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Notes d'Itinérances

26 avril 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (16/20). La Fontaine de l'acqua Paola et le belvédère sur Rome.

Erection de la fontaine et pillage des ruines romaines

 

 

« Mais, voici, elle arrive à la fin de son chemin, et d’ici quelques pas, elle sera parvenue à sa première embouchure : elle jaillira en torrents des trois bouches de la grande fontaine du Janicule, en vue de Rome entière, aux fontaines du Ponte Sisto, de la via Giulia, de la piazza Farnese, du campo dei Fiori, de la piazza Navona, jusqu’à ce grand décor de pierre qu’est la fontana di Trevi ; partout elle portera son flot vocal, qui vient animer les architectures »[1]

 

En 1608, le Pape Paul V Borghèse (1605 / 1621) fit restaurer l’aqueduc romain Aqua Traiana, construit par l'empereur Marco Ulpio Traiano en 109, dans l’objectif d'alimenter en eau les quartiers du Borgo, du Vatican, du Trastevere et de la Via Giulia. L’aqueduc, long de 32 km, reçoit les eaux provenant des lacs de Bracciano, Oriolo Romano et Trevignano. Ses points d'arrivée sont la fontaine Trilussa (piazza Trilussa) et la fontaine Paola. Celle-ci fut érigée en 1610 / 1614 par les architectes Flaminio Ponzo et Giovanni Fontana, avec des éléments prélevés du forum romain et du temple de Minerve sur le forum de Nerva[2] . En forme d'arc de triomphe à trois grandes niches centrales, flanquées de deux plus petites, elle s’ouvre vers la ville comme une scène de théâtre. Devant les pieddroits, six colonnes de granit séparent les cinq niches et supportent un très volumineux entablementsurmonté d'un attique, avec les armes de Paul V, de la famille Borghèse, représentant un aigle couronné aux ailes déployées et un dragon ailé : « D'azur au dragon d'or au chef d'or à l'aigle de sable couronné d'or ».

 

 « Hier soir, chez Mme de D***, nous avons vu plusieurs gravures représentant ce monument (le temple de Pallas) tel qu’il était avant Paul V. Ce pape le fit démolir parce qu’il avait besoin des marbres pour sa fontaine Pauline sur le mont Janicule. L’utilité du livre que vous lisez, si tant est qu’il en ait, est peut-être d’empêcher à l’avenir de tels attentats » [3].

 

De la fontaine Paola, vous aurez aussi une des plus belles vues sur Rome. C’est de là que Zola fait commencer son roman « Rome ». Son personnage principal, Pierre Froment, un jeune prêtre français à la foi ébranlée, vient à Rome pour y défendre, auprès de la congrégation de l’Index, son livre dans lequel il plaide pour un renouveau du catholicisme allié au mouvement démocratique et social[4]. Arrivé le matin de Paris par le train, il se fait conduire sur le Janicule pour y admirer la ville.

 

« Ici, tout près, il reconnaissait à sa loggia tournée vers le fleuve, l’énorme cuve fauve du palais Farnèse. Plus loin, cette coupole basse, à peine visible, devait être celle du Panthéon. Puis, par sauts brusques, c’étaient les murs reblanchis de Saint-Paul-hors-les-Murs, pareils à ceux d’une grange colossale, les statues qui couronnent Saint-Jean-de-Latran, légères, à peine grosses comme des insectes ; puis, le pullulement des dômes, celui du Gesù, celui de Saint-Charles, celui de Saint-André-de-la-vallée, celui de Saint-Jean-des-Florentins ; puis, tant d’autres édifices encore, resplendissants de souvenirs, le Château Saint-Ange dont la statue étincelait, la villa Médicis qui dominait la ville entière, la terrasse du Pincio où blanchissaient des marbres parmi des arbres rares, les grands ombrages de la villa Borghèse, au loin, fermant l’horizon de leurs cimes vertes ».

 

Vers la porte San Pancrazio, la Villa Aurelia est située sur le point culminant du Janicule. Elle a été construite pour Girolamo Farnese, vers 1650, quand il a assumé la charge de gouverneur de Rome. La villa a connu ensuite des fortunes diverses, de très nombreuses modifications et appartient à l'Académie américaine de Rome depuis 1909. Restaurée en 2002 sur les bases de la documentation sur sa situation au XIXe siècle, elle accueille des concerts, des conférences et des événements culturels de l'Académie et des initiatives privées.


 

[1] Giogio Vigolo. « La Virgilia ». 1982.

[2] Sovrintendenza Capitolina ai Beni Culturali. « Mostra dell’Acqua Paola al Gianicolo ». Sur réservation, pour des groupes culturels et des associations, il est possible d'accéder au jardin situé derrière (max 25 personnes) que le pape Alexandre VII Chigi (1655 / 1667) avait destiné à être un jardin botanique.

[3] Stendhal. « Promenades dans Rome ». 1829.

[4] Ce sera évidemment un cause perdue. Emile Zola. « Rome ». 1896.

 

24 avril 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (15/20). Mausolée aux morts de 1849 et 1870.

Les révolutions de 1848 dans les Etats de l'Eglise - La République française au secours du pape ! 

 

 

 

« A propos, nous ne résisterons pas à l’impulsion de rappeler que la mort, par elle-même, à elle seule, sans aucune aide extérieure, a toujours beaucoup moins tué que l’homme » [1].

 

Sur le mur latéral de San Pietro in Montorio, vous remarquez un boulet de canon sur une plaque mémorielle. C’est que la zone a donné lieu à une âpre bataille en 1849 contre les troupes françaises. En 1848, des troubles se manifestent dans toute l’Europe, les peuples commençant à secouer le joug des différentes monarchies absolutistes. Les États de l’Église n’y échappent pas, d’autant moins que le Pape est une puissance temporelle des plus rétrogrades. Finalement, Pie IX Ferretti (1846 / 1878) octroie une constitution libérale, promulguée en mars 1848. Mais il refuse de rompre avec l’Empire d’Autriche à la grande irritation de la bourgeoisie libérale et du peuple romain. Le 15 novembre, le ministre de l’Intérieur, Pellegrino Rossi, est assassiné. Pie IX s’enfuit à Gaète et les patriotes regroupés autour de Guiseppe Mazzini font élire au suffrage universel une assemblée constituante qui proclame la République le 22 février 1849. La jeune République remet le pouvoir à un triumvirat, dont Mazzini fait partie, et le commandement des troupes à Garibaldi.

 

En avril 1849, Louis-Napoléon Bonaparte, Président de la seconde République Française, décide de l'envoi d'un corps expéditionnaire français à Rome, soi-disant pour contrebalancer l'influence autrichienne. Ce qui est un argument très curieux puisque c’est contre l’influence autrichienne que se sont révoltés les Romains ! (on n’avait pas encore eu l’idée d’invoquer la possession d’armes de destruction massive). Le 24 avril 1849, les troupes françaises, commandées par le général Oudinot, arrivent à Civitavecchia. Afin de débarquer sans opposition armée, les Français distribuent une déclaration par laquelle ils soulignent que « Le gouvernement de la République française, animé d'intentions libérales, déclare vouloir respecter le vœu de la majorité des populations romaines, ne venir qu'en ami, dans le but d'y maintenir son influence légitime, et décidé à n'imposer aux populations aucune forme de gouvernement qui ne soit désirée par elles ». Le 25 avril, des émissaires français viennent annoncer au triumvirat l'intervention française pour « empêcher » celle de l'Autriche, de l'Espagne et de Naples, s'assurer des sentiments de la population au sujet de la forme de gouvernement et chercher une réconciliation entre Pie IX et les Romains. Bien évidemment, tout cela n’est que poudre aux yeux, les troupes de la jeune République Romaine ne devant pas faire le poids devant une armée nombreuse et aguerrie. Le 30 avril, le corps expéditionnaire français, composé de 5 000 soldats, se présente face aux portes Cavalleggeri et Angelica.

 

Contrairement à leurs espoirs de conquérir Rome sans coup faillir, ils sont reçus à coups de canon et de fusil par près 10 000 soldats présents dans la ville. Ils se heurtent à la résistance de Garibaldi et des volontaires républicains notamment à la porte San Pancrazio sur le Janicule, et doivent reculer. Aux soldats français battus le 30 avril s'ajouteront 24 000 hommes, 4 000 chevaux et 75 canons et le siège de la ville commence alors. Après 16 jours, une brèche est effectuée et l'assaut est donné le 21 juin. Un second assaut doit être lancé le 30 juin à la porte San Pancrazio. La dernière bataille de la République Romaine a lieu et les hommes se battent à l'arme blanche, 3 000 Italiens sont tués ou blessés et 2 000 Français. La ville capitule et l'armée française s'installe à Rome pour une occupation qui durera jusqu'en 1870. Avec la guerre franco-prussienne de 1870 les troupes françaises sont rapatriées. Face au refus de Pie IX d’accepter la fin de son pouvoir temporel, le roi d'Italie Victor Emmanuel II décide d’avoir recours à la force et, le 20 septembre 1870, l'artillerie italienne opère une brèche dans la muraille de Rome, au nord-est cette fois, près de la porte Pia, dans laquelle s’engouffrent fantassins et bersaglieri mettant fin au pouvoir temporel des papes sur Rome.

 

En bon fasciste, le Duce ne manqua pas de s’approprier les « Héroïques Défenseurs de la Patrie » contre tous les envahisseurs étrangers, incorporant sous son drapeau les Républicains et Garibaldiens ! Les morts ne peuvent pas protester. Il fit construire un monument pompeux situé derrière San Pietro in Montorio. Inauguré le 3 novembre 1941, le mausolée accueille les restes de 200 combattants des batailles pour Rome de 1849 et 1870[2] dont Goffredo Mameli, le jeune poète génois, âgé seulement de 22 ans, auteur de l'hymne italien, mortellement blessé sur le Janicule en 1849.

 

[1] José Saramago. « Les intermittences de la mort ». 2005.

[2] Sovrintendenza Capitolina ai Beni Culturali. « Mausoleo Ossuario Garibaldino ».

 

Liste des promenades dans Rome. et liste des articles sur le Janicule

22 avril 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (14/20). Le Tempietto de Bramante.

Un des chefs-d'oeuvre de la Renaissance italienne

 

 « Au sommet est bâtie l’église de S. Pietro in Montorio, habitée par de pauvres moines ; derrière l’église est un joli petit temple rond, à colonnes, au centre duquel on conserve le trou dans lequel on a planté la croix où a été crucifié St Pierre. Le trou peut avoir 15 pouces de circonférence. C’est une sorte de puits, garni de marbre et au-dessus duquel brûle une lampe » [1].

 

En 1502, Donato Bramante construit le Tempietto à côté de l'église San Pietro in Montorio (Saint-Pierre sur le Mont Doré), à l'emplacement attribué au martyre de saint Pierre, sur une commande des Rois d’Espagne, Aragon et Castille (l’unification de la royauté en Espagne n’étant faite qu’avec Charles Ier en 1516, lequel est plus connu sous le nom de Charles Quint). L’objectif était de protéger et mettre en valeur la cavité creusée sur le Janicule pour y placer la croix sur laquelle saint Pierre aurait été crucifié et d’élever au-dessus un petit temple. Pour la forme, Bramante s’inspire du temple de la Sibylle à Tivoli, un temple rond entouré d’un péristyle de colonnes corinthiennes [2].

