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Notes d'Itinérances
22 mars 2024

Portugal - Lisboa rime avec Pessoa (13/16). Le monastère des Hiéronymites et la tombe de Fernando Pessoa.

A côté ou non des autres gloires portugaises ?

 

 

Pour se rendre au quartier de Belém (nom dérivé de Bethléem) et au monastère des Hiéronymites, on emprunte cette fois un tramway moderne, un super tramway climatisé, qui file le long du Tage et de ses docks aujourd’hui plus ou moins abandonnés. 

 

Le monastère est un haut lieu touristique, tout de blanc vêtu comme les innombrables mariés qui y viennent poser pour leur photo-souvenir laquelle trônera un temps sur leur buffet ou leur table de nuit avant de finir, pour plus de la moitié d’entre elles, dans un tiroir ou une poubelle. Le monastère est un imposant édifice de calcaire dont chaque millimètre carré a été sculpté et qui a été malheureusement un peu remanié au XIXe siècle en lui rajoutant quelques bâtiments, tours et coupole pour faire plus vrai et plus imposant. Walt Disney n’a rien inventé : « en rajouter » c’est une caractéristique des nouveaux riches et la grande bourgeoisie occidentale s’en est donnée à cœur-joie au tournant des années 1900. Le mauvais goût est la chose du monde la mieux partagée, pour s’en rendre compte il n’est qu’à feuilleter les magazines contemporains ou regarder les photos de l’empire Trump.

 

L'église du monastère est également une nécropole, elle contient les tombeaux de quatre rois du Portugal de la branche Beja de la Maison d'Aviz et de nombreux membres de leur famille. A l'entrée de l'église sont également disposés les tombeaux richement ornés de Vasco de Gama (1460 / 1524), navigateur qui donna au Portugal des comptoirs et colonies (Mozambique, Macao) et ouvrit la route des Indes et de l’Orient, et de Luís Vaz de Camões (1525 / 1580), poète auteur de l'épopée nationale des Lusiades.

 

En 1935, Fernando Pessoa avait été inhumé dans le cimetière de Prazeres, le cimetière des plaisirs [1] ! Mais, cinquante ans plus tard, avec la formidable renommée atteinte par ses écrits, ses restes ont été transférés au monastère des Hiéronymites dans l’aile Nord du cloître inférieur. C’est à la fois un immense honneur d’être inhumé dans cet écrin magnifique, mais en même temps c’est assez déchirant : Pessoa ne méritait-il pas d’être voisin de Luís Vaz de Camões, l’autre grand poète portugais ? Pourquoi est-il isolé dans le cloître alors que les autres gloires nationales sont inhumées dans l’église ? On dirait qu’il est mis au piquet dans un coin d’autant que sa stèle est un parallélépipède de granit dressé ! 

 

Mais, à contrario, pourquoi vouloir rapprocher la tombe de Pessoa de celles d’autres gloires nationales ? Le poète n’aimait pas particulièrement les familiarités, ni la proximité avec ses semblables lesquelles l’indisposaient. Pour le coup, il est servi et pour l’éternité. Enfin, l’éternité de la mémoire humaine laquelle est parfois bien courte.

 

« La présence d'une autre personne - même d'une seule - entrave aussitôt ma pensée et, tandis que pour un homme normal le contact avec autrui est un stimulant pour son expression et son discours, ce contact, chez moi, est un anti stimulant - si toutefois ce mot forgé de toutes pièces est jugé recevable par la langue. (…) Je répugne d'ailleurs à la seule idée de me voir contraint au contact avec d'autres gens. Une simple invitation à dîner avec un ami me cause une angoisse difficile à définir. L'idée d'une obligation sociale, quelle qu'elle soit - aller à un enterrement, traiter avec quelqu'un d'un problème du bureau, attendre à la gare une personne quelconque, connue ou inconnue -, cette seule idée me gâche les pensées de toute une journée (et parfois même de la veille), je dors mal, et la chose réelle, quand elle se produit, se révèle totalement insignifiante, ne justifie en rien mon appréhension, mais la même histoire se répète sans cesse, et je n'apprends jamais à apprendre » [2].

 


[1] Fernando Pessoa, dernières paroles : « I know not what tomorrow will bring » (je ne sais pas de quoi demain sera fait).

[2] Bernardo Soarès / Fernando Pessoa. « Le livre de l’intranquillité ». 2004.

 

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