Notes d'Itinérances

05 décembre 2023

Viêt-Nam - 1995 / 2023 (15/28). Le col des Nuages et Da Nang.

La péninsule « paradisiaque » de Läng Cô – Entre souvenirs de la base américaine et du camp Viêt-Cong

 

Vietnam 1995 Route de Da Nang

Au bas du Col des Nuages, la péninsule de Läng Cô entre mer et lagune : une langue de sable jaune coiffée de cocotiers sur laquelle viennent se rompre des barres parallèles d’écume (photo). A l’extrémité, un village de pêcheurs, des paillotes, des barques sur la plage. Quasiment le décor d’une des scènes du film « Apocalypse Now » [1], celle dans laquelle les hélicoptères d’un régiment de cavalerie attaquent un village au son amplifié de « La chevauchée des Walkyries », sèment la terreur et la mort et transforment un paysage de paradis terrestre en un gigantesque brasier. Là aussi la guerre a dû passer, comment ? Avec quelles conséquences ?

« La conquête de la terre, qui signifie principalement la prendre à des 
hommes d'une autre couleur que nous, ou dont le nez est un peu plus plat, 
n'est pas une jolie chose quand on la regarde de trop près » [2]

Arrivés au col des Nuages, c’est l’enchantement. 

« Au nord, au sud, la mer s’étalait, merveilleusement bleue. Les Montagnes de Marbre, les plaines où la buée s’amasse, les îlots vaporeux et, là-bas, des jonques minuscules jetées dans la baie de Tourane, comme des miettes pour les oiseaux de mer » [3].

Dieu, que j’en avais entendu parler de ce col des Nuages ! C’est que, dans la famille, il y a aussi d’anciens militaires qui ont participé à la guerre française entre 1946 et 1954. Et ils sont revenus avec la nostalgie de ce pays, de ses paysages et de ses habitants. Aussi, dès qu’ils se rencontrent avons-nous droit, non pas aux récits de leurs faits d’armes, mais à la description des endroits où ils sont allés et à l’échange de leurs souvenirs. Pour partie, ce voyage, je l’ai donc déjà fait mille fois, simplement je viens vérifier que les représentations enchantées que je m’en suis construit au travers les récits entendus correspondent bien à la réalité. Eh bien, je ne suis pas déçu !

A Da Nang, la route longe l’ancienne base américaine, du moins le peu qu’il en reste : quelques baraques éventrées, des hangars d’avions ou d’hélicoptères séparés de vastes espaces bétonnés gagnés progressivement par les herbes, des poteaux supportant des lambeaux de grillage, des squelettes de miradors [4]. C’était pourtant l’une des plus grandes bases américaines au Viêt-Nam. C’est là que débarquèrent, en mars 1965, les premières troupes combattantes américaines : 3 500 marines accueillis avec des fleurs par des jeunes filles en aò-dài. Ils seront bientôt suivis de milliers d’autres, mais qui ne connaîtront plus semblables comités d’accueil. Dix ans plus tard, presque jour pour jour, le Viêt-Cong occupera Da Nang.

Juste derrière la base américaine se situe la Montagne de Marbre, ou montagne des cinq éléments : le métal, l’eau, le bois, le feu et la terre. Ce sont cinq formidables « pains de sucre » calcaire posés au long de la plaine littorale. L’intérieur du plus grand, le Mont de l’Eau, est creusé d’une vaste cavité qui abrite des pagodons et des autels, ainsi qu’une statue de Bouddha. Des statues de génies aux tuniques de couleurs violentes, rouges ou bleues, casqués et armés de lourdes épées et chevauchant des lions, en gardent l’entrée. Des raies de lumière tombent des ouvertures du plafond et se mélangent aux fumées d’encens baignent l’ensemble de l’espace d’une lumière laiteuse. Pendant la guerre américaine, cette grotte servait d’hôpital pour le Viêt-Cong, alors qu’elle est située à une portée de fusil de la base de Da Nang et qu’elle surplombe l’immense plage de « China Beach » sur laquelle les soldats américains venaient bronzer et surfer au cours de leurs permissions, entre deux missions de guerre ! De fait, le front devait être partout et chaque Vietnamien un ennemi potentiel pour les GI’s.


[1] « Apocalypse Now » film de Francis Ford Coppola. 1979. Adaptation libre de la nouvelle de Joseph Conrad « Au cœur des ténèbres » parue en 1899.

[2] Joseph Conrad. « Au cœur des ténèbres ». 1895.

[3] Roland Dorgelès. « Sur la route mandarine ». 1925.

[4] 2023. Tout cela disparait progressivement sous des barres d’immeubles et d’hôtels internationaux, à l'architecture malheureusement assez médiocre, qui longent la magnifique plage de Danang.

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04 décembre 2023

Viêt-Nam - 1995 / 2023 (14/28). Hué, tombes royales et rivière des parfums.

Tombes royales, pagode « de la Vieille dame céleste » et hommage au moine Thich Quang Duc

 

Vietnam 1995 HuéPagode de la Vieille Dame céleste

« Les tombes royales d’Asie ne sont pas les tristes amas de pierre qu’on voit sous nos climats » [1].

Les empereurs de la dynastie des Nguyen firent ériger leurs tombeaux au Sud de Hué, de part et d’autre de la rivière des parfums. Ils les faisaient construire de leur vivant, apportant la plus grande attention à leur architecture et au déroulement des travaux, à l’image des empereurs chinois.

Le mausolée de Tu-Duc fait plus penser à une résidence champêtre qu’à un tombeau. Un mur d’enceinte entoure un vaste jardin dont chaque élément a été pensé, voulu par l’empereur. Plus de trois mille ouvriers y travaillèrent créant des collines, creusant un petit lac, plantant les essences choisies, construisant ponts, pavillons et temples, afin que l’ensemble crée une harmonie dans une proportion équilibrée des différents éléments. L’empereur, dit-on, venait composer des poèmes dans un adorable pavillon de bois, sur pilotis, dont la terrasse domine le petit lac couvert de fleurs de lotus. 

Derrière ce décor délicat et mélancolique, le tombeau proprement dit. Il s’ouvre par un arc aux toits relevés, débouchant sur une cour gardée par des statues d’éléphants, de chevaux et de mandarins. Derrière, le pavillon de la stèle abrite une pierre de 20 tonnes sur laquelle sont écrits les hauts faits du régime, Tu-Duc en ayant rédigé lui-même le texte en pensant certainement que l’on n’était jamais si bien servi que par soi-même.

Par contre, le dernier tombeau des Nguyen est un chef-d’œuvre kitsch dans son genre. Ici, pas de douces ondulations des collines, de nostalgique petit lac, de frais ombrages ; non, un immense escalier à flanc de coteau qui écrase de son autorité et sa suffisance. A croire que moins les empereurs avaient de pouvoir et plus ils voulaient en imposer après leur disparition. Là plus de pagodon de bois, mais un cénotaphe de béton, plus de statues de pierre, mais de ciment, plus d’incrustation de porcelaine, mais des tessons de verre. Et avec le climat tropical, rampes d’escaliers, statues, ornementations, portiques, se délitent montrant aux regards indiscrets leurs squelettes de ferraille. Le temple est une massive construction de béton, au style composite, à la fois Versailles, gare de Lyon et pagode. A l’intérieur, c’est le même mauvais goût qui domine, peintures criardes et statue dorée, grandeur nature, du défunt. Et pour faire bonne mesure, derrière les bouddhas, de petites guirlandes électriques clignotent. Cela n’a effectivement plus rien à voir avec les tristes amas de pierre de nos climats !

Remontée de la rivière des parfums vers la pagode « de la vieille dame céleste », la rivière des Parfums, bien nommée car entourée de plantes médicinales sur ses berges. Des sampans sont arrêtés dans le cours du fleuve, l’eau à la limite des bas-bords. Des hommes plongent et remontent, dans de petits paniers, le sable du lit de la rivière que leurs femmes entassent sur le pont du bateau. Puis, le bateau chargé, ils redescendront le fleuve vers Hué pour y vendre le sable pour la construction. La tour octogonale, à sept étages, du stupa « de la vieille dame céleste » domine la rivière (photo). Derrière la tour, la pagode Thiên Mu, ensemble de bâtiments simples et sans grâce. 

Et là, sous un auvent, une vieille voiture bleue, style années cinquante, est sagement rangée et son modernisme, même rétro, choque au milieu de ces lieux de prière et de recueillement. Mais c’est la voiture qui conduisait le moine Thich Quang Duc à Saigon, le 11 juin 1963. Autre image de la mémoire : un bonze, assis au milieu d’un carrefour de la ville, et s’immolant par le feu pour protester contre la politique antibouddhique du Président sud-vietnamien Ngô Đình Diệm, catholique [2]. En arrière-plan de la photo, on aperçoit bien la voiture avec laquelle il est venu de Hué pour se sacrifier dans un carrefour fréquenté de Saigon. Aujourd’hui, la voiture rouille doucement, les pneus s’affaissent, un essaim de guêpes s’est installé sous le capot du moteur, donnant lieu à de nombreuses allées et venues des ouvrières au travers de la calandre du véhicule.


[1] Roland Dorgelès. « Sur la route mandarine ». 1925.

[2] 2023. D'autres moines, nonnes et laïcs vietnamiens s'immoleront également. Les excès de la politique antibouddhique, la multiplication des manifestations et l’isolement du gouvernement conduiront les États-Unis à soutenir un coup d'État pour renverser Diệm lequel sera assassiné le 2 novembre 1963. 

03 décembre 2023

Viêt-Nam - 1995 / 2023 (13/28). La cité impériale de Hué.

Une citadelle pillée puis détruite partiellement

 

Vietnam 1995 Hué Temple des Générations

 « Hué, c’est un mythe, c’est un symbole, c’est une fleur, c’est aussi une cité admirable, à l’imitation de la Cité Pourpre de Pékin » [1].

Émoi de découvrir le « Cavalier du Roi », le bastion Sud de la cité impériale. Sa silhouette basse et massive de fortification « à la Vauban » était parue sur toutes les premières pages des quotidiens du monde lors de l’offensive du Têt de janvier 1968, floue, grise, mais couronnée du drapeau Viêt-Cong qui narguait les « marines » américains ! Il leur fallut plus de dix jours pour reprendre possession de la citadelle dans laquelle le combat se livrait parfois au corps à corps. 