 

L’édifice est de taille modeste, composé d’un péristyle circulaire, aux colonnes d’ordre dorique, entourant un sanctuaire central dont la cella ne mesure que 4,5 mètres de diamètre. Il est coiffé d’un dôme hémisphérique, porté par un haut tambour et surmonté d’un lanternon. Le monument serait également une image symbolique de l’Église : la crypte représenterait les débuts de la Chrétienté dans les catacombes, la cella (le corps central) évoquerait l’église militante et la coupole serait l’église triomphante du Christ dominant le monde.

 

Les proportions de l'édifice sont simples : la hauteur de la cella est égale à la largeur du péristyle, mais Bramante empile des formes cylindriques dans une progression savamment dosée, en retrait les unes par rapport aux autres. D’abord un soubassement circulaire, composé de trois marches, puis la colonnade surmontée d’une frise, d’une corniche et d’une balustrade, enfin le tambour de la coupole en fort retrait. La hauteur du tambour et de la coupole est proportionnée à celle du diamètre du péristyle afin de donner une apparence de hauteur et de pyramide à l’ensemble du bâtiment. Il s’agit d’articuler les différents éléments entre eux pour que la finalité du bâtiment apparaisse comme étant la coupole, image du ciel, avec la croix qui la surmonte.

 

Sous le Tempietto, il y a une chapelle souterraine dont les dimensions correspondent à celle de l’église extérieure. Un orifice central les fait communiquer et éclaire la chapelle. Au sol, au centre, une cavité, celle dans laquelle aurait été placée la croix de Pierre. L’ensemble de l’édifice est ainsi traversé par un axe vertical qui va du trou de la croix à la croix placée au sommet du dôme, en passant par l’orifice qui relie les deux chapelles.

 

Les architectes de la Renaissance étaient très attirés par la forme circulaire, voyant en elle l'image de la perfection divine, sans commencement ni fin. Le rythme régulier des colonnes du péristyle, des pilastres, fenêtres et niches de la cella, des colonnettes de la balustrade, dans une forme circulaire, définit une figure de la perfection d’une part parce qu’elle est en tous points similaire, mais aussi d’autre part parce qu’elle se suffit totalement à elle-même. Il n’est donc pas étonnant que Bramante ait envisagé que l'édifice soit isolé au centre d'un cloître lui-même circulaire faisant du Tempietto un point focal, parfait, unique.

 

Le Tempietto est considéré comme un des chefs-d’œuvre de la Renaissance par la simplicité et la rigueur de ses proportions, mais aussi par sa clarté fonctionnelle avec la superposition des trois composantes de sa structure. Malheureusement le Tempietto est à l’étroit dans une cour carrée entourée de hauts bâtiments. Son architecture audacieuse est ainsi peu mise en valeur, pour ne pas dire étouffée.

 


[1] Jules Cloquet. « Voyage en Italie ». 1837.

[2] Emmanuel Noussis. « Le modèle antique dans l’architecture de la Renaissance ». Histoire des Arts en khâgne. Sd.

 

20 avril 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (13/20). San Pietro in Montorio (Saint-Pierre sur le Mont Doré).

Le lieu de la crucifixion de Pierre - Le corps de Béatrice Cenci

 

 

Sur la montée de la via Garibaldi, le Janicule comporte quelques espaces verts dans un état lamentable à l’image des squares, jardins et parcs de la ville. On aimerait que ce ne soit pas une tradition attestée depuis quelques siècles !

 

« Ils (les italiens) ne paraissent guère se soucier de l’entretien ni de la propreté ; ils ne doivent pas faire grande dépense de jardiniers. Sans doute c’est pour conserver à leurs jardins l’air agreste et sans culture ; car il faudrait avoir l’esprit mal tourné pour se figurer que c’est par épargne »[1].

 

Après quelques épingles à cheveux, la via Garibaldi débouche sur l’esplanade de San Pietro in Montorio. Il est parfois possible de couper par un escalier, dénommé « via » di San Pietro in Montorio (s'il n'est pas fermé compte-tenu de son mauvais état d'entretien). En 1957, les stations d'un chemin de croix en terre cuite polychrome du sculpteur espagnol Carmelo Pastor Pia ( 1924 / 1966) ont été insérées le long de l'escalier. L'esplanade a été aménagée  en 1605 grâce à un financement du roi d'Espagne Philippe III, puis décorée d'une colonne surmontée d'une croix en 1657.

 

La première référence à l'existence d’une église et d’un monastère au Montorio date du IXe siècle. En 1472, le pape Sixte IV della Rovere (1471 / 1484) remet l'église et le couvent désaffectés à une congrégation réformatrice espagnole de Franciscains. En 1481, les frères ont décidé de reconstruire l'église à partir de ses fondations. L'église avec sa façade a été achevée en 1494 grâce aux dons du roi Louis XI, et elle a été consacrée par le pape d’origine espagnole Alexandre VI Borgia (1492 / 1503), le 6 juin 1500, sur le lieu attribué à la crucifixion de saint Pierre. Or d’autres sources précisent que la crucifixion de saint Pierre a eu lieu sur le cirque du Vatican construit par Caligula, c’est-à-dire à l’emplacement actuel de la basilique Saint-Pierre. Toutefois, il n’est même pas attesté que Pierre soit venu à Rome, les écrits qui y font référence datant du second siècle !

 

Par la suite, la reine Isabelle de Castille et le roi Ferdinand d’Aragon ont mis en place les fonds pour construire une chapelle de dévotion sur le site mythique du martyre de saint Pierre. Le Janicule a été depuis très lié à la royauté espagnole dont la présence est encore marquée, aux pieds de San Pietro, par les bâtiments du "complexe espagnol" l'Académie Cervantès, le lycée espagnol et la résidence de l’ambassadeur d’Espagne.

 

L'église est de forme très simple, un édifice rectangulaire sous un toit en tuiles à double pente, avec deux légères saillies pour marquer le transept et une abside polygonale laquelle a été reconstruite après les dégâts causés par le siège de 1849 par les armées françaises de la seconde République. Sur le côté gauche, ont été construit des chapelles latérales, de formes différentes. La façade est très sobre, plate, avec deux étages séparés par une corniche en très légère saillie. Au centre du deuxième étage est située une petite rosace de style gothique. L’église de San Pietro in Montorio possède plusieurs œuvres intéressantes dont une « Flagellation » (photo) dans la première chapelle à droite, œuvre de Sebastiano del Piombo (1485 / 1547), une peinture à l’huile sur le mur, inspirée de dessins de Michel-Ange. A voir aussi les fresques de Vasari (1511 / 1574) au plafond des quatrième et cinquième chapelles, un « Baptême du Christ » attribué à Daniele da Volterra (1509 / 1566) dans la cinquième chapelle à gauche. La seconde chapelle à gauche, la chapelle Raimondi, fut conçue par Gian Lorenzo Bernini.

 

Le cadavre de Beatrice Cenci, « la belle parricide »[2], aurait été enterré devant l’autel après son supplice, sa tête étant placée sur un plateau d’argent. La tombe fut profanée en 1798 par les soldats de la première République française et la tête de Beatrice disparut avec le plateau !

 


[1] Président de Brosses. « Lettres d’Italie ». 1740.

[2] La jeune Béatrice Cenci, ses frères et la seconde femme de son père, furent condamnés pour l'assassinat de Francesco Cenci, un riche aristocrate violent et débauché, protégé par le pape Clément VIII Aldobrandini (1592 / 1605). Béatrice fut décapitée, le 11 septembre 1599, place Sant’Angelo. Dans la nuit de la date anniversaire de sa mort, la légende veut que Béatrice Cenci traverse le pont Sant’Angelo avec sa tête sous le bras.

 

Liste des promenades dans Rome. et liste des articles sur le Janicule

18 avril 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (12/20). Le « complexe espagnol » du Janicule.

Lycée et Académie espagnoles

 

 

La via di Porta san Pancrazio grimpe sur le Janicule, en pente forte ; elle longe, à droite, le jardin du Bosco Parrasio et, à gauche, les bâtiments du lycée espagnol Cervantès, de la résidence de l'Ambassadeur d'Espagne en Italie et, derrière, l’Académie royale d’Espagne à Rome. Les grandes royautés catholiques européennes, Autriche, Espagne et France, se sont efforcées de marquer leur présence auprès du Saint-Siège avec des bâtiments fastueux d’ambassades, de riches églises nationales, mais aussi des congrégations, des hospices pour y accueillir les pèlerins de leurs pays et enfin des écoles nationales. Les relations entre leurs représentants étaient parfois houleuses lorsque leurs bâtiments étaient voisins et leurs pays respectifs en guerre les uns contre les autres. Il ne manque pas d’anecdotes sur les relations entre Espagnols et Français du fait de la proximité de l’ambassade d’Espagne avec l’église nationale des Français de la Trinità dei Monti[1] ! Progressivement, les Français investirent les hauteurs du Pincio avec l’église nationale de la Trinità dei Monti (1495 / 1594), l’Académie de France dans la Villa Médicis (1803) et, non loin, derrière la piazza del Popolo, le lycée français Chateaubriand (1903). Les Espagnols investirent le Janicule autour de l’église San Pietro in Montorio (1500), puis l’Académie royale d’Espagne à Rome dans les locaux du couvent de San Pietro (1876), la résidence de l’ambassadeur d’Espagne en Italie (1947) et enfin le lycée espagnol Cervantes (1973).

 

Le lycée Cervantes est une école internationale relevant du ministère espagnol de l'Éducation. Il a été créé en 1973 dans les anciens locaux d’un couvent franciscain. Il assure un enseignement maternel, primaire et secondaire, selon le système éducatif espagnol. La langue véhiculaire des enseignements est l'espagnol, mais les domaines de la littérature, de la langue, de la géographie et de l'histoire italiennes sont enseignés conformément à un accord bilatéral italo-espagnol.

 

La résidence de l'ambassadeur d'Espagne auprès des autorités italiennes est située derrière le lycée dans la Villa Vaini. Guido Vaini, neveu du pape Innocent XII Pignatelli (1691 / 1700), obtient de celui-ci, en 1693, le terrain sur lequel sera construite la villa avec vue imprenable sur la ville[2]. La villa passa ensuite entre plusieurs mains avant de devenir, en 1790, une manufacture de fabrication de vêtements, puis une usine de pain ! Endommagée lors des combats de 1849, elle subit un incendie en 1922. Restaurée par la famille Ruspoli, elle devient en 1947 la résidence de l'ambassadeur.

