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Notes d'Itinérances
23 février 2014

Laos de Vientiane à Luang-Prabang (7/17). Au Laos, bouddhisme et animisme.

Le culte des Phi - Autels et offrandes

 

 

Le bouddhisme laotien apparaît fortement teinté d’animisme, notamment du culte des Phi, à savoir les esprits, les génies, que le culte à Bouddha n’avait jamais totalement éradiqué et ce, malgré un édit de 1527 du roi Pothisarath. Il proscrivit le culte des Phi et ordonna la destruction de tous les sanctuaires qui leurs étaient dédiés, y compris le plus populaire d’entre eux, celui du génie tutélaire de la capitale à l’emplacement duquel il fit construire une pagode ! Le culte des Phi est commun aux Thaïs, Cambodgiens, Vietnamiens et Birmans. Dans ces croyances anciennes, l’âme quitte le corps au moment de la mort, mais elle reste en relation avec le domaine des vivants, avant de se réincarner. Dans ce cycle de transmigration, il importe d’accomplir des rituels et des offrandes pour garantir à ses ancêtres une amélioration de leur existence [1]. Mais outre les âmes des défunts, les Phi peuvent être des génies tutélaires d’un village, des divinités de la nature, des génies protecteurs d’une famille… Mais les Phi peuvent aussi être malfaisants, fantômes, diables, démons, âmes errantes de personnes mortes de façon violente, sorciers mangeurs d’âmes.

 

Dans tous les cas, il convient d’honorer ces génies pour obtenir leurs faveurs ou neutraliser l’action des esprits malveillants. C’est pourquoi sont dressés des autels devant les maisons, les pagodes, dans les jardins, devant de grands et vieux arbres et sur lesquels les Laotiens font des offrandes. Les Phi sont particulièrement évoqués dans les cas de maladie, celle-ci n’étant pas considérée comme « naturelle », mais comme le résultat de l’action de génies plus ou moins malfaisants ou mécontents.

 

« Avant de s’en aller, Kham ne manquait jamais de prévenir les ph’i afin de s’assurer leur protection. Il prit l’assiette contenant la poule bouillie, une bouteille d’alcool de riz et des fleurs rouges du Mékong qu’il disposa dans un cornet de feuilles de bananier et il se rendit à la maison des ph’i des ancêtres » [2].

 

Les offrandes peuvent être faites à des moments réguliers, au début ou à la fin d’activités agricoles, au nouvel an, au quinzième jour de la lune croissante ou décroissante, ou à des moments particuliers, voyage, chasse, maladie, perturbations climatiques. Le problème bien sûr est celui la régularité et de l’ampleur des offrandes à faire aux Phi (sacrifice de buffles, viande de porc, de poulet, riz et alcool de riz…), lesquelles grèvent les moyens de subsistance des ménages, mais aussi des offrandes à faire aux intermédiaires susceptibles d’intervenir auprès des Phi, le Chao Cham, maître du rituel, les devins ou médiums qui interprètent les manifestations des génies.

 

Bien sûr, l’étranger passe à côté de cette vie grouillante d’esprits, génies, fantômes, démons, spectres et revenants. Il n’en voit généralement rien si ce n’est, par hasard, un autel devant un très gros arbre au fond de la forêt ou, parfois, des pratiques curieuses.

 

« La route est asphaltée. De nombreux bouquets de fleurs sont disposés de place en place le long de la pente sur le bord de la route en mémoire des morts accidentés. La femme ouvre un paquet de biscuits (…). Cependant, à ma grande surprise, la femme ne mange et n’offre aucun biscuit aux voyageurs. Elle ouvre la fenêtre et les jette, les uns après les autres, dans les fourrés qui bordent la route (…). Elle explique aux autres voyageurs que de nombreuses personnes sont mortes dans des accidents sur ce tronçon récemment goudronné. A Xaïgnabouly, tout le monde en a déduit que les travaux de rénovation avaient dérangé les esprits qui hantaient la zone. Il faut donc les amadouer en leur faisant de offrandes, pour éviter les risques d’accident » [3].

 

Mais l’étranger est déjà bien trop occupé de ses propres démons qu’il trimballe avec lui jusqu’au bout du monde pour ne pas, en plus, devoir s’occuper des génies et démons locaux !

 


[1] Voir Georges Condominas, « Notes sur le bouddhisme populaire en milieu rural lao », Persee, 1968, n°25, Marcel Zago, « Rites et cérémonies en milieu bouddhiste lao », Univesita Gregoriana, 1972.

[2] Vanthyka et Michel Cavour. « Le vent du troisième mois ». 1979.

[3] Fabrice Mignot. « Histoires de femmes et décalages culturels au Laos ». 2006.

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