La cité impériale a beaucoup souffert des combats de 1883 [2], 1947 et 1968, de nombreux pavillons ont disparu et les herbes envahissent les esplanades. Quelques-uns ont été sauvés et restaurés laissant deviner la splendeur passée de la cité : Porte du Midi avec ses piliers et façades de bois laqué rouge et or, son toit de tuiles jaunes la couleur réservée à l’empereur, au faîtage de dragons griffus et barbus, dressés à chaque coin de la toiture, au corps sinueux et mouvant, porte sous laquelle se tenait l’empereur lors des cérémonies et parades militaires. « Palais de l’Harmonie Suprême » aux quatre-vingt piliers de bois de fer, laqués de rouge et décorés de dragons d’or. « Belvédère de la Lecture » à la toiture ornée de dragons aux écailles de porcelaine bleue et blanche nageant sur des vagues de porcelaine rouge et jaune, et de grues aux ailes déployées de plumes de porcelaine bleue, dressées sur des lions accroupis, tuiles de couleur or terminées en façade par des fleurs de lotus de porcelaine blanche. « Temple du Culte des Rois Nguyên » à la longue façade de panneaux rouges et or surmontée de travées fleuries à fonds multicolores, bleue, vert, rouges, et devant laquelle sont posées neuf énormes urnes de bronze, ventrues, aux pieds arqués, chacune étant différente par la forme de ses anses, de ses pieds, de ses reliefs présentant des paysages ou des signes chinois. Une dizaine de bâtiments demeurent sur la soixantaine que comptait la citadelle [3]. Pas de tramway et pas « de sonnette électrique à la porte de l’Enceinte Pourpre interdite » contrairement à ce qu’imaginait, pour l’avenir, Roland Dorgelès ! De la Cité Interdite il ne reste rien, ni mur d’enceinte, ni porte, parfois un peu de ciment au sol, un réverbère oublié, un pan de mur. Les cours du Palais sont occupées par des potagers. « Hué, c’est la capitale de la mélancolie » [4]. Pauvre Hué qui avait déjà eu à subir un dévastateur et sanglant assaut des troupes françaises en 1883, assaut contre lequel Pierre Loti, officier de Marine à bord du croiseur « Atalante », avait dénoncé la sauvagerie dans un article du Figaro. Comme son article avait provoqué un scandale à Paris, mais qu’il était difficile de s’attaquer à une gloire littéraire nationale, le Ministre lui accorda une permission ! 

« Voici des gens à Paris qui envoient tuer ici de braves enfants du pays breton (...) qui nous lancent dans cette expédition du Tonkin et qui ont, après, des hauts le cœur quand on vient leur dire comment les choses se passent » [5].

Le palace « dont les plans étaient tracés » a vu le jour, plusieurs mêmes, cubes de béton, le long de la Rivière des Parfums. Ils ont remplacé le « pitoyable petit hôtel-épicerie célèbre chez tous les coloniaux » [6] où l’on faisait halte autrefois. S’il n’est pas sûr que le paysage de Hué y ait gagné, du moins le confort de ses hôtes en est-il amélioré : chambres au standard international, climatisation mais, étonnamment, la télé n’a pas encore conquis ce territoire. Au « Huong Giang Hotel », pendant le dîner, nous entendons la musique qui accompagne un « repas impérial ». Les agences de voyage proposent aux groupes de touristes une soirée dite « impériale » au cours de laquelle chaque participant doit revêtir la tenue d’un personnage de la cour, qui en empereur, qui en impératrice ou en princesse, qui en mandarin, ou en seigneur. Chacun est affublé d’une tunique, de socques, de chapeaux coniques ou de tiare. Le couple « élu » empereur (quelle contradiction !) siège en bout de table et préside au repas, sous de vastes parasols jaunes, couleur de l’empereur. 


[1] Lucien Bodard. « Capitales oubliées. Hué - Viêt-Nam ». 1994.

[2] Pierre Loti. « La prise du Tonkin ». 1883.

[3] 2023. Un très gros effort de restauration, voire de reconstruction, a permis d’ouvrir de nouveaux bâtiments.

[4] Lucien Bodard. « Capitales oubliées. Hué - Viêt-Nam ». 1994.

[5] Pierre Loti. « Journal intime ». 1883.

[6] Roland Dorgelès. « Sur la route mandarine". 1925.

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02 décembre 2023

Viêt-Nam - 1995 / 2023 (12/28). Hoa Lu, la « baie d’Halong terrestre ».

Les temples des rois Dinh Tien Hoang et Le Hoan – Un photographe qui n’hésite pas à mouiller la chemise... et son pantalon

 

Vietnam 1995 Hoa lu

Hoa Lu est l’ancienne capitale du Dai Co Viet aux Xe et XIe siècle. Au fond d’une étroite route champêtre, deux petits temples sont érigés dans une vallée dominée de pitons calcaires. L’un dédié à Dinh Tien Hoang, monarque du Xe siècle dont la statue se dresse dans l’arrière salle du temple. Dans une demi-pénombre et la fumée des baguettes d’encens seuls émergent d’une tunique d’or les mains, de couleur vieil ivoire, le visage à la fine moustache noire pendante, encadré de grandes oreilles à l’image de celles des bouddhas et coiffé d’un imposant bonnet carré de mandarin. Le petit jardin qui précède le temple est un peu à l’abandon, et les herbes et arbustes y poussent sans discipline. Des enfants nous offrent des bracelets de fleurs de jasmin dans l’espoir d’obtenir quelques dôngs, ou plus vraisemblablement un dollar. 

L’autre temple, dédié au Roi Le Hoan, présente la même disposition : arc d’entrée à deux étages de toits convexes et à la travée couverte de signes en langue chinoise, courette dallée, comportant des lanternes de pierre et, dans la pagode aux piliers de bois de fer, à la couverture de tuiles brunies et dont le faîtage est dominé par des dragons enlacés, les statues du roi assis sur son trône, les mains posées sur les genoux, vêtu de pourpre et d’or, et de son épouse, Duong Van Nga, plus petite, assise également mais sur une chaise plus modeste, richement habillée d’une chasuble d’or. Devant eux, des offrandes : bouquets de fleurs, lotus, baguettes d’encens, billets de banques dollars et dôngs. Suite à l’assassinat du roi par un des gardes du palais en 979, le général Le Hoan prit le pouvoir et fonda la dynastie des Le, succédant ainsi à celle des Dinh. Il conduisit la guerre contre le royaume du Champa et annexa les provinces du Sud jusqu’au col des Nuages.

Une promenade en barque permet de visiter le site de « la baie d’Halong terrestre » (photo). La « barque » est une espèce de grand panier plat de bambou tressé, calfaté avec du goudron. Il nous faut monter à cinq dans ce panier, mon épouse, ma fille et moi, plus le mari et la femme qui assurent la progression à la rame et à la perche. Au passage d’un petit barrage, un jeune vietnamien profite des manœuvres pour nous photographier. Sommes-nous si ridicules dans notre barcasse ? La rivière serpente paresseusement parmi les rizières inondées qui tapissent le fond des gorges. Même paysage que dans la baie d’Halong de pitons calcaires couverts d’une végétation arbustive.

« Ces étranges montagnes de la frontière de l’Annam, rongées par les intempéries et qui ressemblent à des entassements de pierre ponce » [1].

Calme, sérénité, quiétude, pas de bruit, seul le bruit de la rame qui frappe l’eau [2]. La rivière s’enfonce parfois sous les parois calcaires et il nous faut baisser la tête dans ces vastes tunnels naturels. Nous sommes bientôt rejoints par une autre barque dont la batelière rame avec les pieds et qui nous propose du Coca-Cola ; la civilisation américaine est décidément partout. Au moment de faire demi-tour, batelier et batelière s’arrêtent et ouvrent le paquet qu’ils avaient emporté, soigneusement enveloppé dans une feuille plastique. Ce sont de magnifiques nappes brodées à la main, en famille, comme le démontre la photo qu’ils nous tendent et sur laquelle nous pouvons les reconnaître en compagnie de la grand-mère et de leurs filles. Et là, tout y passe, tout est déballé, les nappes ouvertes pour nous faire admirer la taille, la forme, les motifs, les couleurs, dragons, oiseaux, scènes de la vie paysanne, branches de pêchers aux fleurs bleues, les serviettes sont étalées, comptées. Marchander, choisir, négocier dans un espace aussi restreint et instable n’est pas très simple et, pour nous convaincre, nos bateliers se déplacent dans ce frêle panier dont nous avons un peu peur qu’il ne finisse par chavirer. Bien sûr, nous nous laissons tenter et le mérite en est faible en regard du prix demandé. Au retour, notre photographe est à nouveau là, près du barrage, mais il n’est pas seul, d’autres l’ont rejoint qui étaient sur l’embarcadère au départ. Il brandit un petit rectangle de papier : la photo qu’il a développée pendant notre promenade. Les autres photographes exhibant aussi leurs clichés, il saute alors dans la rivière, tout habillé et, de l’eau jusqu’à la taille, il vient nous porter son épreuve au bateau pour être sûr d’être le premier. Je ne sais pas s’il est coutumier du fait, mais comment refuser d’acheter le cliché dans ces « conditions » ?


[1]Graham Greene. « Un américain bien tranquille ». 1955.

[2] 2023. Le site est désormais très fréquenté et a beaucoup perdu de son calme, sa sérénité et sa quiétude !

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01 décembre 2023

Viêt-Nam - 1995 / 2023 (11/28). La traversée du delta du fleuve rouge.

Une directive d’alignement appliquée sans faillir 

 

Vietnam 1995 Delta du fleuve Rouge

La route, en fort mauvais état, couronne la digue, dominant de chaque côté des canaux d’irrigation et les petits carrés juxtaposés des rizières. L’activité est intense : hommes, pantalons retroussés pulvérisant des insecticides ou désherbant manuellement, enfants allongés sur le dos des buffles (photo), ou faisant voler des cerfs-volants, jeunes femmes chargées de l’irrigation 

« … deux maigres Annamites, tirant et relâchant les deux bouts d’une corde (qui) font volter en cadence un seau de paille, pour amener l’eau d’un champ en contrebas » [1]

Le geste n’a pas changé depuis la description de Roland Dorgelès mais, dans le delta du fleuve rouge, il est plus vraisemblable qu’il ait vu des Tonkinois plutôt que des Annamites, mais alors on ne s’embarrassait pas toujours de distinctions entre les peuples d’Indochine !

Et, tout au long de la route, une activité étonnante : ça marche, ça roule en bicyclette, en mobylette, en bus. On y rencontre aussi bien un berger avec ses canards, qu’un gardien de buffle, ou un paysan qui transporte son cochon attaché sur son porte-bagage de vélo, sans parler de celui qui déménage avec sa bicyclette sur laquelle il a réussi à placer une armoire et son lit. Et partout des petits commerces, alimentation, restaurant, bar, fruits et légumes, bimbeloterie, quincaillerie.

Chaque village traversé donne l’impression qu’un typhon est passé au long de la route : les arbres sont abattus, couchés sur les trottoirs, les maisons éventrées, exhibant l’intimité de leur intérieur, les murs brisés et des tas de gravats s’accumulent sur les trottoirs. On nous explique que le gouvernement a exigé que soit respecté un dégagement de plusieurs mètres de chaque côté de la rue dans la traversée des villages. Cet espace ne l’était plus et chacun l’avait progressivement colonisé en installant tout d’abord une échoppe, puis en construisant un magasin en dur ou en agrandissant sa maison. Jusqu’au jour où l’administration a décidé de faire respecter la réglementation ! Chaque bâtisse doit donc être détruite, à un terme manifestement proche, sous la menace d’une destruction au bulldozer et, en conséquence, chaque famille s’active à casser sa maison ou sa boutique pour récupérer ce qui peut l’être. Le père abat les murs, la mère recueille et trie les matériaux que les enfants entassent. Bien évidemment chaque brique sera nettoyée puis réutilisée. A la petite gargote où nous nous arrêtons le midi, la même directive menace. Demain, le propriétaire fera tomber les murs et la poutre en béton et démontera la toiture de la terrasse qui nous accorde aujourd’hui son ombre. Si le paysage ne présente pas toutes les caractéristiques de la quiétude avec cette menace de destruction et cet aspect général de chantier où chacun s’active, du moins est-on bien loin de l’ambiance de la guerre qui prévalait ici il y a un demi-siècle.