 

L'Académie royale d'Espagne à Rome (Real Academia de España en Roma) est située dans un des cloîtres de l'ancien monastère de San Pietro in Montorio. Comme l’Académie de France, l’Académie d’Espagne est une institution culturelle placée sous la tutelle du ministère espagnol des Affaires étrangères. Ses objectifs sont de contribuer à la formation artistique et humaniste des artistes, afin d’élargir la présence culturelle espagnole en Italie, assurer une meilleure compréhension des cultures des deux pays et, plus largement, développer un lien culturel entre l'Europe et l'Amérique latine[3]. L’Académie a été fondée en 1873 grâce à l'impulsion d'Emilio Castelar, ministre d'État de la Première République espagnole, et elle a joué un rôle important dans la formation de nombreux artistes et intellectuels espagnols. Chaque année, l'Académie offre des bourses d'études d'une durée de trois, six ou neuf mois et des résidences aux artistes de langue espagnole (pays ibéro-américains et de l'Union européenne) œuvrant dans différentes disciplines artistiques (ont été ajoutées récemment la photographie, la création vidéo, la gastronomie, l'art et les nouvelles technologies, le design de mode, le graphisme, la bande dessinée ou la médiation artistique).

 

L'Académie est installée depuis 1876 dans les bâtiments du second cloître, au nord du Tempietto, dans deux étages qui accueillent les salles et les chambres des boursiers. En 1587 et 1588, il a été décoré de fresques du peintre maniériste toscan Niccolò Circignani, dit Il Pomarancio (1530/35 ? / 1590), dans trente-deux des lunettes de la galerie couverte qui, avec celles du cloître du Tempietto, constituent l'un des cycles les plus étendus sur l'histoire de saint François et de son Ordre.

 


[1] Voir Rione Campo Marzio / Place d’Espagne / L’escalier de la Trinité des Monts.

[2] Makaa Jade. « La villa Vaini ». In « Abitare a Roma ». 14/07/2016.

16 avril 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (11/20). Le Bosco Parrasio.

L'Académie d'Arcadie - Les lieux de réunion de l’Académie

 

Entre Santa Maria delle sette dolori et l’escalier qui conduit à San Pietro in Montorio, s’ouvre à droite la salita del Bosco Parrasio qui conduit à l’entrée du jardin. Ce jardin appartient à l’Accademia dell’Arcadia (Académie d’Arcadie) fondée à Rome en 1690. Le nom fait référence à un poème en prose de Jacopo Sannazaro (1501) et à une région du Péloponnèse à laquelle était associée une image pastorale et bucolique. L’Académie, fondée par des hommes de lettres et poètes, avec à leur tête Giovanni Mario Crescimbeni, a connu un grand succès parmi les mécènes du salon de la reine Christine de Suède qui en a été l’inspiratrice.

 

Les objectifs de l’Académie étaient de promouvoir le « bon goût » en réformant la langue utilisée dans la poésie, en retrouvant la « simplicité pastorale » grecque et latine contre les excès de la poésie baroque. Le lieu de rencontre des Arcadiens était reconnu comme le « bois de Parrhasian », ou « Bosco Parrasio » : le bosquet sacré du temple d'Apollon situé sur le mont Lycaeus, dans l’Arcadie de la Grèce antique.

 

Au début de ses activités, l’Académie utilise différents lieux pour ses réunions, notamment des jardins comprenant de petits théâtres de verdure (jardins des couvents de San Pietro in Montorio, palais Salviati, Villa Giustiniani). En 1724, le roi Jean V du Portugal donne à l’Académie un terrain sur les pentes du Janicule où celle-ci tient désormais ses séances, tous les jeudis en été, dans un bois de lauriers et de myrtes. Le jardin est aménagé en 1725, selon un dessin baroque d’Antonio Canevari, assisté par Nicola Salvi, le futur architecte de la fontaine de Trevi[1]. Pour tenir compte de la pente raide de la colline, trois terrasses sont conçues, reliées par des escaliers courbes et symétriques à la manière des escaliers de la Trinité des Monts. La dernière terrasse est construite comme un petit amphithéâtre et elle est utilisée pour les rencontres et discussions des poètes[2]. En 1850, le secrétariat et les archives de l’Académie est accueilli dans un nouveau bâtiment de Francesco Azzurri, de goût néoclassique, avec une façade concave ornée de colonnes et de niches « égyptiennes » dont les flancs sont ornés de plaques de marbre sur lesquelles sont inscrites les lois de l’Académie.

 

L'Académie arcadienne a eu un impact sur la réforme poétique et la vie culturelle, mais également sur une nouvelle vision des jardins qui contribuera à l’émergence des jardins dits « à l’anglaise » en Italie. Les académiciens participaient à des réunions estivales, s’asseyaient par terre à la mode des bergers, sur des rochers ou sur l’herbe. Dans leurs poèmes ils évoquaient des lieux agréables, une nature généreuse où l’Homme était en harmonie avec elle.  Le souvenir n’y était toutefois pas absent, à l’image de la peinture « Les bergers d’Arcadie » de Nicolas Poussin[3]. Ce mouvement, avec d’autres, allait contribuer à un renouveau des jardins.

 

Le Bosco Parrasio a fait l’objet de plusieurs restaurations. Les plus importantes ont consisté à réparer les dommages causés par les affrontements armés qui ont eu lieu sur le Janicule en 1849 lors des bombardements et de l’assaut donné par les troupes de la République Française contre celles de la République Romaine. D’autres travaux d’entretien ont été effectués en 1872. Cependant, depuis 1891, en raison du mauvais état des installations et du manque de ressources économiques pour restaurer les lieux, l’Académie d’Arcadie a été forcée de déplacer son siège à l’église San Carlo al Corso et de demander l’hospitalité pour ses réunions académiques à d’autres institutions, comme elle le faisait au début de son activité. Depuis 1940, l’Académie d’Arcadie a trouvé un nouveau site prestigieux au sein de la Bibliothèque Angelica qui conserve également ses Archives. Depuis lors, le site du Bosco Parrasio est loué à des particuliers.

 


[1] Giovanni Mario Crescimbeni. « Storia dell'Accademia degli Arcadi istituita in Roma ». 1690.

[2] Accademia degli Arcadi. « Una sede stabile per il Bosco Parrasio ». Site de l’Académie.

[3] Nicolas Poussin. « Les bergers d’Arcadie ». 1628-1630. Il illustre la maxime « Et in Arcadia ego » (je - la Mort - suis là aussi).

Katrina Grant. « The Bosco Parrasio as a site of pleasure and of sadness ». Université de Caen-Normandie.

Wacquet Françoise. « Retour à l'âge d'or et réforme littéraire : le primitivisme et l'Arcadia » In « Romantisme », 1994, n°84.

 

Liste des promenades dans Rome. et liste des articles sur le Janicule

14 avril 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (10/20). Le Conservatorio Pio et Santa Maria delle sette Dolore.

Oeuvres pieuses au pied du Janicule

 

 

Aux n°41/45 de la Via Garibaldi, le bâtiment de la Vecchia Fabbrica del Tabacco (ancienne fabrique de tabac) a été construit pour accueillir une usine de transformation du tabac de la société de Giovanni Michilli et Giovanni Antonio Bonamici, à qui Benoît XIV Lambertini (1740 / 1758) avait accordé une licence de fabrication[1]. L'architecte Luigi Vanvitelli a collaboré à la conception et à la construction du bâtiment de trois niveaux, lequel était achevé et opérationnel en 1744. Les plants de tabac y étaient broyés par trois meules mises en mouvement au moyen de l'énergie hydraulique produite par une chute d’eau dans un tuyau de la fontaine de San Pietro in Montorio située sur la colline du Janicule ; l’eau s’écoulait ensuite dans le Tibre.

 

La manufacture de tabac ne vécut pas très longtemps puisqu’en 1775 le pape Pie VI Braschi (1775 / 1799) fonda dans ses locaux le Conservatorio Pio du Janicule. Le Pontife acheta d'autres bâtiments adjacents avec des potagers, et fit transformer les locaux du rez-de-chaussée de la manufacture pour les utiliser comme filature de laine. L’objectif de la création de cette œuvre pieuse était d'héberger et d'éduquer les filles pauvres de la ville, orphelines, ou se trouvant abandonnées et sans moyens de subvenir à leurs besoins[2]. Les revenus de la fabrique de laine devaient permettre de couvrir les frais d’hébergement des pensionnaires. C’était une tradition bien établie que d’ériger dans le quartier du Trastevere les organismes chargés des populations les plus misérables de la ville, infirmes, vieillards, malades mentaux, mendiants, prostituées, orphelins, c’était tout simplement un moyen de les écarter du centre-ville où on ne souhaitait pas les voir. En 1820, le Conservatoire fut encore agrandi avec la création d'une infirmerie et d'un jardin pour les orphelins. A partir de 1844, dans le cadre d’une réorganisation générale des œuvres pieuses à Rome, les bâtiments de la filature passèrent de main en main et, en 1880, le nouvel État italien racheta finalement les locaux. Ils servirent successivement de clinique chirurgicale, puis d’école pour les gardes de la ville, puis d’école de la garde royale et des carabiniers ; ils accueillent aujourd’hui un commandement régional des Carabiniers.

 

Avant le premier virage de la via Garibaldi, à gauche, au n°27, vous remarquerez la façade toute de brique de Santa Maria delle sette dolori de Francesco Borromini (photo). L’église était attachée à un monastère d’oblates[3] cloitrées qui avait pour finalité de dispenser une éducation aux filles de la noblesse désargentée. Le monastère fut un lieu de refuge pour une centaine de juifs de Rome durant l'occupation nazie. En 1951, les sœurs ouvrirent un refuge pour les orphelins du Trastevere. Faute de vocations, une partie des bâtiments accueille aujourd’hui un hôtel quatre étoiles (« Donna Camilla Savelli ») qui utilise la crypte, avec son escalier borrominien, comme cave à vin.

 

Avec très peu de moyens, des quarts de cercles plaqués en relief, Borromini anime la façade. L’accès à l'église s’effectue dans cette façade, par un vestibule pour lequel Borromini se serait inspiré de l’architecture de la Piazza d'Oro de la Villa d’Hadrien à Tivoli : d’un plan octogonal irrégulier, à la voute plane, soutenue par quatre arcs. La nef, rectangulaire, parallèle à la façade, aux angles arrondis et ponctuée de colonnes corinthienne de marbre rose, présente un transept légèrement saillant[4]. Les colonnes supportent un entablement, décoré de marbre vert, qui forme des arcs sur les petits côtés et les chapelles ; le plafond, assez plat, s’élève à partir du sommet de ces arcs. En 1646, faute de financements, Borromini a cessé sa participation et l’intérieur de l’église n’a été achevé qu’en 1665. La décoration de l’église, très colorée et très peu borrominienne, est due à la restauration de 1845.

 

 


[1] In RomaSegreta. « Via Garibaldi ».

Fabio Robotti. « La manifattura del tabacco nella Roma pontificia ». In « Panorama Numismatico ». 06/2016.

Pour Antonio Ceci « Il monopolio del tabacco in Italia Ascesa e declino di una industria di Stato » in « Historia et Ius » 2015, la première usine de tabac aurait été construite à Rome en 1774 par Pietro Giovanni Wendler ; la fabrique de tabac de la via Garibaldi a cessé ses activités à cette date.

