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Notes d'Itinérances
22 août 2022

Chroniques tunisiennes 1975 / 2023 (22/69). La palmeraie de la STIL.

Palmeraie « moderne » et palmeraie paysanne – Un lieu où vécurent Edgar et Lucie Faure

 

 

La Société Tunisienne d’Industries Laitières, la STIL [1], possède de grandes palmeraies dans le Sud tunisien. Mais quel est le lien entre industrie laitière et production de dattes ? Mystère.

 

Contrairement aux palmeraies des petits paysans, il s’agit là de grandes palmeraies domaniales pour l’exportation des dattes. Les palmiers sont plantés très régulièrement en ligne. Ce sont des pieds femelles, car le palmier est une plante dioïque, c’est à dire que pieds mâles et femelles sont séparés. Les pieds femelles, porteurs des régimes de dattes, constituent l’essentiel de la plantation. Pour assurer la fécondation effectuée naturellement par le vent, des pieds mâles sont disposés en pourtour de la palmeraie. Toutefois, l’homme peut aider à la fécondation en récupérant les faisceaux d’étamines mâles et en les secouant au-dessus des fleurs femelles. 

 

La particularité de la reproduction du palmier permet aux vieux tunisiens de comparer homme et palmier. Comme pour l’homme, les sexes sont séparés ; comme pour l’homme, un mâle peut féconder de nombreuses femelles disent-ils !

 

Les palmeraies des petits paysans sont moins régulières, plus complexes mais pas moins ordonnées. C’est un apparent fouillis pour l’observateur extérieur, mais ce fouillis est d’une grande rationalité. L’ordre n’y est pas géométrique et pérenne au service de la simplification et de la mécanisation, mais adapté et évolutif en fonction des spécificités du terrain et des besoins familiaux. Ces palmeraies comprennent généralement trois niveaux de production quand la grande palmeraie n’en comprend qu’un. Protégés par les palmes du niveau le plus élevé, des arbustes à développement moyen, bananiers, figuiers et amandiers sont plantés entre les palmiers ; ils assurent des revenus complémentaires ou participent à la consommation alimentaire des familles. Puis, sous ce niveau intermédiaire, peuvent être cultivés, au sol, des plantes fourragères lesquelles permettent de nourrir des troupeaux de bovins, de moutons et des ânes. 

 

Au cours de notre étude des établissements d’enseignement agricole nous sommes hébergés dans une magnifique maison au milieu d’une des palmeraies de la STIL. C’est une vaste demeure traditionnelle, carrée et blanchie à la chaux, toute en rez-de-chaussée, les murs extérieurs percés de rares et étroites ouvertures sont surmontés de petits créneaux. Seule ouverture, l’entrée précédée d’un porche à trois arches outrepassées. L’intérieur est composé de vastes pièces blanches entourant un jardinet où glougloute une fontaine. Le salon est meublé de divans bas recouverts de couvertures berbères.

 

Ici a séjourné Edgar Faure [2] et sa femme, la romancière Lucie Faure. Le gardien nous affirme que Lucie Faure y a écrit l’un de ses romans sans pouvoir nous préciser lequel. Edgar Faure, lui, a participé à l’accession à l’Indépendance de la Tunisie. Il est notamment l’inventeur de la formule « L’indépendance de la Tunisie dans l’interdépendance ». Formule remarquable s’il en fut, s’efforçant par un jeu de mot brillant de marier la carpe et le lapin, l’eau et le feu, de faire plaisir aux colons comme aux nationalistes tunisiens. La formule est bien à l’image d’un Edgar Faure évitant les oppositions, les contradictions, cherchant les accommodements, la conciliation, mais elle était assurément plus facile à dire qu’à réaliser ; la suite de l’histoire devait suffisamment le démontrer.

 

Si la demeure avait connu son heure de gloire avec l’accueil du couple Faure, elle possédait quelques aspects étonnants pour ses éléments les plus triviaux. Elle avait été construite à une époque où les « commodités modernes » n’étaient pas encore connues ou très répandues, aussi avait-il fallu ajouter par la suite et tant bien que mal salles d’eau et cabinets de toilette. Le plus curieux était alors la place qui avait été assignée à une des cuvettes de toilettes : au milieu d’une des chambres !

 


[1] Suite à l’ouverture à la concurrence du marché laitier en Tunisie, au début des années 1990, la STIL a été liquidée en 2005 et ses actifs privatisés (note de 2018).

[2] Edgard Faure (1908 / 1988) fut président du Conseil, puis ministre du Général de Gaulle notamment de l’Éducation Nationale après 1968.

 

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