A trente kilomètres au Sud d’Hoa-Lu, se trouve en effet la ville de Phat Diem. L’ancien évêché est, parait-il, car nous n’aurons pas l’occasion de nous y rendre, dominé par une immense cathédrale à la nef en carène de navire supportée par d’énormes piliers de bois de fer. Graham Greene y situe un chapitre de son roman « Un américain bien tranquille » dans lequel la ville est attaquée par les troupes Vietminh suivie de la contre-offensive des parachutistes et légionnaires de l’armée française. Cet épisode pourrait se situer lors de la troisième offensive du général Giap dans le delta du fleuve rouge en 1951 [2]. C’est notamment au cours de cette bataille que mourut le fils du général de Lattre de Tassigny sur le rocher de Ninh-binh à quelques kilomètres d’Hoa-Lu. Dénonçant la guerre et sa boucherie aveugle, Graham Greene décrit comment les malheureux civils, pris entre deux feux, se noient dans les canaux des rizières en utilisant une image culinaire particulièrement crue et atroce.

 « …Il me vient maintenant l’image d’un ragoût qui contiendrait trop de viande » [3]

Pour ceux qui en réchappent, il décrit les civils s’entassant dans la cathédrale en crevant de faim et de froid


[1] Roland Dorgelès. « Sur la route mandarine ». 1925.

[2] 2023. La bataille de Phat Diem constitue la première campagne militaire conventionnelle du général vietminh Võ Nguyên Giáp, en envahissant la région à dominance catholique du delta afin d’essayer de briser la résistance des forces françaises qui y étaient stationnées.

[3] Graham Greene. « Un américain bien tranquille ». 1955

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30 novembre 2023

Viêt-Nam - 1995 / 2023 (10/28). La baie d’Halong et le port de Hon Gay.

Une intense mais diversifiée activité portuaire

 

Vietnam 1995 Baie d'Halong Hon Gai

« Oui, plus d’une fois, je me suis demandé si les plus beaux sites du monde ne seraient pas ceux dont on rêve toujours sans en approcher jamais, et si, tout compte fait, la réalité est bonne à autre chose qu’à gâter les merveilleux panoramas que peint, pour nous seuls, notre fantaisie ». [1]

Halong, ou « la descente du dragon », lequel dragon entailla profondément la montagne avec les mouvements de sa queue. Au premier abord, pas de réelle surprise, films et photographies ont popularisé le site. Lieu connu et pourtant inconnu tant varient les paysages ; chaque passage du bateau entre deux pitons calcaires est l’occasion d’une nouvelle découverte, d’une autre perspective, à la fois semblable par les masses rocheuses et leur végétation, et changeante par les formes, les reliefs, le jeu des plans et arrière-plans. Impression d’avancer dans un labyrinthe infini, sans espoir de sortie, baies, lacs tranquilles, petits ports naturels, grottes, criques, plages minuscules, goulets, couloirs, tunnels, lagunes immenses. Les parois des îlots sont abruptes, marquées d’un étroit étranglement au-dessus du niveau de l’eau, les formes sont étranges dans lesquelles chaque peuple, chaque période, a recherché des ressemblances : poule, chien, doigt, pagode, animaux mythiques, pour qu’enfin on y découvre dernièrement le profil de François Mitterrand ! Mais le lieu n’est pas seulement singulier par les formes de ses éminences rocheuses ruiniformes et les méandres de la mer de Chine, il produit également une impression étrange par son aspect désertique. Peu de vie s’y manifeste : pas d’oiseaux, pas d’animaux sur ces pitons, une végétation d’arbustes rabougris accrochés aux parois, et de temps en temps, dans ce dédale, une barque de bambou tressé conduite par une femme couverte d’un chapeau conique ramant debout, ou une jonque de pêcheur glissant silencieusement. Plutôt que l’étrangeté des paysages auxquels nous étions plus ou moins préparés, la singularité est dans cet espace à la fois plein par le chaos rocheux qui le compose, et vide d’activités et de vie.

« ... la baie d’Along (...) ; des chicos noirâtres peuplés de singes criards qui trouaient une mer agitée par de mystérieux courants » [2].

Mais que sont devenus les singes criards ?

Hon Gay est le petit port de pêche d’où partent les rares bateaux pour la visite de la baie (photo) [3]. C’est un imbroglio d’embarcations, canots, chalands, sampans, chaloupes, sur les ponts desquels se presse toute la famille dans quelques mètres carrés, venus pour vendre la pêche du jour, ou pour se ravitailler. Tout cela se mêle, s’interpelle, s’embrouille, se mélange, foisonne, déjeune sur les pontons, sommeille à l’ombre d’une voile, discute, crie. Près de l’embarcadère, le marché où les produits s’entassent à même le sol, citrons verts, pamplemousses, mangues, jacquiers, fruits du dragon vert, liserons d’eau, oignons, ou sur de frêles étalages bancals, des morceaux de viandes sanguinolents, du dentifrice, du savon ou des cuvettes en plastique. 

« Le marché couvert est abrité des vents marins par un rocher énorme, un véritable mur qui, de ce côté-là, isole Hongay de la baie. (...) A vingt mètres de sa base on aperçoit, collée à lui comme un limaçon blanc, une pagode. Moins qu’une pagode, un pagodon ; moins qu’un pagodon, une coquille » [4].

Le petit pagodon est toujours là, écrasé par la masse formidable de la falaise. Entre le marché et le pagodon, de nombreux immeubles ont été édifiés récemment. Curieusement, leur architecture et leur disposition font penser à la structure de la baie d’Halong, ils ont une façade exiguë sur la rue, juste l’espace d’une échoppe en rez-de-chaussée et s’étirent en hauteur sur trois ou quatre étages, et en profondeur avec des cours intérieures, parfois groupés ou tranchés par la gorge étroite de la rue, ou séparés de plus ou moins vastes espaces libres


[1] Roland Dorgelès. « Sur la route mandarine ». 1925. 2023 : La question n'a rien perdu dde son acuité. S'approcher de la baie d'Halong aujourd'hui, c'est courir le risque de gâter le merveilleux panorama que l'on s'en était fait...

[2] Jean Lartéguy. « Les naufragés du soleil ». 1978.

[3] 2023. Depuis, les départs pour la visite de la baie d’Halong s’effectuent plus à l’ouest, dans l’île de Dao Tuan Choa transformée en marina « méditerranéenne » avec réplique du casino de Monte-Carlo par le groupe tentaculaire Vinh, et par l’intermédiaire de plus de 500 navires, de la barcasse au mastodonte !

[4] Yvonne Schultz. « Le sampanier de la baie d'Along ». 1931.

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29 novembre 2023

Viêt-Nam - 1995 / 2023 (9/28). En route pour Halong.

Les petites vendeuses de Coca au bac du Fleuve rouge

 

Vietnam 1995 Baie d'Halong

Nous quittons Hanoi par le nouveau pont Chuong-Duong d’où nous pouvons admirer la silhouette caractéristique du pont Long-Biên. Celui-ci est plus connu en France sous son appellation de « Paul Doumer » : une structure métallique légère à quatre bosses, conçue par le cabinet d’architecture de Gustave Eiffel. Inauguré en 1902 par le Gouverneur Général de l’Indochine, il constituait une prouesse technique avec ses 1 682 m de long. Il comprenait une voie ferrée centrale, encadrée de deux voies routières et de passages piétons. Véritable cordon ombilical de la ville, c’est par lui que passent encore les liaisons ferrées avec la Chine par Lao Cai ou avec Haiphong.

Le pont Long-Biên était bombardé une première fois par les Américains le 11 août 1967 et le tablier s’effondrait sur plus de trente mètres. Les techniciens du génie chinois étaient immédiatement dépêchés sur les lieux pour le remettre en état. 

« Des panneaux à la gloire de Mao Zedong et des portraits du Grand Timonier fleurirent sur les échafaudages et les superstructures de l’ouvrage. Les Vietnamiens n’apprécièrent que médiocrement cette propagande... » [1].

Le 5 octobre, le pont était rouvert à la circulation, mais le 25, par deux attaques effectuées dans l’après-midi, cinquante mètres de tablier étaient à nouveau détruits. Une nouvelle fois réparé, il fut détruit une fois encore lors des attaques du 14 au 19 décembre 1967. Mais trop endommagé, 200 mètres de tablier et 6 piles étaient détruites, il ne fut remis en état qu’après l’arrêt définitif des bombardements, en avril 1968. Depuis, trop étroit pour faire face à la circulation, il a été doublé en 1983 par le pont Chuong-Duong et réservé au chemin de fer, aux piétons et aux cyclistes.

Si ce n’était leur parfaite platitude et le reflet, parfois, d’une étendue d’eau, les rizières du delta sont un immense gazon en damier dont la couleur des cases varie du vert acide au vert bleuté. Peu d’espaces entre ces toutes petites parcelles, un étroit chemin, ou une fine diguette, sur lesquels des buffles pâturent sagement, un enfant assis ou allongé sur leur dos. 

Au passage du bac sur le fleuve rouge, à Haïduong, une demi-douzaine de gamines se précipite autour de nous pour nous vendre des bouteilles de Coca-Cola et de Seven-Up [2]. Pour montrer que les bouteilles sont bien fraîches, elles nous les posent sur les avant-bras, en répétant « coca », « coca ». Pas moyen de faire une photo sans trouver une bouteille de coca brandie à bout de bras devant l’objectif. De guerre lasse, je réintègre le véhicule en espérant qu’elles s’intéresseront à d’autres clients potentiels. Las, nous sommes les seuls Européens dans la file d’attente. L’une d’entre elles mène une offensive continue, en faisant mines et grimaces, transformant la sollicitation en jeu. Au départ du bac, elle partira boudeuse, manifestement fâchée que nous ne lui ayons rien acheté. Lisant, plus tard, le récit de voyage de Guillebaud et Depardon, je retrouve sous leur plume une aventure très semblable avec une petite vendeuse éclatant en gros sanglots de déception de n’avoir rien vendu aux « Phaps » [3]. Je me plais à penser qu’il s’agît de la même petite fille et qu’elle a transformé son gros chagrin d’enfant en jeu, mais d’un jeu d’où émerge encore la déception de ne pas toujours gagner.

A Halong, nous sommes hébergés au « Halong 3 », une dénomination éminemment poétique pour un hôtel qui ne l’est pas moins : un parallélépipède massif de béton aux cases uniformes. Il avait été construit par les Soviétiques dans les années 60 pour y accueillir leurs ingénieurs, techniciens et militaires en repos. C’est que les hôtels pour étrangers sont encore peu nombreux à Halong, vraisemblablement au moins trois, mais les touristes étrangers sont bien moins nombreux que les touristes vietnamiens.


[1] François de Quirielle. « Sous les bombes américaines ». 1992.

[2] Cinquante ans plus tôt, à Haï Duong, lors de l’opération « Pierre » de reconquête du delta de février 48, pour accueillir les troupes françaises débarquées par LCT pour reprendre la ville, il n'y avait pas de petites filles pour vendre du Coca… seulement des balles de mitrailleuse. 

[3] Jean-Claude Guillebaud, Raymond Depardon. « La colline des Anges ». 1995. Phap : français.

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28 novembre 2023

Viêt-Nam - 1995 / 2023 (8/28). Adopter un enfant vietnamien en 1995.

