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Notes d'Itinérances
12 mars 2024

Portugal - Lisboa rime avec Pessoa (3/16). Le guide touristique de Lisbonne d’un dénommé Pessoa.

Un très étrange guide touristique

 

 

Les relations entre le poète et sa ville commencent étrangement pour nous. En 1992, de retour du Portugal, nous découvrons qu’un petit opuscule de 80 pages, traduit de l’anglais, dénommé « Lisbonne » [1] et attribué à un dénommé Fernando Pessoa, a été récemment édité. Qui se dissimule derrière ce nom d’auteur singulier lequel, en français, signifie « Personne » ?

 

L’ouvrage se présente comme une longue visite guidée de la ville, laquelle serait organisée par un ami, dans une langue simple, chaleureuse, mais au ton parfois professoral et au contenu un peu docte de la visite. Les bâtiments remarquables de la ville sont présentés au cours d’un circuit réalisé en automobile, selon un itinéraire logique qui permet de voir le maximum de monuments avec le minimum de déplacements. La visite est strictement centrée sur la présentation des monuments exceptionnels : églises, châteaux, musées, statues, ou ensembles urbanistiques, places, grandes allées, parcs, omettant complètement la vie économique, sociale et culturelle de la ville. Dans le Lisbonne qui est présentée là, on ne travaille pas, les habitants ne s’y rencontrent pas, exception faite chez « Maxim’s » ou au théâtre. Et, si le guide touristique note que le marché aux puces de « Santa Clara » est « pittoresque », encore fait-il surtout allusion aux objets plus qu’aux personnes, même s’il parle d’« étranges vendeurs ». Nous n’en saurons pas plus. Qu’ont-ils de si « étrange » ?

 

Dans ce petit ouvrage, les Lisboètes sont ignorés, ils n’existent tout simplement pas. On ne saura rien des usages dans la société lisboète, des habitudes alimentaires, des coutumes, des distractions, du mode de vie des Lisboètes, sauf pour les habitants du quartier de l’Alfama pour lesquels l’auteur concède, avec un rien de commisération : « ... des autochtones qui mènent là des vies pleines de bruit, de bavardages, de chansons, de pauvreté et de crasse ». Lisbonne est une vaste scène de théâtre, un jour de relâche, sur laquelle se déplace l’auteur, précisant ici les mensurations d’un décor, détaillant là l’ornementation d’une toile peinte ou, un peu plus loin, donnant la liste complète des objets présents sur le plateau.

 

Contrairement aux ouvrages touristiques habituels, tous les aspects pratiques concernant l’organisation matérielle du voyage sont également ignorés : climat, températures, moyens de déplacement, aperçu géographique et historique, conditions du change, heures d’ouverture des commerces et musées, hôtels recommandés et bonnes tables. On y apprend seulement que le voyageur logera certainement dans un des grands hôtels de la Place du Rossio et qu’il pourra dîner au Maxim’s. C’est un ouvrage destiné à de riches voyageurs dilettantes, d’origine britannique, qui ne se préoccupent pas des aspects matériels lesquels seront réglés par la domesticité ou les personnels des hôtels. Ce public-cible, en déplacement occasionnel, serait apparemment peu préoccupé des évolutions historiques récentes du pays mais désirerait avoir, le plus rapidement possible, une vue des principaux monuments de la capitale de ce petit pays.

 

A contrario, l’auteur s’efforce donc d’éviter tout aspect « exotique » ! Si le Portugal est un pays de taille modeste, au travers son texte l’auteur veut manifestement montrer que Lisbonne est la capitale d’un pays développé avec hôtels et musées et non une République bananière d’Amérique latine, d’où cette présentation appuyée des grands monuments récents, cette insistance à souligner le pavage des rues ou la modernité des installations. Il faut bien constater que les écrits de ce Pessoa-là ressemblent fort peu à ceux du grand poète portugais homonyme, Fernando António Nogueira Pessoa !

 

Não sou nada. 
Nunca serei nada. 
Não posso querer ser nada. 
À parte isso, tenho em mim todos os sonhos do mundo

Je ne suis rien
Je ne serai jamais rien
Je ne peux vouloir être rien
A part ça, j’ai en moi tous les rêves du monde [2]

 

 

[1] Fernando Pessoa. « Lisbon : What the Tourist Should See ». 1992.

[2] Fernando Pessoa / Álvaro de Campos. « Tabacaria - Bureau de tabac ». 1928.

 

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