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Notes d'Itinérances
29 mars 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (2/20). Le Pont Mazzini et les quais du Tibre.

Des inondations catstrophiques - Les quais du Tibre, symboles d'une nouvelle politique

 

 

Au pont Mazzini, il est possible de constater un phénomène étonnant : la rue qui se dirige vers le Janicule (via Francesco di Salle) est située plusieurs mètres en contrebas du boulevard qui longe le Tibre (Lungotevere). Cette curiosité est liée à la date de construction relativement récente des quais du Tibre et à la bataille picaresque qui présida à leur construction. Jusqu’à la fin du XIXe siècle le Tibre n’était pas canalisé. Les « Vues sur Rome » de Piranèse (1747) ou de Giuseppe Vasi (1754) montrent une grève en pente douce servant à décharger les marchandises des bateaux ou occupée par des maisons (photo des bords du Tibre dans le Trastevere en 1867). 

 

« Rien n’est maintenant plus semblable au cours d’eau tranquille de mes rêves, que le doux alanguissement du Tibre dans ses larges ondulations entre les rives herbeuses et les bâtisses à fleur d’eau » [1].

 

L’absence de quais, l’insalubrité dans la ville, l’importance des zones humides au long du cours du Tibre, l'insalubrité dans la ville, favorisaient l’expansion de la malaria dans la ville même de Rome. Par ailleurs, le Tibre est un fleuve méditerranéen, au débit très capricieux. Il suffit de fortes pluies sur le pourtour des montagnes qui enserrent Rome pour que le fleuve connaisse des crues brutales.

 

« Vers 1730, le gouvernement papal, je ne sais par quel hasard, avait un million à dépenser. Valait-il mieux faire la façade de Saint-Jean-de-Latran, ou un quai qui remontât le Tibre de la porte du Peuple au Pont Saint-Ange ?

La façade est ridicule : mais peu importe la question. Le pape se décida pour la façade ; et Rome attend encore un quai qui peut-être diminuerait la fièvre qui dévore ces quartiers depuis les premières chaleurs de mai jusqu’à la première pluie d’octobre. Croirez-vous qu’on m’a montré dans le Corso, près de Saint Charles Borromée, la maison au-delà de laquelle la fièvre ne passe jamais ? » [2].

 

A Noël 1870, le Tibre envahit tous les bas quartiers de la ville ancienne, notamment le Champ de Mars et le Trastevere. On circula en barque sur le Corso, la piazza Navone et les Prati (les prés, le quartier situé au Nord du château Sant'Angelo et du Vatican) devinrent une vaste plaine liquide ! Cette inondation dramatique donna l’occasion au roi d’Italie, Vittorio Emanuele II, de venir dans sa nouvelle capitale pour la première fois ! Car Rome, jusqu’en septembre 1870, c'est-à-dire au lendemain de la défaite française de Sedan face à la Prusse (1er septembre), avait été un territoire pontifical défendu par la France très catholique de Napoléon III, empêchant le roi d'Italie d'en faire sa capitale. La protection de Rome contre les inondations, avec la construction de quais le long du Tibre, deviendra dès lors un enjeu politique pour affirmer progressivement le pouvoir du nouvel État sur la ville capitale du Royaume d'Italie, à la fois contre les prétentions de la Papauté sur la ville, mais aussi contre la municipalité de Rome qui était encore tenue par les grandes familles de la noblesse catholique dite "noire", celle qui était étroitemeent liée à la papauté. En conséquence, ce seront les services techniques du nouvel État et non ceux de la ville, qui se verront confier les études sur la construction des digues et, une fois la prééminence de l’État affirmée sur le territoire des bords du fleuve, ce sera l’occasion de développer une planification urbaine autour du Tibre avec la construction de boulevards sur les quais et des ponts sur le fleuve. Tous ces nouveaux ponts se virent d’ailleurs attribués des noms de personnages ayant lutté pour l’unification italienne : Garibaldi, Mazzini, Vittorio-Emanuele, Cavour, Matteotti… ou Risorgimento (résurgence, renaissance) !

 

Des projets plus radicaux de canalisation du Tibre avaient même envisagés comme le creusement d’un nouveau lit pour le Tibre, au Nord, dans le quartier des Pratt, débouchant entre la basilique Saint-Pierre et le château Sant'Angelo[3]. Le projet fut finalement abandonné dans la mesure où la dérivation devait franchir une zone proche du Vatican, propriété des grandes familles catholiques et que le temps n'était plus à l’affrontement mais à la recherche de la conciliation [4] !

 


[1] Giorgio Vigola. « La Virgilia ». 1982.

[2] Stendhal. « Rome, Naples et Florence ». 1817.

[3] Carte de Giacomo Zucchelli. 1879.

[4] Denis Bocquet. « Moderniser la ville éternelle – Luttes institutionnelles, rivalités et contrôle du territoire : Rome 1870 – 1900 ». In « Histoire urbaine ». N°9. 2004.

 

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