Un chemin semé d’embûches

 

Vietnam 1995 Adoption enfants

Ayant appris qu’une collègue du ministère de l’Agriculture est également présente à Hanoi dans l’objectif d’adopter un enfant vietnamien, nous décidons d’aller la rencontrer dans son hôtel afin de lui apporter le bonjour de ses amis toulousains, de connaître ses impressions sur le pays et de savoir comment se présente l’adoption de l’enfant.

Son petit hôtel est situé non loin de l’orphelinat de Hanoi et semble s’être spécialisé dans l’accueil d’étrangers en instance d’adoption de bébés vietnamiens ! Ce sont en effet une bonne douzaine de couples occidentaux qui y logent. Il y a là notamment plusieurs jeunes couples français, soit qui viennent de faire leur demande d’adoption, soit qui viennent d’obtenir la garde d’un enfant, soit qui attendent d’obtenir toutes les autorisations pour pouvoir retourner en France avec l’enfant.

En 1995, le Viêt-Nam est l'une des quatre premières destinations pour les Occidentaux qui veulent adopter un enfant, après la Chine, la Corée du Sud et la Russie. Cette année, ce seraient plus de 1 500 enfants du Vietnam qui auraient été adoptés par des Occidentaux, dont 310 par les Américains et 1069 par les Français[1]. C’est que l’adoption apparaît particulièrement simple au Viêt-Nam, du moins en première analyse. Le cadre juridique de l’adoption au Viêt-Nam est certes celui de la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale mais l’adoption peut être demandée par des couples mariés ou une personne célibataire. Si seuls les enfants placés dans un orphelinat créé légalement au Vietnam peuvent être adoptés par des étrangers, chacun peut contacter directement un de ces orphelinats pour demander d’adopter un enfant.

Si cela semble simple à priori, la réalité apparaît beaucoup plus compliquée. Certes, chacun peut contacter, librement et individuellement, l’orphelinat de son choix pour proposer d’adopter un de ces enfants mais, de fait, rien ne semble jamais définitivement acquis. Si l’on en croit les récits des couples de l’hôtel, à chaque nouvelle étape de l’adoption, un nouveau problème surgit : une autre autorisation à demander, une modification du règlement ou une interprétation différente de celui-ci. Lesquels problèmes sont toujours susceptibles de tout remettre en cause. Et, ce qui semblait des plus simples au départ exige en réalité des semaines, voire des mois de négociation, de démarches, de rencontres, de formalités diverses.

L’ambiance dans ce petit hôtel, au milieu de ces jeunes couples, est très particulière. C’est tout à la fois une ambiance de bonheur, de plénitude où chacun pouponne et s’émerveille des progrès réalisés par les nourrissons adoptés par les uns et les autres, mais aussi une ambiance de désespérance, d’abattement, d’impuissance face à la lenteur de l’administration vietnamienne et des nouveaux délais à respecter. Aussi, de table en table, les personnes se réconfortent-elles, se consolent-elles, s’encouragent, s’expliquent pour la centième fois les difficultés rencontrées, les succès obtenus, les stratégies à mettre en œuvre, les solutions possibles.

Finalement, après cette très longue et pénible épreuve initiatique, chacun de ces jeunes couples repartira néanmoins avec son marmot. Seulement, le prix psychologique et humain en aura été beaucoup plus élevé qu’ils ne l’avaient imaginé au départ.


[1] 2023. En 1991, la France avait adopté 65 enfants venant du Viêt-Nam et, en 1994, 977. En 1996, ce nombre était de 1 393, en 1 997, 1 328 et en 1998, 1 343. La part des enfants vietnamiens dans les adoptions en France était alors considérable (1/3 des adoptions internationales) ce qui était rendu possible par le fait que le Viêt-Nam acceptait les démarches individuelles. 

Depuis, le nombre d’adoptions a beaucoup baissé, 50 (2018), 49 (2019), 19 (2020), 22 (2021). Aujourd’hui, les personnes désireuses d’adopter un enfant au Viêt-Nam ne peuvent plus effectuer leurs démarches de manière individuelle. Elles doivent passer par l’intermédiaire de l’Agence française de l’adoption (AFA) ou un autre organisme habilité par le ministère des Affaires étrangères. Accrédités par ministère de la Justice vietnamien, ces organismes sont seuls habilités à entamer les différentes procédures relatives à l’adoption. Ils se chargent de la réception, de l’étude et de l’instruction des dossiers, ils servent d’intermédiaires entre les demandeurs et les orphelinats.

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27 novembre 2023

Viêt-Nam - 1995 / 2023 (7/28). Dong Si Hua, un résistant anticolonialiste francophile.

Un militant anticolonialiste admirateur de la culture française 

 

Vietnam 1995 Dong Sy Hua

Notre cyclo nous conduit au rez-de-chaussée d’un immeuble en bien mauvais état, aux façades noircies par les mousses, couvertes de protubérances de cabanes, d’auvents et de murs. A l’appartement indiqué nous nous adressons à un jeune homme qui ne semble pas surpris de voir débarquer ces deux français chez son grand-père. Nous découvrirons au cours de l’entrevue que celui-ci entretient un vaste réseau d’amitiés avec des personnalités politiques et scientifiques françaises. 

L’appartement est sombre, les murs se souviennent difficilement de leur dernière couche de peinture, un vert peut-être ? Le mobilier est sommaire, les murs décorés de vieilles affiches françaises et d’un grand plan de Paris, assez récent d’ailleurs. La maison respire la gêne ; le seul luxe est une petite bibliothèque de livres français. 

Le vieil homme dormait, mais dès qu’il apprend notre visite, c’est le branle-bas de combat. Pendant qu’il hôte son pyjama pour s’habiller, son épouse nous prépare et nous sert le thé. Présentations. Le vieil homme s’exprime dans un français châtié. Il raconte, il se raconte : souvenirs de ses luttes contre l’injustice du système colonial qui faisait de lui un habitant de seconde zone et refusait d’en faire un citoyen alors qu’il avait conscience que sa formation et sa culture, dépassaient celles de nombreux blancs, misérables aventuriers, ou petits fonctionnaires venus « faire de la piastre » ; souvenirs éblouis de son voyage à Paris où il a préféré voir la maison de Baudelaire que visiter la Tour Eiffel !

Au nom de la « mission civilisatrice de la France », nous avons ainsi semé de par le monde les grands principes de 89, Liberté, Égalité, Fraternité, lesquels alimenteront, en retour et avec logique, la lutte anticoloniale. Face à la colonisation anglaise, économique et pragmatique, ne s’embarrassant pas de grands principes, ces cartésiens de français apparaissent comme de drôles d’idéalistes ! Il est émouvant de découvrir cet attachement si profond à la culture française, de voir avec quelle finesse le vieil homme sait faire la part entre, d’un côté, un système et ses représentants les plus brutaux dont il eut à souffrir par l’emprisonnement, la déportation, et de l’autre, des valeurs, une éthique, une culture.

« Colère et tendresse en disent davantage, à mon avis, que si j’étais né dans du velours et bien traité par les occupants. Si je n’avais pas éprouvé dès mon jeune âge les meurtrissures du colonialisme, entre autres la honte de la perte du pays et la honte de la dignité humaine... mais j’ai pu saisir la différence entre le colonialiste et le Français de France, et en 1990, j’ai entendu susurrer les monts et les fleuves, les pierres et les pavés, les cimetières de France, et vu sourire les simples citoyens de France à la Place des Vosges, au bois de Vincennes, au sentier des douaniers à Perros-Guirec, sur la corniche de Sète. C’est le sujet du livre qui va suivre et que je me propose d’intituler le nectar de l’amitié » [1]

Aujourd’hui le vieil homme de 80 ans ne comprend plus très bien son Viêt-Nam. Des jeunes sans instruction, sans diplômes, s’enrichissent dans le commerce plus ou moins licite ; ils dépensent en un repas des sommes qui feraient vivre toute une famille pendant des mois. D’autres, qui ont acquis certificats et qualifications, ne peuvent trouver du travail. Il décrit l’apparition des classes sociales, de la maffia, de son amertume de voir le Vietnam évoluer ainsi. Il nous avoue que lui-même est obligé de continuer à travailler tellement sa retraite est devenue dérisoire, 30 $ par mois, ainsi que pour son épouse, médecin pédiatre. Il traduit en français les lois et règlements de la République du Viêt-Nam. Il se moque des rédacteurs de ces textes qui ne seraient pas capables, selon lui, de faire des phrases correctes avec sujets, verbes et compléments ! 

Non, ce n’est pas tout à fait comme cela que nous l’avions rêvé ce Viêt-Nam.


[1] Dong Sy Hua / Đồng Sỷ Hưá. Introduction de son livre « De la Mélanésie au Viêt-Nam – Itinéraire d’un colonisé devenu francophile ». 1993.

2023. Dong Sy Hua, surnommé « Vieux crabe », est décédé en 2005.

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26 novembre 2023

Campitelli - Le tour du Forum (11/25). La vraie louve du Capitole.

Une louve symbole de la Troisième Rome

 

Rome Campitelli Capitole Louve Cordonata 1957

Le 28 août 1872, le conseil municipal de Rome, présidé par l’avocat Pietro Venturi, assesseur par intérim du maire de Rome, décida de placer une louve dans une cage, entre l’escalier du Capitole (la Cordonata) et l’église Santa Maria in Aracoeli, comme symbole de la ville (photo Archivo Luce  1957) [1]. Il y aurait eu un précédent malheureux, au début du XVe siècle, avec un lion mis en cage mais, en 1414, le lion aurait déchiqueté un curieux qui s’était trop approché et l’expérience léonine se serait arrêtée [2]. Pour tenir compagnie à la louve dans une cage voisine, il a été décidé d’y ajouter un autre symbole de Rome, tout aussi vivant, un aigle, emblème du dieu principal, Jupiter, et associé aux présages divins. Dans le poème intitulé « La Louve romaine » le poète Trilussa (Carlo Alberto Salustri, 1871 / 1950) évoque la mise en cage de la louve comme le symbole de son insertion dans l’histoire romaine.

Er giorno che la Lupa allattò Romolo
nun pensò né a l’onori né a la gloria:
sapeva già che, uscita da la Favola,
l’avrebbero ingabbiata ne la Storia.

Le jour où la Louve allaita Romulus, 
elle ne pensa ni à l'honneur ni à la gloire : 
elle savait déjà qu'après la Fable, 
on l’enfermerait dans l'Histoire.

L’histoire de la louve recoupe l’histoire des hommes. En 1870, Rome est intégrée au royaume d’Italie et il s’y applique désormais les lois nationales sur la gestion des communes. Les communes sont administrées par une assemblée élue sur la base d’un scrutin censitaire privilégiant les propriétaires (3,5% de la population vote !). Dans l’assemblée élue au début des années 70, se retrouvent les grandes familles romaines, Ruspoli, Doria, Boncompagni, Capranica… prêtes à des collaborations avec le nouveau pouvoir, dans une alliance modérée. La décision de placer une louve sur le Capitole n’est donc pas sans lien avec la situation politique : elle permet d’affirmer une adhésion à une vision historique, celle d’une Rome impériale, affranchie de toute soumission à la papauté. Par la suite, la municipalité sera tenue par la noblesse noire, alliée à la papauté, celle des Chigi, Altieri, Barberini, Lancellotti, Patrizi, Borghese, Torlonia [3].

