grandes royautés catholiques européennes, Autriche, Espagne et France, se sont efforcées de marquer leur présence auprès du Saint-Siège avec des bâtiments fastueux d’ambassades, de riches églises nationales, mais aussi des congrégations, des hospices pour y accueillir les pèlerins de leurs pays et enfin des écoles nationales. Les relations entre leurs représentants étaient parfois houleuses lorsque leurs bâtiments étaient voisins et leurs pays respectifs en guerre les uns contre les autres. Il ne manque pas d’anecdotes sur les relations entre Espagnols et Français du fait de la proximité de l’ambassade d’Espagne avec l’église nationale des Français de la Trinità dei Monti[1] ! Progressivement, les Français investirent les hauteurs du Pincio avec l’église nationale de la Trinità dei Monti (1495 / 1594), l’Académie de France dans la Villa Médicis (1803) et, non loin, derrière la piazza del Popolo, le lycée français Chateaubriand (1903). Les Espagnols investirent le Janicule autour de l’église San Pietro in Montorio (1500), puis l’Académie royale d’Espagne à Rome dans les locaux du couvent de San Pietro (1876), la résidence de l’ambassadeur d’Espagne en Italie (1947) et enfin le lycée espagnol Cervantes (1973).

 

Le lycée Cervantes est une école internationale relevant du ministère espagnol de l'Éducation. Il a été créé en 1973 dans les anciens locaux d’un couvent franciscain. Il assure un enseignement maternel, primaire et secondaire, selon le système éducatif espagnol. La langue véhiculaire des enseignements est l'espagnol, mais les domaines de la littérature, de la langue, de la géographie et de l'histoire italiennes sont enseignés conformément à un accord bilatéral italo-espagnol.

 

La résidence de l'ambassadeur d'Espagne auprès des autorités italiennes est située derrière le lycée dans la Villa Vaini. Guido Vaini, neveu du pape Innocent XII Pignatelli (1691 / 1700), obtient de celui-ci, en 1693, le terrain sur lequel sera construite la villa avec vue imprenable sur la ville[2]. La villa passa ensuite entre plusieurs mains avant de devenir, en 1790, une manufacture de fabrication de vêtements, puis une usine de pain ! Endommagée lors des combats de 1849, elle subit un incendie en 1922. Restaurée par la famille Ruspoli, elle devient en 1947 la résidence de l'ambassadeur.

 

L'Académie royale d'Espagne à Rome (Real Academia de España en Roma) est située dans un des cloîtres de l'ancien monastère de San Pietro in Montorio. Comme l’Académie de France, l’Académie d’Espagne est une institution culturelle placée sous la tutelle du ministère espagnol des Affaires étrangères. Ses objectifs sont de contribuer à la formation artistique et humaniste des artistes, afin d’élargir la présence culturelle espagnole en Italie, assurer une meilleure compréhension des cultures des deux pays et, plus largement, développer un lien culturel entre l'Europe et l'Amérique latine[3]. L’Académie a été fondée en 1873 grâce à l'impulsion d'Emilio Castelar, ministre d'État de la Première République espagnole, et elle a joué un rôle important dans la formation de nombreux artistes et intellectuels espagnols. Chaque année, l'Académie offre des bourses d'études d'une durée de trois, six ou neuf mois et des résidences aux artistes de langue espagnole (pays ibéro-américains et de l'Union européenne) œuvrant dans différentes disciplines artistiques (ont été ajoutées récemment la photographie, la création vidéo, la gastronomie, l'art et les nouvelles technologies, le design de mode, le graphisme, la bande dessinée ou la médiation artistique).

 

L'Académie est installée depuis 1876 dans les bâtiments du second cloître, au nord du Tempietto, dans deux étages qui accueillent les salles et les chambres des boursiers. En 1587 et 1588, il a été décoré de fresques du peintre maniériste toscan Niccolò Circignani, dit Il Pomarancio (1530/35 ? / 1590), dans trente-deux des lunettes de la galerie couverte qui, avec celles du cloître du Tempietto, constituent l'un des cycles les plus étendus sur l'histoire de saint François et de son Ordre.

 


[1] Voir Rione Campo Marzio / Place d’Espagne / L’escalier de la Trinité des Monts.

[2] Makaa Jade. « La villa Vaini ». In « Abitare a Roma ». 14/07/2016.

16 avril 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (11/20). Le Bosco Parrasio.

L'Académie d'Arcadie - Les lieux de réunion de l’Académie

 

Entre Santa Maria delle sette dolori et l’escalier qui conduit à San Pietro in Montorio, s’ouvre à droite la salita del Bosco Parrasio qui conduit à l’entrée du jardin. Ce jardin appartient à l’Accademia dell’Arcadia (Académie d’Arcadie) fondée à Rome en 1690. Le nom fait référence à un poème en prose de Jacopo Sannazaro (1501) et à une région du Péloponnèse à laquelle était associée une image pastorale et bucolique. L’Académie, fondée par des hommes de lettres et poètes, avec à leur tête Giovanni Mario Crescimbeni, a connu un grand succès parmi les mécènes du salon de la reine Christine de Suède qui en a été l’inspiratrice.