[2] Alessandra Venerosi Pesciolini. « Conservatorio Pio al Gianicolo - Archivio storico - Inventario 1775-1873 ». 2015.

[3] Un oblat ou une oblate est un laïc qui « se donne » à un monastère qui l'accueille pour lui permettre de vivre certains aspects de la vie spirituelle monastique.

[4] Site Romanchurches. « Santa Maria delle sette dolori ».

 

 

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12 avril 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (9/20). La porte Settimiana et la via Garibaldi.

Le quartier de Rafael Alberti

 

 

La via della Lungara se resserre et se termine sur une porte, la porte Settimiana, une appellation qui fut chère à un président de la région Languedoc-Roussillon qui souhaitait l’affubler de ce nom ! Compte-tenu de l’importance de cette province et de sa capitale, Montpellier, on est un peu déçu de la modestie de cette porte ! Nulle fioriture, ni colonnes décoratives, ni frontons, ni armoiries, juste un arc en plein cintre surmonté de mâchicoulis et de créneaux ! Nulle voie romaine chargée de faire se rejoindre directement la capitale de l’Empire à sa riche province de la Gallia Narbonensis, mais une route créée par Jules II della Rovere (1503 / 1513) pour conduire aisément les pèlerins du pont Sisto à la porte San Spirito, un bastion situé au sud-est du Vatican, et leur permettre d’atteindre la basilique Saint-Pierre.

 

A gauche, au croisement avec la via di Santa Dorotea, au n°20, une boutique au rez-de-chaussée, signalée par une colonne romaine laissée visible dans la façade, aurait été, selon la tradition, la maison de la fille d'un boulanger devenue la maîtresse de Raphaël connue sous le nom de « La Fornarina » (la boulangère). C’est lorsqu’il était chargé de peindre les fresques de la Villa Farnesina qu’il aurait rencontré la jeune femme ce qui donna lieu notamment à un des tableaux les plus connus du maître et conservé à la Galerie d’Art ancien du Palais Barberini.

 

On monte au Janicule par une large avenue toute en virages. D’abord dénommée via delle Fornaci (rue des fours) en raison de la présence de l'ancienne usine de tabac construite par Benoît XIV en 1744, la rue gagna le nom de Garibaldi en souvenir des combats glorieux qu’y conduisit le héros, en 1849, pour défendre la jeune République Romaine contre les troupes françaises venues rendre au pape son pouvoir temporel.

 

Le n°88 de la via Garibaldi accueille un palais construit au XVIIIe siècle pour la famille noble Vitelleschi, puis acheté en 1792 par Pie VI Braschi (1775 / 1799) pour y installer la Maison de Charité fondée en 1788 dont il était le protecteur. Il y fut installé, jusqu’en 1870, un atelier de tissage de la soie pour des jeunes filles abandonnées[1]. C’est dans ce bâtiment que vécut le poète et peintre espagnol Rafael Alberti, en exil à Rome de 1963 à 1977. Il avait l'habitude de se promener dans les rues du quartier, bien qu’ayant la plus grande crainte de la conduite automobile des Romains. Il prétendait que, pour marcher dans les ruelles du Trastevere, il fallait avoir suivi une formation de toréador pour apprendre à éviter les automobiles, en se plaquant contre les murs et en courant vite ! Selon lui, deux personnes avaient encore plus peur que lui : Pablo Neruda et Nicola Guillén !

 

« Je peux avouer que dans mon quartier bien-aimé, j'ai dû devenir torero, m'entraîner à me ceindre, à perdre du poids contre les murs, à sortir sur mes pieds, à courir aussi vite que devant un taureau, en voyant arriver ces exhalaisons interplanétaires, aveugles et sans avertissement, à travers des rues aussi étroites. et ruelles tortueuses. De là, en un peu plus d'un an d’une courageuse vie romaine, est né un livre, intitulé avec une précision astronomique : « Rome, danger pour les piétons ». J'espère maintenant qu'un jour, à une date anniversaire, la commune de la Ville éternelle apposera sur un vicolo, non loin de ma Via Garibaldi, une plaque qui dit : « Vicolo di Rafael Alberti (…)». Parce que je me suis installé ici, je suis devenu voisin de ce quartier pour le chanter humblement, gracieusement, évitant la Rome monumentale, n'aimant que l'anti-officiel, le plus anti-goethien qu'on puisse imaginer : la transtévérine Rome des artisans, des murs brisés, peints d'inscriptions politiques ou amoureuses, secrètes, statiques, nocturnes et, de façon inattendue, silencieuses et solitaires »[2].

 

Je n’ai pas vu de plaque, ni repéré dans la liste des rues de Rome, un « vicolo Rafael Alberti » et ce n’est pas, avec des maires berlusconien issus de la droite fasciste ou cinq étoiles, que l’on a une chance qu’il y en ait un, un jour !

 

 


[1] Conservatorio dell'Addolorata detto delle Pericolanti - Archivio storico - Inventario 1760-1872. 2015.

[2] Rafael Alberti. « La arboleda perdida 2 ».

Rafael Alberti. « Roma, peligro para caminantes ». 1968. Rome, danger pour les piétons. Non traduit en français.

 

 

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10 avril 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (8/20). Le palais et la collection Torlonia.

Un musée pour une collection privée et dissimulée

 

 

[1]  La dernière maison, à droite, avant la porte Settimiana, est le Palais Torlonia. La structure d'origine remonte au XVIIe siècle ; il s’agissait d’un entrepôt pour un moulin qui utilisait l'énergie motrice de l’eau de l’aqueduc de l'Acqua Paola chutant du Janicule. Le bâtiment a été acheté au XIXe siècle par la famille Torlonia, qui l'a rénové et l'a adapté pour être une résidence de famille [2]. Le bâtiment présente un aspect extérieur modeste, avec deux rangées de fenêtres à cadre simple, au-dessus d'un rez-de-chaussée de pierres en faible bossage. Au-dessus de l’entrée du n°5, entre le premier et le deuxième étage, sont placées les armoiries des Torlonia : plein rouge dans les Ier et 4è quartier, dans le 2è et 3è quartiers de bleu à la comète, à la bande d’argent avec six roses d’or traversant le tout.

 

Mais le Palais Torlonia recela dans ses caves la plus grande collection privée d’antiques au monde ! Giovanni Torlonia (1754 / 1829) est le petit-fils d’un modeste marchand de toiles du Forez, Antoine Tourlonias, et le fils de Marin Tourlonias (1725 / 1785) qui s’installa à Rome en 1750, où il italianisa son patronyme en Torlonia. Giovanni prospère dans le commerce du fil avant de s’intéresser à la banque. Il prête au pape qui le fera marquis, puis duc, mais aussi aux Bonaparte, aux riches familles romaines [3]. La famille Torlonia se fera notamment une spécialité de prêter de l’argent à des familles nobles ruinées en échange du dépôt d’œuvres d’art ce qui leur permettra de constituer progressivement une collection unique. Giovanni Torlonia achète, en 1800, une centaine d’antiques de la collection du sculpteur Bartolomeo Cavaceppi, puis ensuite 270 oeuvres d'une collection prestigieuse des sculptures antiques du marquis Vincenzo Giustiniani. En 1866, Alessandro Torlonia (1800 / 1886) acquiert l'ancienne villa Albani et la collection de sculptures grecques et romaines du cardinal Alessandro Albani. En 1875, Alessandro Torlonia édifie, dans le jardin du palais familial de la Via della Lungara, un musée pour la collection d’antiques, puis ouvre, en 1893, sa collection à des visiteurs choisis. Elle comprend 620 pièces, sculptures, bustes, sarcophages, bas-reliefs dont vingt statues d'Hercule, une trentaine de Vénus, une centaine d’empereurs romains et de membres de leurs familles, dont plusieurs chefs d’œuvre inestimables : la copie romaine d’Hestia déesse du feu et du foyer, un bas-relief représentant le port d’Ostie ou l’étrange (et très « moderne » !) buste de jeune fille trouvé dans la cité étrusque de Vulci (photo).

 

Dans les années 1960, le musée fut démantelé et transformé, illégalement, en un immeuble de 90 appartements de luxe. La collection a été stockée en vrac dans les caves du palais et dans trois salles du musée et n'a plus été exposée au public. Cette collection de plus de 600 marbres aurait pu dormir oubliée de tous sans les péripéties d’une succession Torlonia qui donnera lieu à son lot d’intrigues, d’actions de justice, de séquestres, de recours, voire de projets de loi sur la préservation de ce patrimoine national mais jamais votés[4]. En 2014, une fondation était créée dans l’objectif de réhabiliter et de montrer la collection d’antiques. Le 15 mars 2016, un accord a été signé entre le ministère des Biens et Activités culturels italien et la Fondation Torlonia qui devrait donner naissance à un nouveau musée. Mais rien n’est moins sûr ! S’il pourrait être installé dans le Palazzo Silvestri Rivaldi, via del Colosseo, celui-ci est en cours de restauration [5]. Érigé en 1540, il servit d’hébergement aux femmes pauvres au XVIIe siècle ; le jardin fut détruit et excavé avec la construction de la voie mussolinienne des forums impériaux puis, à la fin du XXe, le palais fut abandonné et occupé par des groupes d’artistes qui y installèrent des ateliers et y firent des expositions et des spectacles.

 

Une sélection de quatre-vingt-dix chefs-d'œuvre, représentatifs de la collection Torlonia, a été montrée au public, d’octobre 2020 à janvier 2022, dans le nouveau site d'exposition des Musées du Capitole, la Villa Caffarelli, dans l'aile Ouest du palais construite au-dessus du temple de Jupiter. La collection a ensuite été exposée à Milan (mai / septembre 2022) et le sera au musée du Louvre (juin / novembre 2024) dans les appartements d’été d’Anne d’Autriche et la salle dite d’Auguste.

 


[1] Fondazione Torlonia. Jeune fille de Vulci.

[2] Site de RomaSegreta. « Via della Lungara ».

[3] Henri Ponchon. « L’Incroyable Saga des Torlonia, des Monts du Forez aux Palais romains ». 2005.

[4] Etienne Dumont. « Les marbres "Torlonia" hantent les galeries d'Italia ». In « Bilan ». 19/06/2022.

[5] A la vitesse d’escargot à laquelle vont les travaux de restauration du palais Silvestri Rivaldi, il est impossible d’imaginer une date pour son ouverture (mars 2024).

 

 

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8 avril 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (7/20). La Farnesina.

La première Villa romaine - Rafaël et la Fornarina 

 

 

La via della Lungara longe, à gauche, un grand jardin, celui de la Villa Farnesina, construite de 1508 à 1511, par Baldassare Peruzzi pour le riche banquier siennois Agostino Chigi. Côté cour, c’est une construction simple, presque austère. Deux étages décorés de pilastres d’ordre toscan en très léger relief. Seule la corniche est décorée d’angelots et de grappes de fleurs et de fruits. Autrefois, semble-t-il, la façade était peinte et agrémentée de motifs floraux.

