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Notes d'Itinérances
25 avril 2022

Borgo - Au pied du Vatican (4/16). Grandeur fasciste et mépris des œuvres d’art du passé.

Les accords de Latran et la démolition de la Spina di Borgo

 

 

Quand les troupes du Roi d’Italie, Vittorio-Emanuele II, pénètrent dans Rome, le 20 septembre 1870, le pape Pie IX Feretti (1846 / 1878) quitte son palais du Quirinal (dont le personnel ferme toutes les portes et emmène les clefs !) et se réfugie au Vatican. Il refuse de reconnaître Rome comme capitale du nouvel État et adjure les Romains de ne pas collaborer avec son gouvernement. Celui-ci doit donc conquérir sa capitale contre le pape dont la puissance est illustrée par la coupole de la basilique Saint-Pierre qui domine Rome, les papes ayant défendu la construction d'édifices de plus de cinq étages pour marquer leur prééminence sur la ville.

 

La guéguerre entre le nouvel État Italien et le Vatican se termine en février 1929 avec les accords signés au palais du Latran par Mussolini, représentant l’État italien, et le secrétaire d’État du pape. Le pape admet, enfin, qu’il n’est plus une puissance séculière et que son État se limite désormais à la cité du Vatican. En échange, le catholicisme est reconnu comme religion d’État en Italie. Du même coup, cet accord ressuscite une idée ancienne : la création d'une grande artère reliant le Vatican au centre de Rome. Le gouvernement fasciste décide d’ouvrir la via della Conciliazione, une voie monumentale symbolisant la nouvelle entente entre les pouvoirs temporels et spirituels [1]. Le choix est fait de démolir tous les bâtiments situés entre les deux rues parallèles allant du château Saint-Ange à la basilique Saint-Pierre, les Borgi Vecchio et Nuovo, que les Romains appelaient « la spina di Borgo » (l'épine du Borgo, en référence au muret qui délimitait la piste au centre des cirques romains).

 

Plusieurs plans avaient été établis pour relier Saint-Pierre au centre de Rome. Alberti avait proposé un plan en V ouvert sur la basilique. Le Bernin avait prévu de démolir un carré d'environ 100 mètres, en face de la place Saint-Pierre, fermant l'espace avec une troisième colonnade (ou « Terzo braccio ») pour faire correspondre les deux colonnades déjà réalisées. Cela devait permettre aux pèlerins de déboucher sur la place, en passant des rues médiévales, étroites et sombres, à un large espace ouvert, lumineux, symétrique. Mais le pouvoir papal avait reculé devant le coût estimé des indemnisations. Napoléon Ier l’avait également envisagé mais n’eut pas le temps de le réaliser. La démolition de la spina di Borgo est lancée symboliquement le 29 octobre 1936 avec un coup de pioche magistral et dictatorial contre le premier bâtiment par « l’Émir à plumet », la « Ganache en Chef », le « Dindon fanatique », le « Picrochole à plumeau », la « Tête de Mort en houppette » [2], lequel avait enfilé pour l’occasion l'uniforme de capitaine général de la milice. Coup de pioche soigneusement relayé dans toute l’Italie par la propagande fasciste, Mussolini participant à recréer la « grandeur de la Rome d’Auguste ». Mais cette réalisation a entraîné la disparition d’un quartier médiéval et Renaissance, de 142 immeubles, les palais Convertendi (de Bramante et Baldassare Peruzzi), da Brescia, du Gouverneur, Alicorni, Accoramboni (de Carlo Maderno) et l'église de Saint-Jacques de Scossacavalli. Les façades des bâtiments qui bordent cette nouvelle artère ne correspondant pas toujours à l’alignement voulu, de nouvelles façades ont été érigées en intégrant parfois des éléments des anciens palais ! Le coût de l’opération devait être couvert par un partenariat public / privé (tiens, déjà !), avec une enveloppe moyenne de 50 lires d’indemnisation par habitant [3]. Quant au relogement des habitants, il semble qu’il n’était tout simplement pas assuré.

 

Pour accroître les effets de perspective et rappeler l’obélisque de la Place Saint-Pierre, une double rangée de lampadaires en forme d’obélisque était prévue. Cette idée, assez ridicule (des obélisques-lampadaires !), n’a toutefois été réalisée qu’en 1950 pour le Jubilé. Ces obélisques-lampadaires (également équipés de sièges pour les pèlerins fatigués ?) ont été immédiatement rebaptisés par les Romains de « suppositoires de Mussolini » ! Et il est vrai qu’ils passent mal !

 


[1] Fabien Mazenod. « Rénovation urbaine de la Rome fasciste, gouvernance et enjeux patrimoniaux ». In Revue d’Économie Régionale & Urbaine. 2014.

[2] Surnoms donnés par Carlo Emilio Gadda à Mussolini dans son roman « L’affreux pastis de la rue des Merles ». 1963.

[3] Fabien Mazenod. « Patrimoine et marché immobilier : la rénovation urbaine à Rome pendant le fascisme ». 2013.

 

Liste des promenades dans Rome et liste des promenades dans le rione de Borgo.

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