 

Les objectifs de l’Académie étaient de promouvoir le « bon goût » en réformant la langue utilisée dans la poésie, en retrouvant la « simplicité pastorale » grecque et latine contre les excès de la poésie baroque. Le lieu de rencontre des Arcadiens était reconnu comme le « bois de Parrhasian », ou « Bosco Parrasio » : le bosquet sacré du temple d'Apollon situé sur le mont Lycaeus, dans l’Arcadie de la Grèce antique.

 

Au début de ses activités, l’Académie utilise différents lieux pour ses réunions, notamment des jardins comprenant de petits théâtres de verdure (jardins des couvents de San Pietro in Montorio, palais Salviati, Villa Giustiniani). En 1724, le roi Jean V du Portugal donne à l’Académie un terrain sur les pentes du Janicule où celle-ci tient désormais ses séances, tous les jeudis en été, dans un bois de lauriers et de myrtes. Le jardin est aménagé en 1725, selon un dessin baroque d’Antonio Canevari, assisté par Nicola Salvi, le futur architecte de la fontaine de Trevi[1]. Pour tenir compte de la pente raide de la colline, trois terrasses sont conçues, reliées par des escaliers courbes et symétriques à la manière des escaliers de la Trinité des Monts. La dernière terrasse est construite comme un petit amphithéâtre et elle est utilisée pour les rencontres et discussions des poètes[2]. En 1850, le secrétariat et les archives de l’Académie est accueilli dans un nouveau bâtiment de Francesco Azzurri, de goût néoclassique, avec une façade concave ornée de colonnes et de niches « égyptiennes » dont les flancs sont ornés de plaques de marbre sur lesquelles sont inscrites les lois de l’Académie.

 

L'Académie arcadienne a eu un impact sur la réforme poétique et la vie culturelle, mais également sur une nouvelle vision des jardins qui contribuera à l’émergence des jardins dits « à l’anglaise » en Italie. Les académiciens participaient à des réunions estivales, s’asseyaient par terre à la mode des bergers, sur des rochers ou sur l’herbe. Dans leurs poèmes ils évoquaient des lieux agréables, une nature généreuse où l’Homme était en harmonie avec elle.  Le souvenir n’y était toutefois pas absent, à l’image de la peinture « Les bergers d’Arcadie » de Nicolas Poussin[3]. Ce mouvement, avec d’autres, allait contribuer à un renouveau des jardins.

 

Le Bosco Parrasio a fait l’objet de plusieurs restaurations. Les plus importantes ont consisté à réparer les dommages causés par les affrontements armés qui ont eu lieu sur le Janicule en 1849 lors des bombardements et de l’assaut donné par les troupes de la République Française contre celles de la République Romaine. D’autres travaux d’entretien ont été effectués en 1872. Cependant, depuis 1891, en raison du mauvais état des installations et du manque de ressources économiques pour restaurer les lieux, l’Académie d’Arcadie a été forcée de déplacer son siège à l’église San Carlo al Corso et de demander l’hospitalité pour ses réunions académiques à d’autres institutions, comme elle le faisait au début de son activité. Depuis 1940, l’Académie d’Arcadie a trouvé un nouveau site prestigieux au sein de la Bibliothèque Angelica qui conserve également ses Archives. Depuis lors, le site du Bosco Parrasio est loué à des particuliers.

 


[1] Giovanni Mario Crescimbeni. « Storia dell'Accademia degli Arcadi istituita in Roma ». 1690.

[2] Accademia degli Arcadi. « Una sede stabile per il Bosco Parrasio ». Site de l’Académie.

[3] Nicolas Poussin. « Les bergers d’Arcadie ». 1628-1630. Il illustre la maxime « Et in Arcadia ego » (je - la Mort - suis là aussi).

Katrina Grant. « The Bosco Parrasio as a site of pleasure and of sadness ». Université de Caen-Normandie.

Wacquet Françoise. « Retour à l'âge d'or et réforme littéraire : le primitivisme et l'Arcadia » In « Romantisme », 1994, n°84.

 

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14 avril 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (10/20). Le Conservatorio Pio et Santa Maria delle sette Dolore.