 

La Farnesina, qui à l'époque s'appelle simplement Villa Chigi, est la première villa suburbaine de Rome. La « villa » est une demeure aristocratique qui se développe en Toscane au XIVe siècle. Située à la campagne, elle n’est pas un palais où l’on vit en permanence, mais un lieu agréable de détente. Les villas s’enrichissent très vite de jardins, de vergers, de terrasses, de fontaines et de plans d’eau. A Rome, la Villa Chigi sera copiée (villas Madama 1525, Médicis 1564, Peretti (1581), Celimontana 1582, Aldobrandini 1602, Ludovisi (1622), Doria-Pamphili 1630, Borghese 1633, Sciarra 1643).

 

Côté jardin, le bâtiment de la Farnesina, en forme de U, abrite une loggia ouverte sur le jardin, la galerie de Psyché, dont le plafond a été peint par Raphaël en 1518 / 1519. La voûte est couverte de tapisseries peintes en trompe-l’œil et qui représentent le triomphe de Psyché dans l’Olympe, l’assemblée des Dieux et le mariage de Psyché et de Cupidon. Le tout orné de décors floraux qui prolongent dans la loggia les espèces florales du jardin.

 

Il se raconte que si Raphaël a dessiné la fresque, ce sont ses élèves qui l'ont peinte, Raffaellino del Colle, Giovan Francesco Penni, Giulio Romano et Giovanni da Udine… ce qui n’est pas rien quand même ! En effet, le maître serait tombé amoureux d’une jeune fille du voisinage, Margherita Luti, la belle « Fornarina » (la boulangère), avec laquelle il préférait aller se promener au long du Tibre, ce qui ne faisait pas avancer le travail ! Le pape Léon X Médicis (1513 / 1521) aurait alors suggéré de faire enlever la jeune fille pour permettre à l’artiste de se consacrer à son œuvre. Mais le résultat fut pire encore, Raphaël déprima et ne pouvait plus peindre du tout ! Il fallut se résoudre à lui rendre sa Margherita pour que le travail puisse se poursuivre !

 

« Vis à vis du palais (Farnèse) s’appuie au ponte Sisto la Farnesina où Raphael fait oublier Carrache ; elle élève son casin délicieux au milieu de ses bosquets qui viennent fleurir sur le Tibre. Là, le bien-aimé de la Fornarina venait se délasser du sublime Mystère de la Transfiguration par celui des Amours et des Noces de Psyché, chefs d’œuvre également immortels dont l’un lui montrait le Paradis et l’autre l’Élysée »[1].

 

Au premier étage, la salle des perspectives, peinte en 1510 par Baldassare Peruzzi, présente des vues extérieures comme si la salle était une loggia ouverte sur les paysages de la campagne romaine au début du XVIe siècle, parmi lesquelles une vue du Trastevere. Derrière, une chambre à coucher, décorée par un élève de Raphaël, le Sodoma, illustre l’épopée d’Alexandre le Grand notamment le mariage d’Alexandre et de Roxane, fille du Perse Oxyartès.

 

La Farnesina aura, à l’image de Rome, une vie mouvementée. A la mort du banquier Chigi, elle est abandonnée, son mobilier, ses tapisseries et tableaux dispersés. Lors du sac de Rome de 1527, elle sera occupée par la soldatesque luthérienne du très catholique Charles Quint, lansquenets qui y graveront des graffitis dans les fresques de Peruzzi. Rachetée par les Farnèse, d’où son nom, la villa passe ensuite dans les mains de toute une série de propriétaires qui l’entretiendront plus ou moins bien. Dans un état déplorable, elle sera finalement acquise par l’État italien, en 1927, pour y installer l’Académie Nationale des Lyncéens (Accademia nazionale dei Lincèi). L’Académie est la plus ancienne académie scientifique d'Europe, fondée en 1603, dans le but d'étudier la Nature et la réalité en s'affranchissant de la tradition dogmatique aristotélicienne.

 


[1] Casin ( francisation de casino) : maison de campagne.

Norvins, Charles Nodier, Alexandre Dumas. « Italie pittoresque, tableau historique et descriptif de l'Italie, du Piémont, de la Sardaigne, de la Sicile, de Malte et de la Corse ». 1836.

 

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6 avril 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (6/20). Le Jardin botanique (Orto botanico).

Un jardin botanique ancien mais aussi très récent ! 

 

 

Le jardin botanique de Rome est situé sur les pentes du Janicule, dans le parc du palais Corsini, résidence de la reine Christine de Suède de 1659 à 1689. Dans le jardin, elle fit planter de nombreuses essences, construire des terrasses et édifier des fontaines. L’établissement dépend aujourd’hui du Département de biologie environnementale de l'Université de Rome « La Sapienza ». Le jardin botanique de Rome a des origines anciennes et récentes tout à la fois : anciennes parce qu'un premier jardin botanique a été réalisé sous Innocent IV de Fieschi (1243 / 1251), récentes parce qu'il est établi sur le Janicule depuis 1883 seulement. 

 

En 1279, le pape Nicolas III Orsini (1277 / 1280) fait construire des murs autour du verger situé au Vatican, ordonnant d'y planter plusieurs arbres et un "simple jardin", à savoir un secteur réservé à la culture des plantes médicinales. Pendant la parenthèse d'Avignon ( 1305 / 1377), le jardin est abandonné jusqu'à ce que les papes, au début du XVI siècle, reviennent à Rome et s'y intéressent en lien avec l'enseignement de la médecine. Paul III Farnese (1534 / 1549) développe le jardin botanique du Vatican et installe des cultures provenant du nouveau monde dans son jardin du Palatin, les "Orti Farnesiani". Alexandre VII Chigi (1655 / 1667) décide d'allouer un nouvel espace sur la colline du Janicule pour la création du jardin botanique universitaire. Après plusieurs délocalisations, l'État italien a finalement acheté à Tommaso Corsini, en 1883, le palais Corsini alla Lungara afin d’y installer, dans le palais, la plus ancienne académie scientifique d’Europe, l'Accademia dei Lincei et, dans le parc, le jardin botanique universitaire[1].

 

Le jardin botanique couvre une superficie de 12 hectares au cœur de la ville, sur une partie de la zone archéologique occupée dans l'Antiquité par les thermes de Septime Sévère. Le parc comprend plus de 3 500 espèces végétales, disposées au long d’un parcours sur la colline du Janicule. Le réseau d’irrigation, les espaces consacrés aux plantes aquatiques et les fontaines du site sont alimentées par l’aqueduc de l’Acqua Paola.

 

Depuis l’entrée du jardin, située sur le largo Cristina di Svezia, une allée rectiligne bordée de palmiers (Chamaerops humilis, Phoenix canariensis, Washingtonia filifera et Butia) conduit à la fontaine des Tritons. A gauche, une allée se dirige vers la roseraie qui comprend des espèces qui fleurissaient dans les jardins baroques de Rome aux XVIIe et XVIIIe siècles, à la forêt de bambou puis au jardin japonais d’où l’on peut avoir une vue générale sur Rome. Le parcours se poursuit en traversant une zone de plantes persistantes, puis celle des conifères avec un Araucaria australien, un séquoia américain et quelques Taxodium distichum (cyprès chauve) de Floride. En contre-bas, sont situées des serres contenant des orchidées et des plantes tropicales mais aussi un laboratoire pour les botanistes. Le jardin botanique comprend également un jardin méditerranéen, un jardin des Simples, une vallée des fougères, des bassins de plantes aquatiques, un « jardin des parfums » pour les aveugles avec le nom des espèces végétales signalé en braille[2].

 

Le Jardin botanique de Rome a des fonctions didactiques, d’éducation environnementale et de recherche scientifique. Il organise des expositions, des cours, des conférences et des congrès et reçoit annuellement cent mille visiteurs[3]. L’activité en direction des écoles est importante avec environ 250 visites guidées par an. Le jardin est également un site de recherches spécialisées sur l’écologie du milieu urbain. Enfin, il participe au Réseau italien des banques de matériel génétique pour la conservation ex situ (RIBES) de la flore italienne spontanée. La Banque compte plus de 1 300 références réparties en 133 familles, 580 genres et 936 espèces. Les graines sont conservées sous vide, une partie à 4°C pour une utilisation de court terme, et une partie à -20°C pour un stockage de long terme. La banque de matériel génétique conduit des activités d'échange de semences avec les jardins botaniques en Italie et dans le monde.

 


[1] Gloria Ludovisi. « L’Orto Botanico a Roma ». Archivio Storico Capitolino. Municipio di Roma. Sd.

[2] Site du jardin botanique.

4 avril 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (5/20). La Galerie Corsini.

L'Académie des Lycéens et la Galerie Nationale d'Art Ancien

 

 

Le Palais Corsini alla Lungara a été bâti en 1511 pour la famille Riario, des neveux du Pape Sixte IV della Rovere (1474 / 1484). De 1659 à 1689, le palais fut habité par la reine Christine de Suède, laquelle y aurait tenu dans ses jardins les premières réunions de ce qui deviendra l'Académie d'Arcadie. En 1736, l'édifice et les jardins furent achetés par le cardinal florentin Neri Maria Corsini, neveu du Pape Clément XII Corsini (1730 / 1740). Il fit réaliser une restauration de l'édifice par l'architecte Ferdinando Fuga lequel travaillait alors à la construction du Palais du Quirinal. Ferdinando Fuga doubla la structure du palais et reprit la façade sur la via della Lungara. La façade du palais est simple, peu décorée sinon par son porche central, composé de trois arcades et surmonté d’un balcon. La façade arrière du bâtiment est plus dynamique avec trois avancées disposées en E, dont les trois bras sont reliés par une galerie ouverte au rez-de-chaussée. Dans la partie droite du bâtiment, une partie de l'ancien Palazzo Riario est encore visible. Le parc, fermé par des portes ornées de vases, occupait toute la colline du Janicule. Une grande partie de ce parc est désormais occupé par le jardin botanique de la ville de Rome.

 

En 1797, le palais accueille Joseph Bonaparte, ambassadeur du Directoire de la République Française auprès du pape Pie VI Braschi (1775 / 1799). Suite à des manifestations antifrançaises et à l’assassinat du général Duphot près du palais Corsini, la République Française envahit la ville et proclame une République Romaine supprimant ainsi le pouvoir temporel des papes. Ironie de l’histoire, ce qu’un Bonaparte défit (Napoléon Bonaparte), un autre Bonaparte (Louis-Napoléon) le défendit ! C’est dans la partie supérieure du jardin du palais Corsini qu’ont eu lieu, le 3 juin 1849, les plus terribles combats entre les troupes de la République Romaine et celles de la seconde République Française, présidée par Louis-Napoléon, dans l’objectif, cette fois, de rétablir le pape dans ses pouvoirs temporels contre la République Romaine !

