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Notes d'Itinérances
4 décembre 2023

Viêt-Nam - 1995 / 2023 (14/27). Hué, tombes royales et rivière des parfums.

Tombes royales, pagode « de la Vieille dame céleste » et hommage au moine Thich Quang Duc

 

 

« Les tombes royales d’Asie ne sont pas les tristes amas de pierre qu’on voit sous nos climats » [1].

 

Les empereurs de la dynastie des Nguyen firent ériger leurs tombeaux au Sud de Hué, de part et d’autre de la rivière des parfums. Ils les faisaient construire de leur vivant, apportant la plus grande attention à leur architecture et au déroulement des travaux, à l’image des empereurs chinois.

 

Le mausolée de Tu-Duc fait plus penser à une résidence champêtre qu’à un tombeau. Un mur d’enceinte entoure un vaste jardin dont chaque élément a été pensé, voulu par l’empereur. Plus de trois mille ouvriers y travaillèrent créant des collines, creusant un petit lac, plantant les essences choisies, construisant ponts, pavillons et temples, afin que l’ensemble crée une harmonie dans une proportion équilibrée des différents éléments. L’empereur, dit-on, venait composer des poèmes dans un adorable pavillon de bois, sur pilotis, dont la terrasse domine le petit lac couvert de fleurs de lotus. 

 

Derrière ce décor délicat et mélancolique, le tombeau proprement dit. Il s’ouvre par un arc aux toits relevés, débouchant sur une cour gardée par des statues d’éléphants, de chevaux et de mandarins. Derrière, le pavillon de la stèle abrite une pierre de 20 tonnes sur laquelle sont écrits les hauts faits du régime, Tu-Duc en ayant rédigé lui-même le texte en pensant certainement que l’on n’était jamais si bien servi que par soi-même.

 

Par contre, le dernier tombeau des Nguyen est un chef-d’œuvre kitsch dans son genre. Ici, pas de douces ondulations des collines, de nostalgique petit lac, de frais ombrages ; non, un immense escalier à flanc de coteau qui écrase de son autorité et sa suffisance. A croire que moins les empereurs avaient de pouvoir et plus ils voulaient en imposer après leur disparition. Là plus de pagodon de bois, mais un cénotaphe de béton, plus de statues de pierre, mais de ciment, plus d’incrustation de porcelaine, mais des tessons de verre. Et avec le climat tropical, rampes d’escaliers, statues, ornementations, portiques, se délitent montrant aux regards indiscrets leurs squelettes de ferraille. Le temple est une massive construction de béton, au style composite, à la fois Versailles, gare de Lyon et pagode. A l’intérieur, c’est le même mauvais goût qui domine, peintures criardes et statue dorée, grandeur nature, du défunt. Et pour faire bonne mesure, derrière les bouddhas, de petites guirlandes électriques clignotent. Cela n’a effectivement plus rien à voir avec les tristes amas de pierre de nos climats !

 

Remontée de la rivière des parfums vers la pagode « de la vieille dame céleste », la rivière des Parfums, bien nommée car entourée de plantes médicinales sur ses berges. Des sampans sont arrêtés dans le cours du fleuve, l’eau à la limite des bas-bords. Des hommes plongent et remontent, dans de petits paniers, le sable du lit de la rivière que leurs femmes entassent sur le pont du bateau. Puis, le bateau chargé, ils redescendront le fleuve vers Hué pour y vendre le sable pour la construction. La tour octogonale, à sept étages, du stupa « de la vieille dame céleste » domine la rivière (photo). Derrière la tour, la pagode Thiên Mu, ensemble de bâtiments simples et sans grâce. 

 

Et là, sous un auvent, une vieille voiture bleue, style années cinquante, est sagement rangée et son modernisme, même rétro, choque au milieu de ces lieux de prière et de recueillement. Mais c’est la voiture qui conduisait le moine Thich Quang Duc à Saigon, le 11 juin 1963. Autre image de la mémoire : un bonze, assis au milieu d’un carrefour de la ville, et s’immolant par le feu pour protester contre la politique antibouddhique du Président sud-vietnamien Ngô Đình Diệm, catholique [2]. En arrière-plan de la photo, on aperçoit bien la voiture avec laquelle il est venu de Hué pour se sacrifier dans un carrefour fréquenté de Saigon. Aujourd’hui, la voiture rouille doucement, les pneus s’affaissent, un essaim de guêpes s’est installé sous le capot du moteur, donnant lieu à de nombreuses allées et venues des ouvrières au travers de la calandre du véhicule.

 


[1] Roland Dorgelès. « Sur la route mandarine ». 1925.

[2] 2023. D'autres moines, nonnes et laïcs vietnamiens s'immoleront également. Les excès de la politique antibouddhique, la multiplication des manifestations et l’isolement du gouvernement conduiront les États-Unis à soutenir un coup d'État pour renverser Diệm lequel sera assassiné le 2 novembre 1963. 

 

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