Oeuvres pieuses au pied du Janicule

 

 

Aux n°41/45 de la Via Garibaldi, le bâtiment de la Vecchia Fabbrica del Tabacco (ancienne fabrique de tabac) a été construit pour accueillir une usine de transformation du tabac de la société de Giovanni Michilli et Giovanni Antonio Bonamici, à qui Benoît XIV Lambertini (1740 / 1758) avait accordé une licence de fabrication[1]. L'architecte Luigi Vanvitelli a collaboré à la conception et à la construction du bâtiment de trois niveaux, lequel était achevé et opérationnel en 1744. Les plants de tabac y étaient broyés par trois meules mises en mouvement au moyen de l'énergie hydraulique produite par une chute d’eau dans un tuyau de la fontaine de San Pietro in Montorio située sur la colline du Janicule ; l’eau s’écoulait ensuite dans le Tibre.

 

La manufacture de tabac ne vécut pas très longtemps puisqu’en 1775 le pape Pie VI Braschi (1775 / 1799) fonda dans ses locaux le Conservatorio Pio du Janicule. Le Pontife acheta d'autres bâtiments adjacents avec des potagers, et fit transformer les locaux du rez-de-chaussée de la manufacture pour les utiliser comme filature de laine. L’objectif de la création de cette œuvre pieuse était d'héberger et d'éduquer les filles pauvres de la ville, orphelines, ou se trouvant abandonnées et sans moyens de subvenir à leurs besoins[2]. Les revenus de la fabrique de laine devaient permettre de couvrir les frais d’hébergement des pensionnaires. C’était une tradition bien établie que d’ériger dans le quartier du Trastevere les organismes chargés des populations les plus misérables de la ville, infirmes, vieillards, malades mentaux, mendiants, prostituées, orphelins, c’était tout simplement un moyen de les écarter du centre-ville où on ne souhaitait pas les voir. En 1820, le Conservatoire fut encore agrandi avec la création d'une infirmerie et d'un jardin pour les orphelins. A partir de 1844, dans le cadre d’une réorganisation générale des œuvres pieuses à Rome, les bâtiments de la filature passèrent de main en main et, en 1880, le nouvel État italien racheta finalement les locaux. Ils servirent successivement de clinique chirurgicale, puis d’école pour les gardes de la ville, puis d’école de la garde royale et des carabiniers ; ils accueillent aujourd’hui un commandement régional des Carabiniers.

 

Avant le premier virage de la via Garibaldi, à gauche, au n°27, vous remarquerez la façade toute de brique de Santa Maria delle sette dolori de Francesco Borromini (photo). L’église était attachée à un monastère d’oblates[3] cloitrées qui avait pour finalité de dispenser une éducation aux filles de la noblesse désargentée. Le monastère fut un lieu de refuge pour une centaine de juifs de Rome durant l'occupation nazie. En 1951, les sœurs ouvrirent un refuge pour les orphelins du Trastevere. Faute de vocations, une partie des bâtiments accueille aujourd’hui un hôtel quatre étoiles (« Donna Camilla Savelli ») qui utilise la crypte, avec son escalier borrominien, comme cave à vin.

 

Avec très peu de moyens, des quarts de cercles plaqués en relief, Borromini anime la façade. L’accès à l'église s’effectue dans cette façade, par un vestibule pour lequel Borromini se serait inspiré de l’architecture de la Piazza d'Oro de la Villa d’Hadrien à Tivoli : d’un plan octogonal irrégulier, à la voute plane, soutenue par quatre arcs. La nef, rectangulaire, parallèle à la façade, aux angles arrondis et ponctuée de colonnes corinthienne de marbre rose, présente un transept légèrement saillant[4]. Les colonnes supportent un entablement, décoré de marbre vert, qui forme des arcs sur les petits côtés et les chapelles ; le plafond, assez plat, s’élève à partir du sommet de ces arcs. En 1646, faute de financements, Borromini a cessé sa participation et l’intérieur de l’église n’a été achevé qu’en 1665. La décoration de l’église, très colorée et très peu borrominienne, est due à la restauration de 1845.

 

 


[1] In RomaSegreta. « Via Garibaldi ».

Fabio Robotti. « La manifattura del tabacco nella Roma pontificia ». In « Panorama Numismatico ». 06/2016.

Pour Antonio Ceci « Il monopolio del tabacco in Italia Ascesa e declino di una industria di Stato » in « Historia et Ius » 2015, la première usine de tabac aurait été construite à Rome en 1774 par Pietro Giovanni Wendler ; la fabrique de tabac de la via Garibaldi a cessé ses activités à cette date.

[2] Alessandra Venerosi Pesciolini. « Conservatorio Pio al Gianicolo - Archivio storico - Inventario 1775-1873 ». 2015.

[3] Un oblat ou une oblate est un laïc qui « se donne » à un monastère qui l'accueille pour lui permettre de vivre certains aspects de la vie spirituelle monastique.

[4] Site Romanchurches. « Santa Maria delle sette dolori ».

 

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12 avril 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (9/20). La porte Settimiana et la via Garibaldi.