 

En 1883, le prince Tommaso Corsini vend le palais à l’État italien et il devient le siège des bureaux et de la bibliothèque de l'Académie des Lyncéens, la plus ancienne académie scientifique d’Europe, et de la Galerie Nationale d'Art Ancien (Galleria Nazionale d'Arte Antica[1]). La collection de peintures du palais Corsini s’étend du XIVe au XVIIIe siècles. Elle est née de la donation, au XVIIIe siècle, de la collection du cardinal Neri Corsini, elle s'est ensuite enrichie avec de nouvelles donations, de la collection Torlonia, des œuvres du Monte di Pietà en 1892, d'Henriette Hertz en 1915, mais aussi avec l’achat par l’État italien de la collection Chigi en 1918. La Galerie Corsini regroupe également quelques sculptures des époques romaine et néoclassique, des bronzes et des meubles du XVIIIe. Enfin, de nombreuse peintures des XVIIe et XVIIIe siècles. La collection, présentée à l’ancienne, tous les tableaux côte à côte, sur plusieurs niveaux, mériterait un traitement similaire à celle du palais Barberini : ordonnée dans le temps et par grands courants artistiques, dans un espace plus vaste et plus aéré. On remarque néanmoins des Pierre Paul Rubens, Guido Reni, Annibale Carracci, Le Guerchin, Orazio Gentischi, Gaspard Dughet, de petits tableaux de Jacques Callot sur les « Misères et malheurs de la guerre » très mal mis en valeur… des bronzes et des bustes du Bernin…

 

La collection possède l’un des deux tableaux du Caravage peint, en 1604 voire 1605, sur le thème de saint Jean-Baptiste au désert. Jean est le cousin de Jésus ; il vit en ascète dans le désert de Judée, habillé d’un vêtement en poils de chameau, il mange des « sauterelles et du miel sauvage »[2]. Il pratique le baptême de repentir et c’est lui qui baptise Jésus dans le Jourdain. Ses attributs distinctifs sont la tunique en poils de chameau, la croix de roseau et l'agneau. Le jeune homme représenté est difficilement identifiable comme étant Jean le Baptiste car ses attributs habituels sont à peine suggérés (la tunique et la croix), voire absent (l’agneau). On y retrouve le goût du Caravage avec les oppositions de couleurs franches (le torse, le drapé) sur des fonds sombres, les compositions en diagonales, les représentations de jeunes hommes. Les radiographies du tableau ont mis en évidence les repentirs du peintre : un agneau situé à droite du tableau, mais qui a finalement été recouvert d’une peinture sombre. L’attribution de ce tableau au Caravage est contestée.

 


[1] Une autre partie de la collection de peinture est exposée au Palais Barberini.

[2] Évangile selon saint Matthieu. (III, 1 - 12).

2 avril 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (4/20). La via della Lungara et San Giacomo alla Lungara

Un mémorial funéraire du Bernin

 

 

Afin que les pèlerins venant du sud puissent rejoindre facilement la basilique Saint-Pierre, le pape Jules II della Rovere (1503 / 1515) fit ouvrir une nouvelle voie sur la rive droite du Tibre. Tracée en ligne droite à partir du pont Sisto et du port de Ripa, à l’extrémité sud de Rome, la rue rejoignait le Vatican. Son appellation était Sub Janiculensis (sous le Janicule), mais les pèlerins l’appelaient via Sancta (la voie sainte). A la Renaissance, la rue était très fréquentée et des familles nobles s'y établirent, les Riario (Villa Corsini) ou les Peruzzi (Villa della Farnesina). Compte-tenu de sa longueur, le nom de la rue est devenu della Lungara. Puis la voie a été scindée en plusieurs tronçons : via della Lungaretta du pont Sisto jusqu’à Santa Maria in Trastevere, puis via della Scala (de l’escalier) à la porte Settimiana, et enfin via della Lungara jusqu’au pont Mazzini.

 

Côté nord, San Giacomo alla Lungara est aussi appelée San Giacomo in Settimiano du fait de sa proximité avec la porte de Settimiana construite par Septime Sévère et incorporée par Aurélien dans les murs de la ville. L’église daterait du IXe siècle, mais les documents les plus anciens qui la mentionnent sont des bulles papales de 1198. Au XIIe siècle, la via della Lungara n'existait pas encore et l'église était certainement celle d’un hameau. Vers le milieu du XVIIe siècle, l’église fut considérablement restaurée par Luigi Arrigucci, grâce à la protection du cardinal Francesco Barberini, neveu du pape Urbain VIII, et de son avocat consistorial Ippolito Merenda. Elle est alors transformée d’un plan basilical à nef centrale avec des bas-côtés, à une seule nef avec un plafond à caissons. A la même époque, les religieuses édifient un couvent consacré aux prostituées désireuses de changer de vie. Le couvent était situé entre l'église et le Tibre et comprenait deux cloîtres à arcades. Le couvent des religieuses Augustines fut démoli en 1887 lors de la construction des digues, des quais et de la voie surélevée du Lungotevere. Si l’église et son clocher furent épargnés, ils se sont retrouvés enserrés dans les bâtiments conventuels construits à la fin du XIXe. Le clocher roman du XIIe siècle est le seul élément médiéval qui a survécu.

 

Le plan de l'église est d’une seule nef, couverte d’un gracieux plafond à caissons, avec deux autels latéraux et deux grandes statues dans deux niches latérales. Le sol a été refait en 1916, dans un style umbertien de tuiles en ciment. L’œuvre la plus remarquable de l’église, bien que très méconnue, est le mémorial funéraire d’Ippolito Merenda du Bernin. Réalisé entre 1636 et 1638, c’est une plaque en forme de drap plissé par le vent, soutenu par les deux mains et les dents d’un squelette ailé, et sur lequel est inscrite l’épitaphe (photo). A l’origine installé au monastère dei Convertite, il est de la même facture que le mémorial à Alessandro Valtrini conçu plus tard par Le Bernin, en 1639, et situé dans l'église de la San Lorenzo à Damaso à Rome. Les deux monuments représentent la Mort comme un squelette ailé, en mouvement, portant des inscriptions avec, dans le monument d’Alessandro Valtrini, un portrait de celui-ci dans un médaillon. Ce type de représentation de la Mort a été utilisé à plusieurs reprises par Le Bernin. Dans la mosaïque au sol de la chapelle Chigi à Santa Maria del Popolo (1652 / 1656), la mort semble émerger du sous-sol sur un fond noir en portant les armes des Chigi. Dans le monument funéraire d'Urbain VIII Barberini (1628 / 1647), à la basilique Saint-Pierre, la mort sort du tombeau pour écrire l’épitaphe. Dans celui d'Alexandre VII Chigi (1671 / 1678), la Mort soulève un drapé et tend un sablier pour rappeler que l’heure est venue !

 

Santa Maria delle Scalette (Sainte Marie du petit escalier, dénommée ainsi pour les deux volées de quelques marches menant à l'entrée de l'église) a été fondée en 1615 avec un couvent pour héberger les femmes de « mauvaise réputation qui voulaient se racheter ». En 1839, le complexe a été confiés aux Sœurs du Bon Pasteur puis il est devenu une prison en 1950. C'est aujourd'hui le siège de la Casa Internazionale delle Donne (Maison Internationale des Femmes). En 1987, le mouvement féministe romain, expulsé du Palazzo Nardini de la via del Governo Vecchio, a occupé l’ancien complexe du Bon Pasteur. L’association « valorise la politique des femmes, offre des services et des conseils », elle participe à « la lutte contre le sexisme et le racisme, institutionnel et populaire, à l'accueil et le soutien aux femmes en difficulté et/ou victimes ».

 

Liste des promenades dans Rome. et liste des articles sur le Janicule

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31 mars 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (3/20). Entre prison et ONG de solidarité internationale.

La prison Regina Coeli - Une ONG italienne de développement rural

 

 

La via Francesco di Salle qui se dirige vers le pied de la falaise du Janicule est une petite rue bien calme, bordée par la prison de Rome Regina Coeli (Marie Reine du Ciel) ! Cette appellation céleste est certainement une piètre consolation pour les quelques 1000 détenus qui y seraient incarcérés (pour 700 places), la plupart étrangers et qui attendent leur jugement. Compte-tenu des lenteurs de la justice italienne, lesquelles seraient pire encore que celles de la justice française (est-ce possible ?), les prisonniers seraient régulièrement envoyés vers d'autres centres de détention de la région ce qui ne permettrait pas un suivi correct de leurs dossiers. Je ne suis pas non plus très sûr que le fait de partager l’honneur d’une incarcération dans des locaux où fut détenu Antonio Gramsci leur soit d’un grand réconfort moral, ni plus ni moins que l’appellation de « Reine du Ciel ».

 

Une année,  un collègue du ministère des Affaires étrangères et moi avions rendez-vous avec des responsables d’ONG italiennes, spécialistes de la formation rurale dans les pays en développement, au siège de l’une d’entre elles, évidemment située dans une rue portant le nom d’un saint illustre ! Le bâtiment appartient à une institution religieuse située au pied du Janicule. Il y a là un petit jardin à l’abandon, protégé en été des rigueurs du soleil par la falaise, et quelques beaux arbres. Peut-être est-ce dans ce lieu que naquit le culte de la nymphe Furrina, une divinité des bois sacrés et des sources, déesse des eaux souterraines et patronne des puisatiers ? Un culte qui, à la naissance de Rome, se rendait quelque part au pied de la falaise ? [1] L’intérieur du bâtiment est moins bucolique mais ne nous surprend pas : cartons entassés dans les couloirs, affiches de manifestations et drapeaux arc-en-ciel des pacifistes italiens punaisés au mur. Il règne ici, comme en France, le même désordre serein d’une institution qui dispose de moyens modestes au service d’objectifs élevés de fraternité, d’entraide et de solidarité. L’accueil est de la même eau : simple, chaleureux, bien que peut-être un peu perplexe. C’est que nous représentons ici, tous les deux, une institution qui n’est pas nécessairement en « odeur de sainteté » chez les membres des ONG : l’État ! L’État national, centralisateur, en deux mots : l’État jacobin ! Certes, la méfiance est largement atténuée par le fait que nous sommes les représentants d’un État étranger avec lequel il n’existe pas, à notre connaissance, de relation conflictuelle. 

 

La conversation roulait tranquillement et agréablement entre informations réciproques sur nos activités et échange d’analyses, jusqu’au moment où « Monsieur l’Ambassadeur de France auprès de la FAO » contacte mon collègue sur son téléphone portable pour lui faire savoir qu’il est très mécontent que nous ne l’ayons pas informé de notre projet de rencontrer les services de la FAO ! Ce n’est pas pour nous un très grand honneur d’avoir Monsieur l’Ambassadeur au téléphone. En effet, cet ambassadeur-là est surtout connu pour avoir été moins à cheval sur les principes quand il faisait alliance avec le Front National, en 1998, afin de conserver la présidence de la Région Rhône-Alpes. Sans parler de sa curieuse conception de l’utilisation de l’argent public ; comme président de Région il s’était accordé le bénéfice d'un appartement de six pièces, dans un quartier chic de la ville pendant près de dix ans. Loyer, eau, gaz, électricité et téléphone étant pris en charge par les finances de la Région, à quoi vous pouvez encore ajouter, pour faire bonne mesure, que celles-ci, bonne fille, payait plus de 40 heures de ménage par semaine dans l'appartement au prétexte qu’il s'agissait de nettoyer le logement après les réceptions ! Tous frais que la justice le condamna à rembourser après dépôt d’une plainte par la nouvelle équipe du conseil régional [2]. Après tout cela, ce Monsieur peut bien s’offusquer que deux petits fonctionnaires français aient oublié de le prévenir qu’ils venaient brouter à la périphérie de ses plates-bandes ! Certes, c’est une erreur regrettable même si nous avons toutes les autorisations officielles de nos ministères respectifs. De là, à en faire un fromage en alertant les Directeurs généraux, ainsi que les cabinets des deux ministres concernés, c’est nous faire beaucoup d’honneur vu la modestie de nos objectifs ! Mais quelle idée aussi de nommer ce personnage comme ambassadeur de France auprès de la FAO quand celui-ci traîne de telles casseroles !