« Me pari la lupa der Campidojo » (Je suis comme la louve du Capitole)… est une expression romaine pour rendre compte d’une personne qui ne peut rester en place et tourne en rond d’impatience, comme la pauvre louve enfermée dans son étroite cage sur le Capitole et qui refaisait sans cesse le même trajet le long des barreaux de sa prison.

Après la démolition des maisons et palais accolées à la colline du capitole pour créer la grandiose Via della Mare (aujourd’hui Via del Teatro di Marcello), en mai 1935, les deux animaux seront déplacés temporairement dans des cages construites au pied de la falaise, sous la piazzale Caffarelli, juste avant le sentier qui permettait de traverser les jardins de la roche tarpéienne. Dans les années 1940, l’aigle aurait été retiré de sa cage, laissant derrière lui la louve désormais seule. Le 28 juin 1954, une jeune louve de trois ans meurt après une brève agonie. Une polémique se développa alors sur le traitement indigne réservé à l’animal enfermé dans une cage étroite et humide [4]. Les uns s’offusquant de cette pratique barbare, les autres la défendant au nom du symbole qu’elle représente et de la tradition. Finalement, le conseil municipal décida de remplacer la louve par un loup mâle en novembre 1954. Le 20 avril 1957 le maire, Umberto Tupini, membre de la Démocratie Chrétienne, assista à la cérémonie de retour d’une louve, nommée Rea Silvia, dans la cage située à côté de la cordonata. La tradition d’un loup en cage sur le Capitole aurait perduré jusqu'en 1970.


[1] Pasquino : « In Campidoglio / tutto è qual fu / sol v’è una classica / bestia in più ». (Au Capitole / tout est toujours pareil / seulement une classique / bête en plus).

[2] Alberto Salme. « Lupa capitolina, non solo leggenda: esisteva e ululava a Roma ». In « Il Corriere della Cità ». 05/11/2023.

[3] Bocquet Denis. « La municipalité romaine entre ancien régime et unité : Les fondements du pouvoir local ». In  « Rome, ville technique (1870-1925) : Une modernisation conflictuelle de l’espace urbain ». Publications de l’École française de Rome. 2007.

[4] Archivo Luce. « Tornerà la Lupa ? ». 01/10/1954.

Liste des promenades dans Rome et liste des promenades autour du Forum

Viêt-Nam - 1995 / 2023 (6/28). Cyclo-taxi.

Une image symbolique difficile à dépasser 

 

Vietnam 1995 Cyclo

« Nous travaillons jour et nuit. Nous dormons sur les trottoirs et nous mangeons dans la poussière. Nous pédalons sans relâche. (...) Je ne sais pas où nous mène ce métier »  [1].

Un ami nous a donné l’adresse d’un vieux militant anticolonialiste, né à Hué, M Dong Sy Hua, qu’il avait eu l’occasion d’accueillir à Montpellier au nom du Secours Populaire Français dans une délégation vietnamienne en visite en France. Il souhaite que nous lui transmettions son bonjour et son amitié. Ce monsieur habitant dans un faubourg de la ville, il faut nous y rendre en cyclo-pousse, les taxis-autos ne semblant pas encore monnaie courante à Hanoi. L’image du pousse est tellement liée à l’exploitation coloniale que c’est avec un sentiment de culpabilité que l’on y prend place ! Contrition fort mal placée car, faute de taxis et de transports en commun, le cyclo-pousse est le seul moyen de locomotion pour qui ne possède pas une bicyclette ou un vélomoteur. 

Ce premier obstacle idéologique passé, on est confronté à l’embarras de monter dans cet appareil que l’on a peur de faire chavirer, d’autant que le frêle conducteur ne fera pas un contrepoids très important. Mais c’est une peur superflue tant le poids du véhicule est élevé ; heureusement qu’Hanoï ne comporte pas de collines car cet engin serait dans l’impossibilité de s’y hisser. Enfin, une fois grimpé, il faut s’y asseoir en se retournant et en s’enfonçant très profondément dans le siège. C’est une position, très allongée, plus habituelle dans une chaise longue que dans un véhicule ! Mais c’est ensuite un plaisir de rouler lentement dans la ville, sans bruit, sans fatigue (au moins pour le passager !), en ayant le temps d’observer la vie sociale autour de soi. Ce n’est toutefois pas sans problème ni appréhension car il faut faire une confiance aveugle au conducteur quand on traverse places et carrefours avec leurs flots de vélos et mobylettes, denses et menaçants. A ce sujet, revoir plus haut ce qui a été dit sur la traversée d’une rue ; la crainte est la même bien que vous n’ayez plus à décider s’il faut accélérer ou ralentir, un autre prend les décisions à votre place. 

Je peux me permettre un conseil ? Dépêchez-vous d’aller goûter à ce plaisir car il risque de disparaître très prochainement avec la multiplication des motos-taxis et l’apparition, bien qu’encore timide, des taxis-autos [2]. Déjà certaines rues de Hanoi ne sont plus autorisées aux cyclos sous prétexte qu’ils créent des embouteillages !

« Son pousse l’amena vers les quartiers au sud du Petit Lac. De ce côté la ville européenne s’est beaucoup développée et sur les terrains libres s’entrecroisent les larges voies ombragées, de part et d’autre desquelles de belles maisons aux spacieuses vérandas fermées, construites très en retrait, s’élèvent au milieu de grands jardins » [3].

Hanoi a conservé ses quartiers coloniaux avec ses belles maisons du début du siècle, des croisements hybrides et curieux entre chalets basques et chaumières normandes, le tout sous un climat tropical. Ces demeures sont malheureusement assez souvent décrépies, peinture fanée, boiseries fatiguées, excroissances parasites de cabanes, murs, vérandas, friche des jardins. Mais l’ensemble urbain reste homogène et conserve un attrait vieillot de tranquillité provinciale avec de larges artères ombragées qui…

« …font de nos jours, le charme délicat, un rien pincé de Hanoi. A pied ou en pousse, on croirait être l’invité d’une princesse au Bois Dormant lorsque, en contre-jour, glissent des Peugeot 203 devant la façade d’un garage Simca... » [4]


[1] « Cyclo ». Un film franco-vietnamien réalisé par Tran Anh Hung.  1995.

[2] 2023. Les cyclotaxis ont disparu, remplacés par des mototaxis et des taxi-voitures. Mais les cyclopousses sont devenus depuis une attraction touristique, ils se louent à l’heure auprès d’une agence de tourisme sur la base de circuits déterminés.

[3] Herbert Wild. « Le conquérant ». 1925.

[4] Jean-Luc Coatalem.  « Suite indochinoise ». 1995.

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25 novembre 2023

Viêt-Nam - 1995 / 2023 (5/28). Pagodes, temples et monuments anciens de Hanoi.

Des rites semblables pour des religions différentes

 

Vietnam 1995 Hanoï Pagode au pilier unique

Autre difficulté rencontrée : s’y retrouver entre croyances et religions ! Le temple de Quàn Thành est consacré au génie Trân-vo qui aurait libéré la région du renard à neuf queues qui la dévastait. Magnifique statue de bronze dans une demi-pénombre apaisante et, devant l’autel, dans une vitrine, les bottes du génie. A la pagode Trân-quôc, dite de la Défense du pays, sur une petite presqu’île de la langue de terre qui coupe le lac de l’Ouest, une des salles présente plusieurs rangées de Bouddhas. Au temple de la littérature, en réalité un collège littéraire préparant à la fonction mandarinale, on y honore Confucius, représenté assis, drapé dans une robe rouge à dragons d’or, entouré de ses premiers disciples et accompagné des animaux mythiques : la grue symbole de grâce et d’immortalité, la tortue, de longévité, le dragon, de vertu et de droiture, la licorne, de bonheur. La pagode du pilier unique (photo) est un remarquable petit pagodon de bois posé sur une colonne de pierre située au milieu d’un bassin où fleurissent les lotus. La pagode est elle-même une représentation du lotus, symbole du monde émergeant de la mer initiale. 

A chaque fois, c’est une référence à une confession particulière avec son culte. Ce peut-être le taoïsme, philosophie mystique et culte des génies, mais aussi ensemble de règles de conduite de la vie pour qu’elle soit en équilibre avec la nature. Ou le bouddhisme mahayana, du grand véhicule, venu de Chine et dans lequel sont honorées, de façon très personnifiée, les différentes formes du Bouddha. Ou encore une philosophie morale, le Confucianisme. Tout cela semble former un aimable amalgame pour lequel les Vietnamiens peuvent effectuer les mêmes pratiques, prière et offrande de baguettes d’encens, aussi bien devant la statue de Confucius, de Trân-vo ou de Bouddha !

De la Cité impériale d’Hanoi, il reste peu de choses. En 1882, les troupes du commandant Henri Rivière prirent d’assaut la citadelle et la détruisirent. Il ne subsiste que la tour du Drapeau, un des bastions de la citadelle construite en 1805, le portique d’honneur du Palais et quelques éléments de mur. Mais ces derniers sont enfermés au sein d’une immense cité militaire dans laquelle il est défendu de pénétrer. Plus rien ne subsiste de la pagode de l’Esprit du Roi dont un sergent français affirmait, en 1885, qu’elle constituait un des chefs-d’œuvre de l’architecture annamite avec dragons de pierre, bouddhas dorés, tables laquées aux riches filets dorés.

« Sommes-nous donc les fils d’une bien plus haute civilisation, nous, qui, dans ce beau monument avons installé des magasins d’armes et de vulgaires bureaux pour l’artillerie ? ». A quoi il ajoutait : « Est-il donc bien politique d’agir avec un tel sans-gêne envers un peuple qui a sur nous l’avantage d’ignorer tout fanatisme religieux, mais qui n’en a pas moins des croyances sincères dignes de nos respects ? » [1].

Au centre d’Hanoi le petit lac, ou lac de « l’Épée Restituée ». C’est un espace de verdure et de flânerie au milieu de l’activité fébrile de la ville, un lac du bois de Boulogne sous les tropiques. Sur un îlot ombragé, la pagode de la montagne de jade, dédiée au génie des lettres Van-xuong, aux piliers de laque rouge et aux murs décorés de dragons de porcelaine. 

« Ici, la ville était oubliée, on entendait seulement ses Klaxons assourdis moins par la distance que par la densité de l’air » [2].

L’île est reliée à la berge par une petite passerelle bossue peinte en rouge, le « pont où repose le soleil levant ». Avant le petit pont sont disposés le portique de « l’écritoire » et la tour du « Pinceau calligraphiant sur l’azur », un obélisque à 7 étages terminé par un pinceau effilé de lettré. Sur une autre petite île, le stupa octogonal à trois étages de l’îlot de la tortue.

« ... l’une des villes les plus troublantes du monde. Un périmètre où le temps s’attarde ; une cité nonchalante des années trente, comme une photo sépia que vient animer le doï moï (rénovation) » [3].


[1] Frédéric Garcin. « Lettres d'un sergent ». 1885.

[2] Alain Dugrand. « Les craven de l'Oncle Ho ». 1994.

[3] Jean-Claude Guillebaud, Raymond Depardon. « La colline des Anges ». 1995.

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24 novembre 2023

Viêt-Nam - 1995 / 2023 (4/28). Hommage à l’Oncle Ho.