Le quartier de Rafael Alberti

 

 

La via della Lungara se resserre et se termine sur une porte, la porte Settimiana, une appellation qui fut chère à un président de la région Languedoc-Roussillon qui souhaitait l’affubler de ce nom ! Compte-tenu de l’importance de cette province et de sa capitale, Montpellier, on est un peu déçu de la modestie de cette porte ! Nulle fioriture, ni colonnes décoratives, ni frontons, ni armoiries, juste un arc en plein cintre surmonté de mâchicoulis et de créneaux ! Nulle voie romaine chargée de faire se rejoindre directement la capitale de l’Empire à sa riche province de la Gallia Narbonensis, mais une route créée par Jules II della Rovere (1503 / 1513) pour conduire aisément les pèlerins du pont Sisto à la porte San Spirito, un bastion situé au sud-est du Vatican, et leur permettre d’atteindre la basilique Saint-Pierre.

 

A gauche, au croisement avec la via di Santa Dorotea, au n°20, une boutique au rez-de-chaussée, signalée par une colonne romaine laissée visible dans la façade, aurait été, selon la tradition, la maison de la fille d'un boulanger devenue la maîtresse de Raphaël connue sous le nom de « La Fornarina » (la boulangère). C’est lorsqu’il était chargé de peindre les fresques de la Villa Farnesina qu’il aurait rencontré la jeune femme ce qui donna lieu notamment à un des tableaux les plus connus du maître et conservé à la Galerie d’Art ancien du Palais Barberini.

 

On monte au Janicule par une large avenue toute en virages. D’abord dénommée via delle Fornaci (rue des fours) en raison de la présence de l'ancienne usine de tabac construite par Benoît XIV en 1744, la rue gagna le nom de Garibaldi en souvenir des combats glorieux qu’y conduisit le héros, en 1849, pour défendre la jeune République Romaine contre les troupes françaises venues rendre au pape son pouvoir temporel.

 

Le n°88 de la via Garibaldi accueille un palais construit au XVIIIe siècle pour la famille noble Vitelleschi, puis acheté en 1792 par Pie VI Braschi (1775 / 1799) pour y installer la Maison de Charité fondée en 1788 dont il était le protecteur. Il y fut installé, jusqu’en 1870, un atelier de tissage de la soie pour des jeunes filles abandonnées[1]. C’est dans ce bâtiment que vécut le poète et peintre espagnol Rafael Alberti, en exil à Rome de 1963 à 1977. Il avait l'habitude de se promener dans les rues du quartier, bien qu’ayant la plus grande crainte de la conduite automobile des Romains. Il prétendait que, pour marcher dans les ruelles du Trastevere, il fallait avoir suivi une formation de toréador pour apprendre à éviter les automobiles, en se plaquant contre les murs et en courant vite ! Selon lui, deux personnes avaient encore plus peur que lui : Pablo Neruda et Nicola Guillén !

 

« Je peux avouer que dans mon quartier bien-aimé, j'ai dû devenir torero, m'entraîner à me ceindre, à perdre du poids contre les murs, à sortir sur mes pieds, à courir aussi vite que devant un taureau, en voyant arriver ces exhalaisons interplanétaires, aveugles et sans avertissement, à travers des rues aussi étroites. et ruelles tortueuses. De là, en un peu plus d'un an d’une courageuse vie romaine, est né un livre, intitulé avec une précision astronomique : « Rome, danger pour les piétons ». J'espère maintenant qu'un jour, à une date anniversaire, la commune de la Ville éternelle apposera sur un vicolo, non loin de ma Via Garibaldi, une plaque qui dit : « Vicolo di Rafael Alberti (…)». Parce que je me suis installé ici, je suis devenu voisin de ce quartier pour le chanter humblement, gracieusement, évitant la Rome monumentale, n'aimant que l'anti-officiel, le plus anti-goethien qu'on puisse imaginer : la transtévérine Rome des artisans, des murs brisés, peints d'inscriptions politiques ou amoureuses, secrètes, statiques, nocturnes et, de façon inattendue, silencieuses et solitaires »[2].

 

Je n’ai pas vu de plaque, ni repéré dans la liste des rues de Rome, un « vicolo Rafael Alberti » et ce n’est pas, avec des maires berlusconien issus de la droite fasciste ou cinq étoiles, que l’on a une chance qu’il y en ait un, un jour !

 

 


[1] Conservatorio dell'Addolorata detto delle Pericolanti - Archivio storico - Inventario 1760-1872. 2015.

[2] Rafael Alberti. « La arboleda perdida 2 ».

Rafael Alberti. « Roma, peligro para caminantes ». 1968. Rome, danger pour les piétons. Non traduit en français.

 

Liste des promenades dans Rome. et liste des articles sur le Janicule

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