 


[1] De fait, le culte se serait situé un peu plus au Sud, dans les jardins de la Villa Sciarra.

Paul Gauckler. « Le bois sacré de la nymphe Furrina et le sanctuaire des Dieux syriens, au Janicule, à Rome ». In « Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres ». N°3. 1907.

[2] La Tribune. « Lyon : Charles Millon va devoir payer ». 05/03/2012.

 

Liste des promenades dans Rome. et liste des articles sur le Janicule

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29 mars 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (2/20). Le Pont Mazzini et les quais du Tibre.

Des inondations catstrophiques - Les quais du Tibre, symboles d'une nouvelle politique

 

 

Au pont Mazzini, il est possible de constater un phénomène étonnant : la rue qui se dirige vers le Janicule (via Francesco di Salle) est située plusieurs mètres en contrebas du boulevard qui longe le Tibre (Lungotevere). Cette curiosité est liée à la date de construction relativement récente des quais du Tibre et à la bataille picaresque qui présida à leur construction. Jusqu’à la fin du XIXe siècle le Tibre n’était pas canalisé. Les « Vues sur Rome » de Piranèse (1747) ou de Giuseppe Vasi (1754) montrent une grève en pente douce servant à décharger les marchandises des bateaux ou occupée par des maisons (photo des bords du Tibre dans le Trastevere en 1867). 

 

« Rien n’est maintenant plus semblable au cours d’eau tranquille de mes rêves, que le doux alanguissement du Tibre dans ses larges ondulations entre les rives herbeuses et les bâtisses à fleur d’eau » [1].

 

L’absence de quais, l’insalubrité dans la ville, l’importance des zones humides au long du cours du Tibre, l'insalubrité dans la ville, favorisaient l’expansion de la malaria dans la ville même de Rome. Par ailleurs, le Tibre est un fleuve méditerranéen, au débit très capricieux. Il suffit de fortes pluies sur le pourtour des montagnes qui enserrent Rome pour que le fleuve connaisse des crues brutales.

 

« Vers 1730, le gouvernement papal, je ne sais par quel hasard, avait un million à dépenser. Valait-il mieux faire la façade de Saint-Jean-de-Latran, ou un quai qui remontât le Tibre de la porte du Peuple au Pont Saint-Ange ?

La façade est ridicule : mais peu importe la question. Le pape se décida pour la façade ; et Rome attend encore un quai qui peut-être diminuerait la fièvre qui dévore ces quartiers depuis les premières chaleurs de mai jusqu’à la première pluie d’octobre. Croirez-vous qu’on m’a montré dans le Corso, près de Saint Charles Borromée, la maison au-delà de laquelle la fièvre ne passe jamais ? » [2].

 

A Noël 1870, le Tibre envahit tous les bas quartiers de la ville ancienne, notamment le Champ de Mars et le Trastevere. On circula en barque sur le Corso, la piazza Navone et les Prati (les prés, le quartier situé au Nord du château Sant'Angelo et du Vatican) devinrent une vaste plaine liquide ! Cette inondation dramatique donna l’occasion au roi d’Italie, Vittorio Emanuele II, de venir dans sa nouvelle capitale pour la première fois ! Car Rome, jusqu’en septembre 1870, c'est-à-dire au lendemain de la défaite française de Sedan face à la Prusse (1er septembre), avait été un territoire pontifical défendu par la France très catholique de Napoléon III, empêchant le roi d'Italie d'en faire sa capitale. La protection de Rome contre les inondations, avec la construction de quais le long du Tibre, deviendra dès lors un enjeu politique pour affirmer progressivement le pouvoir du nouvel État sur la ville capitale du Royaume d'Italie, à la fois contre les prétentions de la Papauté sur la ville, mais aussi contre la municipalité de Rome qui était encore tenue par les grandes familles de la noblesse catholique dite "noire", celle qui était étroitemeent liée à la papauté. En conséquence, ce seront les services techniques du nouvel État et non ceux de la ville, qui se verront confier les études sur la construction des digues et, une fois la prééminence de l’État affirmée sur le territoire des bords du fleuve, ce sera l’occasion de développer une planification urbaine autour du Tibre avec la construction de boulevards sur les quais et des ponts sur le fleuve. Tous ces nouveaux ponts se virent d’ailleurs attribués des noms de personnages ayant lutté pour l’unification italienne : Garibaldi, Mazzini, Vittorio-Emanuele, Cavour, Matteotti… ou Risorgimento (résurgence, renaissance) !

 

Des projets plus radicaux de canalisation du Tibre avaient même envisagés comme le creusement d’un nouveau lit pour le Tibre, au Nord, dans le quartier des Pratt, débouchant entre la basilique Saint-Pierre et le château Sant'Angelo[3]. Le projet fut finalement abandonné dans la mesure où la dérivation devait franchir une zone proche du Vatican, propriété des grandes familles catholiques et que le temps n'était plus à l’affrontement mais à la recherche de la conciliation [4] !

 


[1] Giorgio Vigola. « La Virgilia ». 1982.

[2] Stendhal. « Rome, Naples et Florence ». 1817.

[3] Carte de Giacomo Zucchelli. 1879.

[4] Denis Bocquet. « Moderniser la ville éternelle – Luttes institutionnelles, rivalités et contrôle du territoire : Rome 1870 – 1900 ». In « Histoire urbaine ». N°9. 2004.

 

27 mars 2024

Trastevere - Lungara et Janicule (1/20).

Pont Mazzini et quais du Tibre - Prison « Regina Coeli » - Via della Lungara et San Giacomo alla Lungara - Galerie Corsini - Jardin botanique (Orto botanico) - Farnesina - Palais et musée Torlonia - Porte Settimiana et via Garibaldi - Conservatorio Pio et Santa Maria delle siete dolore - Bosco Parrasio - "Complexe espagnol" - San Pietro in Montorio - Tempietto – Mausolée aux morts de 1849 et 1870 - Fontaine de l'Acqua Paola – Promenade du Janicule et piazza Garibaldi - Villa Lante - Chêne du Tasse

 

 

La promenade du Janicule est une agréable randonnée, dont une partie se déroule dans des parcs et jardins, permettant de magnifiques vues sur Rome car la colline culmine bravement à 85 mètres au-dessus des eaux du fleuve (altitude de 146 mètres). Le Janicule (« Ianiculum » en latin et « Gianicolo » en italien) est situé au sud du Borgo et de la basilique Saint-Pierre. Il est considéré comme la « huitième » colline de Rome car il n’était pas inclus dans la première enceinte antique. Situé sur la rive droite du Tibre, en territoire d'origine étrusque, il aurait été occupé initialement par des colons juifs et syriens (la découverte d’un sanctuaire et d’une statuette d’origine syrienne semble d’ailleurs toujours être une énigme pour les historiens), devenant ainsi le « Transtiberim », « l’autre côté du Tibre », devenu aujourd’hui le quartier du Trastevere. Il ne fut complètement incorporé à la ville de Rome qu'en 1642, sous le pape Urbain VIII Barberini (1623 / 1644) avec la construction d’une enceinte fortifiée englobant le Vatican, le Janicule et les quartiers bas du Trastevere.

 

La colline n’en a pas moins connu des moments historiques importants. C’est un des lieux où la tradition situe la crucifixion de saint Pierre, c’est aussi l’endroit par lequel les troupes françaises de la seconde République, dont le président était Louis-Napoléon Bonaparte, entrèrent dans Rome en 1849 pour mater la République romaine de Mazzini et réinstaller sur son trône le pape Pie IX Ferretti (1846 / 1878). Enfin, le Janicule possède des monuments du plus grand intérêt comme l’église San Pietro in Montorio, le Tempietto de Bramante, ou la fontaine de l’Acqua Paola.

 

Liste des promenades dans Rome. et liste des articles sur le Janicule

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25 mars 2024

Portugal - Lisboa rime avec Pessoa (16/16). Liste des articles.

 

Portugal Fernando Pessoa par Almada Negreiros

 

Le poète et sa ville (1/16). Une présence affirmée dans Lisbonne

Le passant de Lisbonne (2/16). Un piéton, flottant et irréel, et ses doublures

Le guide touristique de Lisbonne d’un dénommé « Pessoa » (3/16). Un étrange guide touristique

Mais alors, qui en est l’auteur ? (4/16). Des hétéronymes ? Des homonymes ? Lui-même ?

La praça do Comércio et le Café-restaurante Martinho da Arcada (5/16). Une place rendue à la flânerie – Un café assidument fréquenté par Fernando Pessoa

La Baixa, un quartier en transition (6/16). Les lieux des emplois du poète – Un déplacement des lieux commerciaux et administratifs

La place du Rossio et le bureau de tabac Monaco (7/16). Le nœud de communication de la ville – Un bureau de tabac à la devanture modeste

La praça Dom João da Câmara et le café Martinho do Rossio (8/16). Une gare en centre-ville – Un café historique remplacé par une agence bancaire

Le Chiado et le largo do Carmo (9/16). De multiples déménagements dans la ville 

La rua Garrett et le café A Brasileira (10/16). Un lieu animé – Une statue très appréciée des touristes

Le largo São Carlos et la maison natale de Fernando Pessoa (11/16). Une place délicieuse

La rua Coelho da Rocha et la Casa Fernando Pessoa (12/16). Le dernier lieu d’habitation du poète – Devenu une maison vivante de la poésie

Le monastère des Hiéronymites et la tombe de Fernando Pessoa (13/16). A côté ou non des autres gloires portugaises ?

Lisbonne et Pessoa (14/16). Où Pessoa participe au mythe du renouveau du Portugal

Bibliographie (15/16). Guides, récits, romans et poésie.

Liste des articles (16/16).

 

Lisbonne, Montpellier, Senlis, 1997 / 2017

 

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24 mars 2024

Portugal - Lisboa rime avec Pessoa (15/16). Bibliographie.

 

Guides, récits, journaux, romans et poésie

 

Guides

Pessoa Fernando. « Lisbonne - Ce que le touriste doit voir ». 1925. Le plus étrange des guides touristiques, logique, technique, quantitatif, et dans lequel les Lisboètes sont absents !

Pessoa Fernando. « Lisbonne revisitée ». 2017. Anthologie de textes (bilingues) de Pessoa sur Lisbonne, dans ses romans, récits, poésies.