Pauvre Oncle Ho momifié qui n’en demandait pas tant

 

Vietnam 1995 Hanoï Mausolée de Ho Chi Minh

La visite de la ville commence nécessairement par celle du mausolée où repose Ho-Chi-Minh [1]. C’est un cube massif à colonnes de marbre précédé, en façade, d’une tribune grise surplombant l’avenue sur laquelle se déroulent les défilés militaires (photo). Il nous faut toutefois laisser la priorité aux délégations officielles du gouvernement, du parti, des syndicats et de la jeunesse communiste, qui viennent s’y recueillir pour je ne sais quelle célébration. Ballet des limousines qui crachent leurs personnalités, par petits paquets, devant le cénotaphe. Chaque petit paquet se met bien sagement en file indienne et décrit, en marchant, un angle droit parfait face au mausolée. Puis, il fait une halte devant l’entrée, attend, et pénètre, à son tour, dans le sanctuaire. Le cérémonial apparaît bien huilé, et copié sur celui du mausolée de Lénine à Moscou.

« C’est ici la grande force de ce peuple malingre. Il ne résiste pas : il s’adapte. Doué d’une faculté d’assimilation exceptionnelle il épouse à l’instant les pratiques du vainqueur. (...) Pendant des siècles, la Chine l’a asservi : il est devenu Chinois. Il a pris son écriture, sa morale, son art, ses coutumes, ses dieux. (...) Maintenant, c’est la France qui règne : ils deviennent Français. Si Français que, dans les collèges mixtes, les jeunes Annamites battent les élèves blancs aux examens (...). Si les Russes, un jour, traversaient la Chine et envahissaient notre Extrême-Orient, les Annamites, dix ans après, auraient des icônes (...) » [2].

Finalement, ironie de l’histoire, les Russes ont traversé la Chine et les Vietnamiens ont désormais leur icône ! Pauvre Oncle Ho que l’on a momifié et qui n’en demandait pas tant. Il souhaitait être incinéré et que ses cendres soient dispersées dans les trois régions du Vietnam. Mais le Parti Communiste Vietnamien en a décidé autrement en construisant ce mausolée imposant et laid.

Après les délégations officielles habituées au cérémonial et à ses codes, il est bien difficile aux policiers et soldats chargés de la garde, tout de blanc vêtus, de faire mettre en rang, par deux, ces touristes étrangers, français et italiens pour la plupart, indisciplinés, bavards et rigolards, refusant de se soumettre à une règle aussi évidente soit-elle. La cérémonie de passage devant le corps embaumé du père de la patrie est empesée, d’une solennité convenue, si souvent répétée qu’elle en a perdu son sens, elle est devenue un rite, une obligation d’un autre temps qu’un quarteron de vieillards fait perdurer pour maintenir leur pouvoir. C’est d’ailleurs une scène avec un public très restreint, alors que la foule grouille dans les rues adjacentes, où chacun commerce, vend, loue, achète et que le dollar devient la référence obligée de toute relation économique.

Cette cérémonie, toute convenue qu’elle soit, n’en conserve pas moins, pour moi du moins, une certaine intensité émotionnelle en souvenir des années 1966 / 1967. Lyndon Baines Johnson était alors président des États-Unis depuis le printemps 1964. Il procédait à une escalade de la guerre au nord du dix-septième parallèle après les incidents d’août de la même année dans le golfe du Tonkin où des vedettes nord-vietnamiennes auraient prétendument attaqué le destroyer américain Maddox [3]. Les effectifs de l’armée américaine dépassaient le demi-million de soldats engagés au Viêt-Nam. La Une des journaux français était pleine du fracas de ce qui allait devenir, petit à petit, une sale guerre. Étudiant, je m’insurgeais contre la politique belliqueuse américaine en arborant une blouse blanche sur laquelle j’avais dessiné une tête de mort au centre de l’insigne de l’US Air-Force, le tout sous-titré des initiales du président américain, LBJ. La direction de l’école n’appréciait pas beaucoup et me demanda de faire disparaître ce signe politique, ce que je m’empressais de ne pas faire, bien entendu ! 


[1] 2023. La rigueur révolutionnaire des Vietnamiens semble s’émousser car la visite du mausolée n’est plus une ardente obligation. On peut désormais se contenter de vous le montrer de loin.

[2] Roland Dorgelès. « Sur la route mandarine ». 1925.

[3] 2023. Le 2 août 1964, le destroyer américain Maddox, au cours d'une mission de reconnaissance dans le golfe du Tonkin, déclare avoir été attaqué dans les eaux internationales par trois torpilleurs nord-vietnamiens. En conséquence, des avions américains sont envoyés pour bombarder des sites militaires au nord-Vietnam, ouvrant ainsi la voie aux bombardements aériens sur ce pays et à l’engagement massif américain dans la guerre. On sait désormais qu’il s’agissait d’un prétexte monté de toutes pièces par des officiers de la National Security Agency.

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23 novembre 2023

Viêt-Nam - 1995 / 2023 (4/28). Le Viêt-Nam, une histoire de famille.

Liens familiaux – Et souvenirs de discussions familiales

 

Vietnam 1951 Saïgon

Comme dans bien d'autres familles françaises, le Viêt-Nam s'était invité chez nous. Entre les deux guerres un grand-oncle était allé chercher fortune en Indochine. La chronique familiale veut qu’il ait occupé une place importante dans la société des transports urbains d’Hanoi. Mais il eut d’autres emplois, responsable de la concession Citroën de Hanoi, et j’ai aussi souvenir d’une photo, impossible à retrouver, où il livre des camionnettes Ford à des représentants de la Chine nationaliste de Tchang-Kaï-Chek, à un poste frontière sino-vietnamien !

Il est revenu en France en février 1951. Sa fortune ? De quoi s’acheter un bar-tabac dans sa région natale, en Lorraine. Mais, il rentrait aussi avec une épouse sino-vietnamienne et la fille de celle-ci. Je possède quelques photos de leur embarquement à Saigon (photo). Toutes deux, bien droites, souriantes, serrées l’une contre l’autre, sur la passerelle d’un grand paquebot, ma grand-tante habillée avec le pantalon et la tunique, l’aò-dài. Imaginaient-elles qu’elles ne retourneraient peut-être jamais dans leur pays ? 

En 1952, en Lorraine, la jeune fille est prise en photo habillée en vietnamienne d’opérette. Pas d’aò-dài mais une robe d’intérieur vaguement asiatique et, pour faire exotique, elle pose, un éventail dans la main, devant un paravent qui semble dissimuler un mur triste. Que son Viêt-Nam, chaud et humide, doit lui sembler loin dans cette ville de la Lorraine industrielle que je me représente bien froide. La très jeune fille épousera plus tard mon oncle. Que voulez-vous, le Viêt-Nam est aussi une affaire de famille !

Autre souvenir familial...

1954. Ce devait être une belle journée de printemps, car la fenêtre du salon était ouverte sur le jardin. La famille, composée de la sœur de mon père, son mari et ses enfants, mes grands-parents paternels, était venue passer le dimanche à la maison. Dans l’attente du repas, nous jouions, mes cousins et moi, dans le jardin du petit pavillon. Nous fûmes surpris par des cris provenant du salon et, inquiets, nous rentrâmes précipitamment, croisant dans le couloir, oncle, tante et grands-parents qui se rhabillaient. Au passage, ils saisirent mes cousins et partirent promptement. Je trouvais mes parents dans le salon, mon père avait sur la joue gauche trois longues balafres où le sang perlait : les traces laissées par les ongles de sa sœur ! Les grandes personnes s’étaient disputées suite à l’ouverture des pourparlers de paix au Vietnam !

Au début du siècle, circulait une caricature représentant, dans une première vignette, une grande famille installée autour d’une soupière fumante. Les invités sont manifestement heureux d’être ensemble et se préparent à un bon repas. Horreur, la seconde vignette nous montre tous ces joyeux convives en train de s’invectiver et de se battre. La légende précise sous la première illustration : « Affaire Dreyfus, ils n’en ont pas parlé », et sous la seconde : « Ils en ont parlé » ! Je venais d’assister à la même scène, le thème n’en était plus l’affaire Dreyfus mais l’ouverture de la Conférence de Genève avec le Vietminh [1] ! Mon père avait eu la faiblesse d’approuver les négociations et de se réjouir de la fin prévisible de la guerre.

Beaucoup plus tard, je pris connaissance de cette analyse écrite en 1925 :

« Si nos hommes d’État, nos Gouverneurs cédant à la pression des profiteurs de la colonie, appliquent en Indochine, une politique de force, s’ils refusent d’accorder à l’indigène des droits plus étendus, s’ils ne font rien pour augmenter son bien-être et le considèrent plus longtemps comme l’outil vivant uniquement chargé de les enrichir, la France, avant trente ans, aura perdu son plus bel empire » [2].

Et cela s’est effectivement passé ainsi. Après avoir constamment cédé aux pressions des colons, après avoir essayé les politiques de force avec le bombardement d’Haiphong (1946) et tenté l’écrasement des forces Vietminh sur les hauts plateaux à Dien-Bien-Phu (1954), exactement 30 ans après cette déclaration prémonitoire, l’Indochine était indépendante, causant, entre autres, la fin de nos jeux par une belle journée de printemps. Mais c’était là le moindre des problèmes.


[1] Conférence de Genève sur l’Indochine. 26/04/1954 – 20/07/1954.

[2] Roland Dorgelès. « Sur la route mandarine ». 1925.

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22 novembre 2023

Viêt-Nam - 1995 / 2023 (2/28). Premiers pas difficiles à Hanoi.

Se promener en ville confronte à des difficultés inédites

 

Vietnam 1995 Hanoï Pagode de la montagne de Jade

En août 1995, l’arrivée à Hanoi s’effectue dans un tout petit aéroport, quasiment un aéro-club ! Les formalités de police sont réalisées calmement et sans grand intérêt apparent par un policier placide. Dans la salle voisine les bagages s’entassent dans une sympathique pagaye. Nous sommes attendu à la sortie de l’aéroport, direction l’hôtel. Nous ouvrons tout grand nos yeux comme pour tout vouloir saisir, appréhender, comprendre. Sur les routes la circulation, essentiellement composée de vélos et de quelques mobylettes, est extrêmement dense. Si on n'y roule pas très vite, on a l'impression que l'on va heurter et renverser un cycliste à chaque mètre. De plus, elle est terriblement bruyante car le klaxon sert de mode de communication pour toutes les situations : j’arrive, je veux passer, je tourne, je double…

Nous sommes hébergés dans un petit hôtel du centre-ville, un de ces mini-hôtels qui se multiplient au Viêt-Nam : il est de la largeur d’une chambre en façade, sur deux ou trois étages, mais il s’étend en profondeur avec plusieurs bâtiments séparés par des courettes, et l’hôtel finit ainsi par compter une douzaine de chambres.

Dès les bagages posés, nous nous lançons dans la ville.

Première difficulté : marcher sur le trottoir ! Celui-ci semble plutôt servir de salle-de-séjour à toute la population du quartier. On y cuisine sur de petits fourneaux en terre ; on y mange, assis sur les talons ou sur de petits bancs ; on y joue, on s’y amuse avec les enfants ; on y discute en petits groupes ; on y nettoie son vélo ou sa mobylette ; les enfants y font leurs devoirs ; on y fait toutes sortes de commerces aussi. Il faut donc slalomer entre différentes scènes de vie familiale, avec l’étrange impression de violer l’intimité de ces existences offertes sur le trottoir. Peut-être conviendrait-il de s’excuser de notre familiarité et de notre intrusion dans le secret de chacun de ces foyers sans les avoir précédemment avertis ? Mais où est la sonnette pour annoncer notre arrivée ?

