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Notes d'Itinérances
15 novembre 2013

Cuba, deux ou trois choses à propos de l'ïle du "lézard vert" (10/47). Des espaces privés aux espaces publics.

Faire de l'ombre dans les nouvelles avenues plus larges - Un "festival" de colonnes

 

 

« A La Havane, du moins dans le quartier du cinéma Rialto (…), les architectes astucieux ont construit des galeries d’arcades à colonnes sous lesquelles on peut faire, par une pluie diluvienne, des centaines de mètres, sans se mouiller » [1].

 

Les considérations hygiénistes de la fin du XIXe siècle, mais aussi les exigences d’un transport rapide de grandes quantités de marchandises, imposent une organisation nouvelle de la ville dans laquelle la rue doit s’élargir pour permettre tout à la fois de faire pénétrer l’air et la lumière, mais aussi de faire circuler des véhicules à chevaux, puis à moteur.

 

Du même coup, il n’est plus question de pouvoir se protéger du soleil et de la chaleur en circulant à l’ombre de ruelles étroites. C’est pourquoi les arcades et les colonnes envahissent alors la ville nouvelle, notamment le long du Prado.

 

Non seulement elles soutiennent les galeries, des loggias, mais aussi des balcons, décorent les jambages des portes et fenêtres, forment des péristyles, des portiques, des porches, des vestibules. Elles se font pilastres, demi-colonnes, soutiennent des arcs surbaissés, outrepassés, brisés, leurs chapiteaux sont doriques, ioniques, corinthiens, lothiforme ou parfaitement fantaisistes. Elles sont droites, renflées, lisses, à cannelures à arêtes vives ou à filets, torsadées, géminées, colossales, deviennent atlantes ou cariatides. Un festival !

 

Calle Obispo, de fines colonnettes torses décorent les jambages de fenêtres géminées aux arcs en plein cintre. Sur le paseo du Prado, des demi-colonnes décorent les piliers qui soutiennent des arcs outrepassés d’architecture arabo-andalouse, alors que l’immeuble voisin présente des colonnes doriques supportant des arcs en plein cintre d’architecture Renaissance ! Sur le Malecon, les colonnes peuvent se transformer en cariatides, disposées par paires, pour décorer le balcon du Centre culturel espagnol. Et, derrière le Prado, place du Mémorial Granma, elles deviennent des atlantes modern-style, en pied, enserrant d’un bras un pilier cannelé.

 

Enfin, au Capitole comme à l’université, les colonnes sont pseudo grecques ou pseudo romaines, colossales et décorés de chapiteaux ioniques.

 

« Mais Cuba, par chance, a été métis - comme le Mexique ou le Haut Pérou - et comme tout métissage, par processus de symbiose, d'addition, de mélange, il engendre le baroquisme, le baroque cubain a consisté à accumuler, à collectionner, à multiplier, colonnes et colonnades dans un excès dorique et corinthien, ionique et composite, qui a fini par oublier qu'il vivait entre ses colonnes, qu’il était accompagné de colonnes, colonnes qui protégeaient du soleil et de la pluie, jusqu'à être veillé par des colonnes dans les nuits de ses rêves. » [2].

 

Il est vrai qu’en architecture, comme en décoration, le style baroque s’est montré très sage à Cuba : point d’autels dégoulinants de dorures et agrémentés d’angelots voltigeant en tous sens, de façades mouvementées dont les encoignures jouent subtilement avec la lumière pour faire croire à des effets de profondeur, de sculptures dansantes aux gestes exacerbés, l’architecture cubaine est généralement restée sobre.

 

La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers [3].

 


[1] Guillermo Cabrera Infante. « La Havane pour un infante défunt ». 1979.

[2] Alejo Carpentier. « La ciudad de las columnas ». Photographies de Paolo Gasparini. 1982.

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