 

Récits

Berto Al, Araujo Matilde Rosa, Barreno Maria Isabel, Claudio Mario, Faria Almeida, Jorge Lidia, Judice Nuno, de Lemos Virgilio, de Melo Joao. « Lisbonne n’existe pas ». 1996. Neuf écrivains portugais, neuf histoires et neuf visions d’une Lisbonne dont on finit par douter de l’existence.

Pessoa Fernando / Search Alexander. « Un dîner très original – La porte ». 2011. Contes mystérieux et macabres proposés par un des premiers hétéronymes de Pessoa.

Pires José Cardoso. « Lisbonne - livre de bord - Voix, regards, ressouvenances ». 1997. Promenades dans les quartiers de la ville et les souvenirs d’un Lisboète.

Sarner Eric, Prado Michelanxo. « Une lettre trouvée à Lisbonne ». 1995. Très courts récits avec des illustrations d’aquarelles.

 

Journal

Pessoa Fernando. « Un singulier regard ». 2003. Choix de textes et correspondances de Pessoa permettant de composer un autoportrait de l’auteur.

Pessoa Fernando / Soarès Bernardo« Le livre de l’intranquillité ». 2004. Le journal attribué par Pessoa à Bernardo Suarès, un modeste employé de bureau, mêlant chroniques, méditations, observations, analyses critiques, poésie.

 

Romans

Saramago José. « L’année de la mort de Ricardo Reis ». 1984. Une fiction romanesque dont Ricardo Reis, un des hétéronymes de Fernando Pessoa, est le personnage central.

Tabucchi Antonio. « Les trois derniers jours de Fernando Pessoa. Un délire ». 1994. Les hétéronymes de Pessoa viennent l’accompagner dans son délire à la fin de sa vie.

 

Roman policier

Pessoa Fernando. « L’affaire Vargas ». 2012. Le docteur Quaresma enquête avec une logique implacable sur un meurtre lié au vol des plans d'un sous-marin. 

 

Poésie

Pessoa Fernando / de Campos Álvaro. « Tabacaria - Bureau de tabac ». 1928. « Je ne suis rien Jamais je ne serai rien. Je ne puis vouloir être rien »

Pessoa Fernando / de Campos Álvaro. « Poèmes ». 2001.

 

Liste des articles sur Lisbonne et Pessoa

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23 mars 2024

Portugal - Lisboa rime avec Pessoa (14/16). Lisbonne et Pessoa.

http://notesditinerance.canalblog.com/archives/40207368.htmlOù Pessoa participe au mythe du renouveau du Portugal

 

 

Comment expliquer le lien intime qui s’établit entre la ville et le poète ? Certes, la ville et les quartiers de Lisbonne ne sont pas absents des textes de Fernando Pessoa. Toutefois, s’il a même écrit en anglais un texte de visite de sa ville [1], la ville n’apparaît généralement que comme un décor à une expérience de l’esprit, à la description d’une sensation, d’une émotion. Il n’écrit pas sur la ville elle-même, un quartier, un monument, mais positionne ses expériences intérieures, ses pensées, dans le cadre d’une rue, d’une place ou d’un lieu familier, chambre ou bureau. 

 

« Collines escarpées de la ville ! Vastes architectures que les flancs abrupts retiennent et amplifient, étagement d’édifices diversement amoncelés, que la lumière entretisse d’ombres et de brûlures – vous n’êtes aujourd’hui, vous n’êtes moi que parce que je vous vois, vous êtes ce que vous ne serez plus demain, et je vous aime, voyageur penché sur le bastingage, comme un navire en mer croise un autre navire, laissant sur son passage des regrets inconnus » [2]

 

Le lien particulier qui s’établit désormais entre la ville et le poète peut aussi s’expliquer par l’image du poète méconnu de son vivant, de l’artiste incompris qui arpente sa ville et qui, après sa mort, est reconnu comme l’un des plus grands poètes du XXe siècle. Cette image de l’artiste est romantique, forte en sensations, bien intégrée et partagée dans l’imaginaire culturel occidental. Elle est d’autant plus forte qu’elle s’accompagne de la redécouverte récente de la ville car Lisbonne, dans les trois premiers quarts du XXe siècle, était elle-même une ville méconnue, écartée des grandes métropoles européennes, considérée comme en marge de la modernité, capitale d’un pays pauvre gouverné par un dictateur anachronique, embourbé dans ses guerres coloniales et victime d’une forte émigration. Lisbonne est soudain redécouverte dans son architecture, ses arts et son rôle dans la révolution littéraire des années 1910 / 1920, au moment où l’on découvre son poète.

 

Les images mythiques de Pessoa, comme de Lisbonne, s’intègrent alors dans la légende sébastianiste de la restauration de la grandeur du Portugal. Au XVIe siècle, le jeune roi Sébastien Ier (1554 / 1578) après l'expansion coloniale portugaise en Angola, au Mozambique, à Malacca et l'annexion de Macao, rêvait de croisade et de construction d’un empire en Afrique du Nord. Au cours d’une campagne militaire, le roi est tué lors de la bataille de Ksar el-Kébir, au Maroc, ainsi que près de la moitié de ses troupes, le reste, notamment une bonne partie de la noblesse portugaise, est prisonnière. L’absence de cadavre du roi est à l’origine d’une légende, celle du « roi caché » : vivant, retiré sur une île, Sébastien Ier reviendra un jour pour fonder un cinquième empire et restaurer la grandeur du Portugal. 

 

Minha loucura, outros que me a tomem
Com o que nela ia.
Sem a loucura que é o homem
Mais que a besta sadia,
Cadáver adiado que procria?

Cette mienne folie, que d’autres s’en emparent
Avec tout ce qu’elle drainait !
Sans la folie, l’homme qu’est-il
De plus que la robuste bête,
Cadavre ajourné qui procrée ? [3]

 

 

Le « sébastianisme » a traversé l’histoire du Portugal avec le mythe du retour de l’homme providentiel venant restaurer la grandeur du pays. Sébastien Ier, par exemple, est représenté en statue entre les deux portails en fer à cheval entrelacés des portes de la gare du Rossio. Fernando Pessoa a lui-même participé au développement du mythe du Cinquième Empire dans son ouvrage « Mensagem » en imaginant la réalisation à venir d’un empire de culture. Et de fait, avec la renommée que le poète a aujourd’hui atteint, il participe ainsi à l’international au renouveau et à la présence de la culture portugaise, comme de la ville de Lisbonne.

 


[1] Fernando Pessoa. « Lisbonne - Ce que le touriste doit voir ». 1925 ?

[2] Bernardo Soarès / Fernando Pessoa. « Le livre de l’intranquillité ». 2004.

[3] Fernando Pessoa. « Mensagem – Message - Don Sébastien, Roi du Portugal ».

 

Liste des articles sur Lisbonne et Pessoa

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22 mars 2024

Portugal - Lisboa rime avec Pessoa (13/16). Le monastère des Hiéronymites et la tombe de Fernando Pessoa.

A côté ou non des autres gloires portugaises ?

 

 

Pour se rendre au quartier de Belém (nom dérivé de Bethléem) et au monastère des Hiéronymites, on emprunte cette fois un tramway moderne, un super tramway climatisé, qui file le long du Tage et de ses docks aujourd’hui plus ou moins abandonnés. 

 

Le monastère est un haut lieu touristique, tout de blanc vêtu comme les innombrables mariés qui y viennent poser pour leur photo-souvenir laquelle trônera un temps sur leur buffet ou leur table de nuit avant de finir, pour plus de la moitié d’entre elles, dans un tiroir ou une poubelle. Le monastère est un imposant édifice de calcaire dont chaque millimètre carré a été sculpté et qui a été malheureusement un peu remanié au XIXe siècle en lui rajoutant quelques bâtiments, tours et coupole pour faire plus vrai et plus imposant. Walt Disney n’a rien inventé : « en rajouter » c’est une caractéristique des nouveaux riches et la grande bourgeoisie occidentale s’en est donnée à cœur-joie au tournant des années 1900. Le mauvais goût est la chose du monde la mieux partagée, pour s’en rendre compte il n’est qu’à feuilleter les magazines contemporains ou regarder les photos de l’empire Trump.

 

L'église du monastère est également une nécropole, elle contient les tombeaux de quatre rois du Portugal de la branche Beja de la Maison d'Aviz et de nombreux membres de leur famille. A l'entrée de l'église sont également disposés les tombeaux richement ornés de Vasco de Gama (1460 / 1524), navigateur qui donna au Portugal des comptoirs et colonies (Mozambique, Macao) et ouvrit la route des Indes et de l’Orient, et de Luís Vaz de Camões (1525 / 1580), poète auteur de l'épopée nationale des Lusiades.

 

En 1935, Fernando Pessoa avait été inhumé dans le cimetière de Prazeres, le cimetière des plaisirs [1] ! Mais, cinquante ans plus tard, avec la formidable renommée atteinte par ses écrits, ses restes ont été transférés au monastère des Hiéronymites dans l’aile Nord du cloître inférieur. C’est à la fois un immense honneur d’être inhumé dans cet écrin magnifique, mais en même temps c’est assez déchirant : Pessoa ne méritait-il pas d’être voisin de Luís Vaz de Camões, l’autre grand poète portugais ? Pourquoi est-il isolé dans le cloître alors que les autres gloires nationales sont inhumées dans l’église ? On dirait qu’il est mis au piquet dans un coin d’autant que sa stèle est un parallélépipède de granit dressé ! 

 

Mais, à contrario, pourquoi vouloir rapprocher la tombe de Pessoa de celles d’autres gloires nationales ? Le poète n’aimait pas particulièrement les familiarités, ni la proximité avec ses semblables lesquelles l’indisposaient. Pour le coup, il est servi et pour l’éternité. Enfin, l’éternité de la mémoire humaine laquelle est parfois bien courte.

 

« La présence d'une autre personne - même d'une seule - entrave aussitôt ma pensée et, tandis que pour un homme normal le contact avec autrui est un stimulant pour son expression et son discours, ce contact, chez moi, est un anti stimulant - si toutefois ce mot forgé de toutes pièces est jugé recevable par la langue. (…) Je répugne d'ailleurs à la seule idée de me voir contraint au contact avec d'autres gens. Une simple invitation à dîner avec un ami me cause une angoisse difficile à définir. L'idée d'une obligation sociale, quelle qu'elle soit - aller à un enterrement, traiter avec quelqu'un d'un problème du bureau, attendre à la gare une personne quelconque, connue ou inconnue -, cette seule idée me gâche les pensées de toute une journée (et parfois même de la veille), je dors mal, et la chose réelle, quand elle se produit, se révèle totalement insignifiante, ne justifie en rien mon appréhension, mais la même histoire se répète sans cesse, et je n'apprends jamais à apprendre » [2].

 


[1] Fernando Pessoa, dernières paroles : « I know not what tomorrow will bring » (je ne sais pas de quoi demain sera fait).

[2] Bernardo Soarès / Fernando Pessoa. « Le livre de l’intranquillité ». 2004.

 

Liste des articles sur Lisbonne et Pessoa

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