Seconde difficulté : traverser la chaussée ! Le flot de vélos, de cyclo-pousses et de mobylettes est si dense qu’il ne semble pas possible de se faufiler en son sein. Nous hésitons, avançons, reculons, courons, mais chacune de ces opérations semble être une erreur tactique susceptible de provoquer des catastrophes en chaîne. Après deux ou trois expériences difficiles et dangereuses, nous observons comment procèdent les autochtones : ils se jettent sur la chaussée et traversent sans regarder ni à droite, ni à gauche, mais en conservant un pas parfaitement régulier, sans jamais ralentir ou se mettre à courir. Et cela réussit ! Les deux roues à pédales ou à moteur, et les trois roues des cyclo-pousses, anticipent l’avancée des piétons et les contournent sans heurts. Finalement, en Europe, le piéton anticipe le mouvement des véhicules et se glisse entre les véhicules ; ici, c’est l’inverse à tel point qu’au milieu des carrefours du centre-ville, des enfants jouent au cerf-volant ! Une fois la règle découverte, cela reste néanmoins plus facile à dire qu’à faire ; avec nos réflexes européens, il nous est bien difficile de nous lancer dans la circulation sans regarder craintivement à gauche et à droite et sans modifier notre allure en fonction du danger.

D’intrusions dans les cercles de famille sur les trottoirs, en dangers encourus sur les chaussées, nous finissons par aboutir au centre de Hanoi, au lac Hoan Kiem, le lac de l’épée restituée (photo). Nous sommes passés dans le quartier des 36 Guildes [1], par les rues des merciers, des ferblantiers, des bijoutiers. Comme Roland Dorgelès [2] le décrivait, en 1925, les étroites échoppes se pressent toujours l’une contre l’autre dans des rues regroupant chaque corps de métiers : soie, mercerie, vermicelle, chaussures, sucre, poissons grillés, chanvre... Toutefois les étals et les activités ont parfois évolué, par exemples, la rue des ferronniers est désormais éclairée par les lueurs bleutées des chalumeaux oxhydryles, la rue des pharmaciens étale ses vitrines remplies de petites boîtes cartonnées bleues, vertes ou rouges et, partout, s’étale la pacotille des ustensiles en plastique aux couleurs criardes.


[1] 2023. Le Vieux quartier de Hanoï comporte 76 rues, dont 47 environ ont conservé leur dénomination ancienne commençant par le mot Hàng (marchandises), Hàng Dào (rue des teinturiers de la soie rouge), Hàng Duong (rue du sucre), Hàng Thiêc (rue des Ferblantiers), Hàng Ma (rue des objets votifs), etc. Aujourd’hui, le Vieux quartier change avec le développement économique et l’arrivée de touristes (cafés, restaurants, magasins de souvenirs), mais en conservant ses trotoirs encombrés où se déroulent mille activités... 

[2] Roland Dorgelès. « Sur la route mandarine ». 1925.

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21 novembre 2023

Viêt-Nam - 1995 / 2023 (1/28). Août 1995 / Octobre 2023.

En 1995, un pays affaibli par de multiples conflits

 

Vietnam 1995 Hoa Lu 2

Avec mon épouse et ma fille, nous avions organisé un premier voyage de 18 jours au Viêt-Nam, en 1995, du nord au sud, avec l’aide d’une petite agence de voyage spécialisée disparue depuis (Asika). A l’issue du voyage j’avais rédigé un texte mêlant nos souvenirs de voyage et les références historiques et littéraires qui nous avaient alors accompagnées [1]. En 2023, il était temps d’aller voir comment le pays s’était développé en refaisant, pour l’essentiel, un parcours semblable (Hanoi, Halong, Hoa Lu, Hué, Danang, Hoi An, Saigon, Mytho), itinéraire devenu depuis un grand classique des agences internationales de voyages.

Mais toute comparaison historique implique de connaître la situation dans laquelle se trouvait alors le pays en 1995. 

Vingt ans auparavant seulement, en 1973, les accords de paix de Paris aboutissaient au retrait de l’armée américaine ; en 1975, la République du sud Viêt-Nam s’effondrait et le pays était finalement réunifié en 1976. Ravagé par près de quarante ans de guerre, le pays affrontait de multiples difficultés économiques dont l’embargo américain jusqu’en 1994. Il devait en outre faire face, en 1978, à un conflit avec le régime Khmer rouge cambodgien, alors soutenu par la Communauté internationale comme étant le seul gouvernement légitime du Kampuchéa, ce qui isolait politiquement et économiquement le Viêt-Nam. Enfin, en 1979, la Chine lançait une vaste opération militaire contre le Viêt-Nam tout au long de leur frontière commune au prétexte de mauvais traitements subis par la minorité chinoise au Viêt-Nam et l’occupation vietnamienne des Îles Spratley revendiquées par la Chine. Ces différents conflits entraînaient, entre 1975 et les années 80, la fuite par la mer de près de 1,8 millions de Vietnamiens (crise des boat-people) dont de nombreux cadres et diplômés. 

La mise en place en 1986 d’une nouvelle politique économique, le Đổi mới (changer đổi, nouveau mới, soit « renouveau » en vietnamien), basée sur l’économie de marché (privatisation de l’agriculture, réforme des entreprises publiques, autorisation et protection de la propriété privée, libéralisation des investissements étrangers), la fin des incursions chinoises (1979 et 1984) et du soutien international aux Khmers rouges (1991), de l’embargo américain (1994), permettaient progressivement de faire du Viêt-Nam un pays émergeant. 

En 1995, le Viêt-Nam est un pays de 74 millions d’habitants dont 36% de moins de 14 ans, un nombre d’enfants par femme de 3,23 (7,38 en 1965 / 1970 soulignant la transition démographique en cours). Le taux de croissance de l’économie est passé de 2,79% en 1986 à 9,54% en 1995 ! Le PIB par habitant (en $ constants de 2010) est de 906 (à titre de comparaison : Algérie 2 802, France 20 778, Thaïlande 3 595) contre 598 en 1986 [2]. Près de 40% du Produit Intérieur Brut du Viêt-Nam provient de l’agriculture ; 80% de la population habite en zone rurale et 70% de la population travaille dans le secteur agricole. La plupart des villes vietnamiennes sont restées essentiellement des centres administratifs et culturels ; le secteur industriel, celui des services et le commerce restent peu développés [3].

Incontestablement, le Viêt-Nam est alors un des pays les moins avancés, mais une image m’avait néanmoins frappée. Je revenais d’Angola où, à Luanda, j’avais vu dans le parc de la société des transports des centaines d’autobus Volvo en panne (il parait que l’on en comptait mille). A chacun, il manquait un élément qui permette de les faire rouler, faute de pièces détachées mais surtout faute de personnel qualifié pour les réparer. A Hanoi, dans un parc de véhicules, des ouvriers désossaient complètement des autobus, décabossaient la carrosserie, la repeignaient, et la rhabillaient de pièces détachées récupérées pour en faire un bus « tout neuf », capable d’affronter à nouveau des centaines de milliers de kilomètres !


[1] Le texte est reproduit des pages 2 à 25 avec l’adjonction de notes de bas de page rédigées en 2023. Les photographies ne sont pas très belles ; il s’agissait de diapositives qui ont mal vieilli avant qu’elles soient informatisées.

[2] Les statistiques économiques sont tirées de Perspective Monde, Université de Sherbrooke, Québec, Canada.

[3] Sous la direction de Patrick Gubry. « Population et développement au Viêt-Nam ». 2000.

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20 novembre 2023

Le baroque du nord du Portugal (7/7). Liste des articles.

Portugal Norte Porto Ribeira Igreja de Sao Francisco Arbre de Josué

Un art baroque imaginatif et dynamique (1/7). L’art baroque, un art du mouvement

Diversité et unité du baroque (2/7). Des formes diverses mais toujours dans un espace scénographié

L’exubérance de l’ornementation intérieure et les talhas douradas (3/7). Des panneaux de bois, sculptés puis dorés à la feuille – Une exécution rapide et peu couteuse

L’exubérance de l’ornementation intérieure et les azulejos (4/7). Des carreaux de faïence blanche, émaillés puis peints

Un développement plus tardif du baroque au Portugal (5/7). Des moyens limités pendant la phase de réunion à l’Espagne

Le baroque tardif (6/7). De fabuleuses richesses brésiliennes

Liste des articles (7/7).

Porto, Montpellier, Senlis – 1997 / 2022.

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19 novembre 2023

Le baroque au nord du Portugal (6/7). Le baroque tardif.

De fabuleuses richesses brésiliennes

  

Portugal Norte Braga église du Bom Jesus do Monte

Après la guerre de restauration de l’Indépendance contre les Habsbourg d’Espagne (1640 / 1668), puis la crise de succession entre Afonso VI (1643 / 1683) et son frère Pedro II (1648 / 1706), le Portugal participe au développement du baroque international. Il a commencé progressivement, en changeant le modèle maniériste, en essayant d’animer et moderniser les nouveaux bâtiments, en utilisant le plan centrée et une certaine décoration. 

A la fin du XVIIe siècle, des gemmes et des diamants furent trouvés dans le Minas Gerais au Brésil. L'exploitation minière était sévèrement contrôlée par la couronne portugaise qui imposait de lourdes taxes sur tout ce qui était extrait (un cinquième de tout l'or revenait à la couronne). Ces fabuleuses recettes vont assurer la prospérité au Portugal, en faire le pays le plus riche d'Europe au cours du XVIIIe siècle, et entraîner un vaste programme de construction d’églises et de châteaux. 

Le roi João (Jean) V qui régna entre 1706 et 1750 voulu rivaliser tant avec Louis XIV qu’avec la Rome papale en voulant édifier un second Vatican sur les rives du Tage [1] et en s'engageant dans un grand nombre de projets architecturaux dispendieux. Sous le règne de Jean V, le baroque a connu un temps de splendeur et de richesse complètement nouveau au Portugal. La sculpture sur bois dorée a pris des caractéristiques nationales en raison de la signification et de la richesse des décorations. La peinture, la sculpture, les arts décoratifs et le carrelage ont également connu un grand développement (palais-monastère de Mafra de 1740, bibliothèque royale de Coimbra de 1728, deux œuvres de Johann Friedrich Ludwig [2], chapelle de Luigi Vanvitelli et Nicola Salvi à l’église São Roque de Lisbonne en 1747). 

Vers 1725, se développe dans le nord du Portugal une école d’architecture indépendante de celle de la cour créant de nombreux bâtiments baroques. Avec une plus grande densité de population et de meilleures ressources économiques et relations commerciales internationales, le nord, en particulier les régions de Porto et Braga, a connu un renouveau architectural qui se concrétise dans ses nombreuses églises, couvents et palais construits par l’aristocratie. La ville de Porto, classée patrimoine de l’humanité par l’UNESCO [3], est la ville où travailla l'architecte italien, originaire de Sienne, Niccoló Nasoni. Il dessinera l’église et la tour des Clérigos, la loggia de la cathédrale de Porto, l’église de la Misericórdia 1740), le palais de São João Novo (1747), le palais de Freixo (1742), le palais épiscopal. Son chef d’œuvre est l'église, la maison de la Confrérie et le campanile de São Pedro dos Clérigos, d’une architecture très allongée, terminée à l’ouest par un double escalier à volées croisées et, à l’est, par un très haut clocher, la Torre dos Clérigos (tour des Clercs, 76m, 1754 / 1763) et comprenant une église de forme ovoïde oblongue couverte d’un dôme. 

