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Notes d'Itinérances
4 août 2022

Chroniques tunisiennes 1975 / 2023 (4/69). Marseille / Tunis en bateau.

Des chargements improbables – La nostalgie y perd un peu quand le fonctionnel y gagne

 

Tunisie Embarquement à Marseille

« Je préfère l’arrivée à Tunis par bateau. On longe la côte à partir de Porto-Farina. On prend contact peu à peu. Après des plages de sable, on aperçoit les jardins de La Marsa, qui entourent le palais d’été du bey... les hauteurs de Bou-Saïd, petit village princier accroché au sommet d’une falaise rouge vif... Les ruines grises de Carthage... » [1].

L’arrivée en bateau permet de doucement lier amitié avec le sol tunisien. Départ en soirée de Marseille à partir du quai de la Joliette, arrivée à Tunis en soirée le lendemain. 

L’arrivée dans la baie de Tunis n’est pas seule remarquable. Embarquement et débarquement constituent déjà en eux-mêmes un dépaysement, une ouverture sur l’ailleurs, d’autres manières d’être, de vivre. Le chargement des voitures des Tunisiens qui retournent au pays est pour chacune d’entre elles un véritable exploit pour la partie visible, celle qui est située sur le toit du véhicule [2]. Ainsi sur le toit d’une Volkswagen s’entassent deux frigidaires et un congélateur et, pour faire bon poids, par-dessus, dans un miracle d’équilibre, une mobylette ! Sur la suivante, c’est un énorme congélateur-coffre et un colis qui sont surmontés d’une moto, le tout arrimé tant bien que mal par des cordes. Sur une 404, un canapé-lit et ses deux fauteuils sont soigneusement recouverts d’une bâche de plastique transparente. Je suppose qu’à l’intérieur du véhicule, ce sont d’autres prouesses, chaque millimètre cube devant être occupé par des bagages multiples, sacs, sacoches, valises, colis, couffins, cabas, paniers… et les passagers se débrouillent pour se caser dans le volume encore disponible. 

Compte-tenu du poids transporté, de la prise au vent de ces improbables échafaudages et des arrimages approximatifs, les règles de sécurité sur routes et autoroutes ne doivent pas être tout à fait respectées. Les parties arrière de tous ces véhicules sont complètement affaissés, les ressorts des amortisseurs étant totalement compressés et, lorsque les véhicules montent sur le plan incliné qui conduit à l’intérieur du ferry, le cul des voitures traîne par terre en faisant des étincelles.

« Le voyage est une espèce de porte par où l’on sort de la réalité comme pour pénétrer dans une réalité inexplorée qui semble un rêve » [3].

Déception : le service à bord sur ces nouveaux navires n’a plus rien de commun avec ce qu’il était dans les années 50 sur les paquebots à coques noires et cheminées rouges de la Compagnie Générale Transatlantique qui faisaient la traversée sur la Corse, les Sampiero Corso, Cyrnos et Commandant Quéré ! Au restaurant, plus de nappes blanches, d’argenterie, de mise de table avec multiples verres et couverts, de serveurs en veste blanche, mais une grande brasserie self-service comme dans n’importe quelle cafétéria de supermarché. Pour les nostalgiques, ou les plus argentés de la classe cabine, il existe encore néanmoins un restaurant plus traditionnel, plus intime, mais cela n’a rien à voir avec les grandes salles-à-manger cathédrale de mon souvenir, d’autant plus majestueuses que j’étais petit ! Étaient-elles desservies par d’imposants escaliers qui permettaient des entrées théâtrales ou assuraient des sorties pitoyables quand la mer était un peu forte comme il me semble m’en souvenir ? Pas sûr, car ces « géants » étaient presque deux fois plus petits que les ferrys actuels !

Il est vrai que, sur ces nouveaux bateaux, les passagers y gagnent en confort. La classe économique n’est plus réduite aux transats sur le pont ou aux couchettes dans les entreponts pour y passer la nuit mais elle peut bénéficier de fauteuils en salle voire, avec un supplément bien sûr, de cabines avec couchettes. Simples, minimalistes certes, mais ne sentant plus l’huile chaude et le mazout ce qui vous donnait envie d’utiliser immédiatement, sans attendre la haute mer, les récipients vomitoires en bakélite noire qui étaient alors fixés à chaque tête de couchette.


[1] Doré Ogrizek, Marcel Sauvage. « Le monde en couleurs : l’Afrique du nord ». 1952.

[2] En 2004, le photographe Thomas Mailaender a photographié ces véhicules que les dockers appellent des « voitures-cathédrales » du fait de la hauteur de leur chargement. Exposition en 2011 au Musée Nationale de l’Histoire de l’Immigration (note de 2018).

[3] Guy de Maupassant.

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