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Notes d'Itinérances
21 août 2022

Chroniques tunisiennes 1975 / 2023 (21/69). Mariage et statut de la femme.

Une idole énigmatique – Un Code du statut personnel progressiste

 

 

« C’est la reine du jour, c’est la reine d’un jour. A peine est-elle arrivée dans la maison de son époux qu’on l’installe cérémonieusement sur un siège d’apparat. Elle y trône, dans le riche costume brodé d’or et d’argent, couverte de bijoux (la plupart empruntés) comme une idole magnifique. Des heures durant, elle restera offerte à l’admiration des invités, les yeux baissés, les mains sur les genoux » [1].

 

Invités par des amis, nous avons eu plusieurs fois l’occasion d’assister à des mariages en Tunisie. Il faut dire que chacun semble pouvoir s’y faire inviter sans problème, voire simplement s’inviter lui-même, avec amis et connaissances selon le principe « les amis de mes amis sont mes amis ». Il est vrai également qu’à chaque fois il s’agissait de mariages célébrés dans des couches aisées de la population tunisienne, famille d’avocats tunisois ou de propriétaires de grands hôtels à Sousse et Monastir, et que les invités y sont forts nombreux, plusieurs centaines de personnes.

 

A Sousse, tout l’hôtel est réservé pour la célébration du mariage du fils du propriétaire et, dans la grande salle du restaurant, les mariés sont assis bien sagement, côte à côte, sur une estrade. Si le marié est habillé d’un costume classique blanc, chemise blanche, cravate blanche et pochette blanche, la mariée, jeune et jolie, est habillée d’un lourd vêtement cousu de paillettes argentées, composé d’un pantalon bouffant, d’un corsage et d’un petit boléro. Elle ne bouge pas, conserve un maintien réservé et ne lève pas les yeux.

 

En face de l’estrade sont alignées des dizaines de chaises en plusieurs rangées où chacun peut venir s’asseoir pour contempler les mariés. Familles et amis sont assis sur les chaises ou discutent sur les côtés ou dans les salons voisins par petits groupes. Un orchestre traditionnel composé d’un oud tunisien, d’un rebec à deux cordes, d’un târ et d’une darbouka, joue toute la soirée. Entre estrade et rangées de chaises, hommes et femmes viennent danser en se déhanchant. Les femmes qui dansent sont, soit des femmes d’âge mûr, mères de famille, soit des jeunes filles. Des jeunes filles à marier peut-être ?

 

Régulièrement des invités montent sur l’estrade pour venir féliciter le marié, mais en direction de la mariée, pas un mot, pas un sourire, pas une accolade. Elle est tout à la fois la Reine de la fête, car chacun vient l’admirer, mais elle est aussi ignorée, car personne ne lui adresse la parole ! Elle trône sur la fête comme une idole énigmatique.

 

Ce cérémonial traditionnel semble être en contradiction avec le fait que la Tunisie est connue pour avoir le Code du statut personnel le plus progressiste du monde arabe. Il a été promulgué le 13 août 1956 par le premier ministre Habib Bourguiba [2] et a pour objectif l’instauration de l’égalité entre hommes et femmes. Il instaure un âge minimum obligatoire au mariage, limité d’abord à 18 ans pour l’homme et à quinze ans pour la femme, majorés de deux ans pour les deux conjoints en 1964. La polygamie est interdite et chaque époux doit « traiter son conjoint avec bienveillance, vivre en bon rapport avec lui et éviter de lui porter préjudice », ce qui abolit de fait le devoir d’obéissance de l’épouse à l’égard de son mari. Un mari ne peut pas répudier sa femme et le divorce doit être prononcé par un tribunal soit par consentement mutuel des deux époux, soit à la demande de l’un des conjoints qui estime avoir subi un préjudice. Sans être une réforme de type laïc, car les règles du code s’inscrivent dans les grandes orientations du Coran, elles n’en déterminent pas moins des orientations en rupture avec certaines traditions ou interprétations du livre sacré.

 

Mais ce qui est tout aussi important c’est l’effort remarquable d’éducation et de formation des femmes qui est en cours dans la République tunisienne. Avec la scolarisation obligatoire pour les filles comme pour les garçons, le taux d’analphabétisme des femmes de plus de 10 ans a chuté de 96% en 1956 à 58% en 1984 [3].

 


[1] Zoubeir Turki. « Tunis naguère et aujourd’hui ». 1967.

[2] Habib Ben Ali Bourguiba, né probablement le 3 août 1903 à Monastir et mort le 6 avril 2000. Leader de la lutte pour l’Indépendance de la Tunisie il a été le premier président de la République tunisienne de 1957 et 1987.

[3] En 2017, le taux d’alphabétisation des jeunes de 15 à 24 ans est de 96% pour les femmes et de 98% pour les hommes ; les filles représentent 54% des élèves du secondaire et du supérieur (note de 2018).

 

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