Un second centre d’architecture baroque qui s’est développé au nord du Portugal est situé à Braga, avec un style baroque différent, plus riche et plus exubérant, voire Rococo, rappelant celui de l’Autriche ou de la Bavière. Le sanctuaire de Bom Jesus do Monte (1784 / 1811), près de Braga, construit par l'architecte Carlos Luis Ferreira Amarante, est l'exemple type d'un site de pèlerinage aménagé en parcours baroque avec un escalier monumental de 116 mètres. L’escalier est un chemin de croix en 14 stations, avec de petites chapelles et des bassins. L’église elle-même souligne déjà, par son architecture sobre et régulière la transition, vers le néoclassicisme.

Ces monuments baroques ont également influencé l’architecture et la décoration intérieure de la fin du XIXe et du début du XXe. les traces en sont encore d’autant plus visibles que la léthargie dans laquelle a été placé le Portugal sous le règne de Salazar semble avoir limité la spéculation foncière en centre-ville et son cortège de destructions sous prétexte de modernisation. C’est ainsi qu’à Porto, on peut admirer la librairie « Lelo y Irmão » aux rayonnages de bois sculpté, étrange mélange de style baroque et de style « nouille », ou le « Majestic Café » ou encore les azulejos de la gare de São Bento mêlant scènes pastorales, ferroviaires et épisodes de la prise de Ceuta de 1415.


[1] Sous la direction de Rolf Toman. « L’art baroque ». 2005.

[2] António Filipe Pimentel. « Triomphe du baroque – Les grandes entreprises du roi D. João V » . Sd.

[3] UNESCO. « Liste du patrimoine mondial de l’Humanité – Porto ». 1995.

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18 novembre 2023

Le baroque au nord du Portugal (5/7). Un développement plus tardif du baroque au Portugal.

Des moyens limités pendant la phase de réunion à l’Espagne

 

Portugal Norte Porto Igreja dos Carmelitas Henrique Maros

[1] Le développement de l’architecture baroque au Portugal connait une situation particulière et un calendrier différent de celui du reste de l’Europe. C’est la conséquence d’un mélange original de facteurs politiques, économiques et artistiques qui va aboutir à la création de formes et d’un caractère spécifiques à ce pays du style baroque. 

En 1494, le traité de Tordesillas règle le partage du « nouveau monde » entre Espagnols et Portugais : toutes les terres situées à moins de 170 lieues à l'ouest des Açores reviennent de droit au Portugal. Après le premier voyage aux Indes de Vasco de Gama (1497 / 1499), Alvares Cabralentreprend une seconde expédition et découvre le Brésil en 1560, mais les ressources en or des nouvelles possessions africaines et américaines du Portugal vont s’avérer être très décevantes et pas du tout à la hauteur des espoirs qui y avaient été mis ! Faute de richesses minières, la mise en valeur des nouveaux territoires s'organisera autour de l'agriculture beaucoup moins prolixe. 

De plus, si jusqu’au XVIe siècle les Portugais contrôlent la route commerciale des épices, au cours du XVIIe siècle Lisbonne est progressivement remplacée par Amsterdam comme plaque tournante de leur commercialisation en Europe. Le Portugal devenu, en1580, une possession de Philippe II d’Espagne, ne saura pas défendre ses possessions lointaines contre les redoutables commerçants hollandais car ils sont alors en guerre contre leur suzerain espagnol. Les Portugais perdent Amboine en 1605, et Ormuz tombe aux mains des Anglais en 1622. En 1638, ils sont chassés de leurs comptoirs du Japon au profit des Hollandais. Dès la chute de Malacca, en 1641, il ne reste plus de l’empire portugais d'Orient que quelques établissements comme l’île de Diu en face du Gujerat, Goa, en Inde Macao en Chine, et une partie de l’île de Timor dans l’archipel de la Sonde.

Durant la période de réunion du Portugal à l'Espagne, entre 1580 et 1640, un nouveau style architectural s’est donc développé, appelé « Arquitetura chã » (architecture sobre), qui se caractérise par une architectonique claire, une apparence robuste avec des surfaces planes et lisses et des effets modérés, sans décoration excessive (photo), en rupture et en réaction avec le style manuélin du XVe siècle excessivement orné et décoré. Mais l’adoption de ce style sobre est également lié à des ressources financières devenues limitées ainsi qu’à l’affirmation d’un sentiment identitaire en réaction au baroque espagnol. La religion réformée ne s'étant pas implantée au Portugal, le style baroque qui dominait alors l’Europe n'y est pas devenu populaire d’autant qu’il était alors associé aux règles jésuites espagnoles. 

Quand le Portugal recouvre son indépendance en 1640, une transition du style sobre vers un baroque tardif se met progressivement en place. Mais jusqu’au dernier quart du XVIIe siècle, suite à l’effort de guerre de restauration portugaise après 60 ans d’Union à l’Espagne, les possibilités financières du royaume restent limitées. Les églises sont à plan basilical à une seule nef, une chapelle principale profonde, des chapelles latérales, une façade et un portail très simples, le tout sans décorations excessives. C’est un bâtiment pratique qui pourra être décoré plus tard (peinture, talhas doradas, azulejos), tant intérieurement qu’extérieurement, quand les ressources financières seront disponibles en transformant des espaces simples et vides en scénarios baroques foisonnants. Telles étaient les caractéristiques qui marquaient les principes austères et rigides de l’église et du pouvoir royal. Certains érudits l’appellent le Baroque Severus. Dans cette période, nous trouvons des architectes portugais, à savoir João Antunes ou João Nunes Tinoco (église de Santa Engrácia, à Lisbonne). 

Ce premier baroque portugais est souvent considéré comme une extension du maniérisme, dont les principes étaient liés au Concile de Trente, c’est-à-dire principalement religieux mais soulignant néanmoins la puissance de persuasion de l'œuvre d'art provoquée par l'émotion esthétique (théâtre, musique ou peinture) et à la nécessité de recourir à ses effets pour aider à provoquer l'émotion mystique, 


[1] Porto, igreja dos Carmelitas (1616 / 1628). Photo Henrique Matos, Wikipedia.

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17 novembre 2023

Le baroque au nord du Portugal (4/7). L’exubérance de l’ornementation intérieure et les azulejos.

Des carreaux de faïence blanche, émaillés puis peints

 

Portugal Norte Braga Sé Choeur

Au Portugal, la richesse de la décoration est également obtenue par l’utilisation des azulejos, ces faïences bleues et blanches. Un azulejo désigne, au Portugal, en Espagne et au Brésil, un carreau ou un ensemble de carreaux de faïence décorés, ornés de motifs géométriques ou de représentations figuratives. On les trouve aussi bien à l'intérieur des bâtiments qu'en revêtement extérieur de façade. Le terme « azulejo » vient du mot arabe « al-zuleij » qui signifierait « pierre polie » [1]. Il s’agit de carreaux émaillés utilisés par les musulmans pour décorer les sols et les murs. La technique de la faïence a été découverte au IXe siècle en Perse et Mésopotamie, c’est une poterie tendre et poreuse recouverte d'un enduit imperméable (par exemple, oxydes de plomb et d'étain). 

Cette faïence blanche peut-être décorée avec de la peinture mais le décor sur émail cru n'admet que des couleurs capables de supporter la température de cuisson, dite de grand feu (env. 750 à 900 degrés), nécessaire au durcissement de l’émail : le vert (tiré de l'oxyde de cuivre), le violet (de l'oxyde de manganèse) et le bleu (de l'oxyde de cobalt), le jaune (de l'antimoine). Cette technique s’est propagée rapidement dans le monde arabe (dont le sud de l’Espagne) puis, à la Renaissance, dans les pays d’Europe. 

Les azulejos sont introduits au Portugal au XVe siècle par l’intermédiaire de l’Espagne, et donc une date ultérieure à la fin de la présence musulmane sur le territoire du Portugal (1267). C’est au début du XVIe siècle que le roi Manuel Ier (1469 / 1521) fait importer les premiers azulejos d'Espagne afin d'en recouvrir les murs du palais qu'il se fait reconstruire à Sintra. La fabrication à Lisbonne des azulejos en faïence est apparue vers 1560 et les couleurs utilisées étaient alors le bleu, le jaune, le vert et le blanc. 

A partir du XVIIe siècle se développe en Europe la technique du décor sur émail préalablement cuit. Le décor sur émail cuit est ensuite fixé à l'aide d'un fondant au cours d'une seconde cuisson à moindre température, dite cuisson au petit feu. Cette technique permet de peindre sur les carreaux comme sur un tableau, elle autorise une palette plus étendue et plus nuancée (bleu, jaune clair, jaune foncé, vert, brun, blanc, noir, violet), comportant toute la gamme des roses tendres et des rouges vifs tirés de l'or (pourpre de Cassius) et l'application de dorures. 

Au milieu du XVIIe siècle, les Hollandais reproduisent les faïences chinoises et s'orientent vers des carreaux de faïence aux dominantes bleues et blanches (faïences de Delft). Les Portugais commandent alors les azulejos aux Hollandais pour leurs palais et leurs églises. Par exemple, au Couvent Madre de Deus à Lisbonne (Igreja do Convento da Madre de Deus), deux tableaux d'azulejos hollandais ont été installés entre 1686 et 1707, un panneau représentant Jéhovah appelant Moïse par Willem van der Kloet, et une scène champêtre et une vue de palais, peinte par Jan van Oort. 

A la fin du XVIIIe siècle, après le terrible tremblement de terre de Lisbonne (1755), les Portugais décident d’utiliser la technique des azulejos pour décorer les façades des immeubles du nouveau quartier de leur capitale, Baixa. Ce choix est notamment dû au faible coût de fabrication des carreaux de faïences, mais aussi à leurs caractéristiques techniques, imperméabilité et isolation thermique et à leurs qualités hygiéniques. L'art des Azulejos est alors à son apogée, la maîtrise des peintres d'azulejos est telle qu'ils signent leurs créations. Progressivement, une partie des bâtiments plus anciens sera décoré avec des tableaux d’azulejos.

A l’extérieur, elles peuvent couvrir totalement façades et murs latéraux de carreaux alternativement bleus et blancs (Palácio do Raio et église São João de Souto à Braga) ou représenter de grandes scènes religieuses composées de décors bleus sur fond blanc (façade de São Ildefonso à Porto où les espaces disponibles entre pilastres et entablements sont recouverts d’azulejos, ou mur latéral de l’Igreja dos Carmelitas à Porto recouvert d’une vaste fresque). A l’intérieur, les azulejos recouvrent les murs de la Sé de Porto (photo) ou la totalité des murs de Nossa Senhora do Pópulo de Braga en représentant des épisodes de la vie de saint Augustin.


[1] Les « zelliges » marocains, une mosaïque de petits morceaux de faïence colorés recouvrant sols et murs ont la même étymologie que les azulejos.

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