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Notes d'Itinérances
5 août 2022

Chroniques tunisiennes 1975 / 2023 (5/69). Le ministère tunisien de l’Agriculture et de la Pêche.

Un accueil différent mais agréable

 

 

Premier contact avec une administration tunisienne. Les bâtiments du ministère sont récents, du type cube, moderne, sans recherche architecturale particulière, une « Administration à Investissement Modéré », comme il en existe également de nombreux exemplaires en France. Seule différence extérieure, outre le drapeau sur le bâtiment, sous les fenêtres, sont disposés, selon une répartition apparemment aléatoire, les grosses boîtes métalliques des moteurs des climatiseurs. La présence à d’autres endroits de cicatrices rectangulaires de la même taille, rebouchées tant bien que mal avec des parpaings et du ciment, laisse à penser que la répartition des climatiseurs n’est pas tout à fait réalisée au hasard. Au contraire, elle doit être étroitement déterminée par le niveau hiérarchique de la personne occupant le bureau, laquelle personne va et vient d’un bureau à un autre avec son climatiseur, qu’il fait poser ou enlever selon ses affectations successives, en faisant creuser un trou dans le mur, puis en le faisant reboucher.

 

Dans le hall du bâtiment, derrière un vieux bureau de bois, sur un long banc, toute une série d’hommes âgés discutent. Les uns portent qui une chéchia, qui une gandoura, qui des babouches, les éléments disparates d’un costume supposé traditionnel. Ce sont des chaouchs [1], des personnes chargées de renseigner les visiteurs, de les conduire auprès de la personne demandée, de faire de petites courses pour les fonctionnaires. J’apprendrai très vite qu’une de leur fonction-clef est d’apporter le café dans les bureaux. Si l’on constate la présence d’une brochette de personnes à chaque étage, il est difficile pour un œil étranger de faire la distinction entre le chaouch « officiel » et son ami venu lui tenir compagnie un moment pendant son service. En France la situation peut paraître plus claire, les huissiers ont tout simplement disparu sauf dans les bureaux du Premier Ministre, du Président de la République ou de l’Assemblé Nationale où ils portent une magnifique chaîne !

 

Le bureau d’un chef de service tunisien est toujours agencé de la même manière : devant sa table de bureau, perpendiculairement, est disposée une table basse entourée de quatre fauteuils bas. Les visiteurs sont invités à s’asseoir sur ces fauteuils et, selon votre degré d’importance ou de familiarité avec votre hôte, celui-ci restera derrière son bureau ou viendra s’asseoir au milieu de ses invités. Dans le premier cas, la relation qui s’instaure entre le responsable et son visiteur est fortement défavorable à ce dernier, outre que la position est mal commode pour le visiteur, il est placé de biais et plus bas, il est totalement dominé par son hôte et son vaste bureau. Heureusement, la remarquable hospitalité tunisienne vis-à-vis des étrangers vient modifier, le plus souvent, cette fâcheuse disposition. Après vous avoir accueilli et installé, la première parole de votre hôte est consacrée à vous proposer un café. Il appelle immédiatement un des chaouchs que vous avez rencontré sur le palier, lequel revient bien vite avec des verres « duralex » remplis de café fumant, verres qu’il pose précautionneusement devant vous sur un petit carré découpé dans des feuilles de papier de machine à écrire. Votre hôte manque alors rarement de quitter sa place dominante pour venir s’asseoir avec vous autour de la table basse.

 

« Les Arabes sont hospitaliers et charitables ; ils reçoivent sans distinction tous ceux qui leur demandent l’hospitalité, mahométans ou chrétiens ; ils leur fournissent tout ce qui peut leur être nécessaire, soignent les hommes et les chevaux, et leur font la meilleure chaire qu’ils peuvent... » [2].

 

Le responsable avec qui nous avons rendez-vous est un homme charmant, d’une cinquantaine d’années, un peu enveloppé, le cheveu grisonnant et frisé, il porte d’épaisses lunettes d’écailles aux verres foncés. Courtois, affable, il est vêtu d’un costume fripé et, si son col de chemise n’est pas boutonné, il lisse fréquemment sa cravate, qu’il doit imaginer rebelle, de ses doigts potelés pour tenter de la discipliner. Son bureau relève du capharnaüm, ses dossiers sont empilés un peu partout, jusque sur les sièges ou posés au sol en piles instables. La couche de poussière qui les recouvre laisse par ailleurs à penser qu’ils sont là depuis un certain temps.

 


[1] Chaouch : huissier. Mot d’origine turque.

[2] Jean André Peyssonnel. « Voyage dans les régences de Tunis et d’Alger ». 1724-1725.

 

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