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Notes d'Itinérances
10 septembre 2022

Chroniques tunsiennes 1975 / 2023 (56/69). Les oasis et ksour du Sud tunisien.

Les ksour et leurs implantations successives
 
 

 

De Djerba, il est facile de se rendre dans les oasis et ksour du grand sud tunisien. La route permet de traverser, sur le continent, d’immenses oliveraies. Les lignes de plantation sont séparées par de vastes intervalles, d’autant plus grands que la pluviométrie est faible afin que chaque arbre ait suffisamment d’espace pour développer ses racines à la recherche de l’eau. Le sol de surface, très léger, est régulièrement hersé afin d’éviter l’implantation de végétaux qui pourraient faire concurrence aux arbres dans l’utilisation de l’eau, mais aussi pour émietter la croûte de surface et limiter les pertes d’eau par évaporation et permettre, au contraire, une introduction plus facile des eaux de pluie, en limitant le ruissèlement superficiel.

 

Au fur et à mesure que l’on descend dans le Sud et que l’on rentre dans les terres, la végétation s’amenuise. Seuls les fonds de vallées et les dépressions présentent encore de plus en plus rares palmiers et oliviers. Des aménagements hydro-agricoles importants ont été réalisés récemment afin de retenir l’eau et éviter l’érosion des sols. En effet, s’il pleut très rarement, les pluies peuvent être fortes et, sur un sol sans couverture végétale, les ravinements sont élevés. C’est pourquoi des terrasses sont aménagées au flanc des montagnes, plantées d’oliviers, et des séries de petits barrages de pierre en fonds de vallée permettant la culture de touffes de palmiers.

 

Dans les crêtes sont aménagés des ksour (forteresses), en fait de monumentaux greniers collectifs pour la conservation des récoltes agricoles (céréales, huile d’olives, dattes et fourrage) en prévision des disettes mais aussi des razzias consécutives à des guerres tribales ou des razzias bédouines. Les ksour peuvent alors se transformer en forteresses, accueillant hommes et animaux dans des habitations et étables creusées dans la roche. Le Sud tunisien compterait plus de 150 ksour dont certains assez bien conservés (Chénini, Douiret ou Guermassa). Avec l’amélioration de la sécurité, les ksour se sont installés à mi pente comme à Ghomrassen, avec des constructions partiellement troglodytes. Enfin, par suite de l’explosion démographique, mais aussi de la politique des autorités coloniales de contrôle des populations, des ksour ont été édifiés dans la plaine, comme Tataouine fondée sous le Protectorat français, ou comme le magnifique Ksar El Ferch au Sud de Ghomrassen (1911). Il est protégé par une enceinte rectangulaire au sein de laquelle sont alignées des rangées parallèles de greniers constitués de cellules voutées, sur deux étages, les ghorfas. La partie basse est réservée aux céréales, la partie haute aux olives et fromages.

 

Cette politique de descente forcée des populations dans les villes et vallées a été poursuivie par les Présidents tunisiens qui ont continué de lutter contre la spécificité et la culture berbère considérés comme une menace pour l’unité nationale. Dans une vision « moderniste » du développement économique et dans le cadre d’un État fort, unitaire et centralisé autour de la personne du Président, Bourguiba comme Ben Ali ont continué la politique de lutte contre les tribus, la culture et la langue tamazight, et de regroupement autoritaire des populations [1]. Ghomrassen représente bien cette évolution avec ses trois villes successives, sur trois étages : le ksar de crête avec sa mosquée, le ksar de mi-pente puis la ville moderne de bas de pente et de plaine. Les ksour, progressivement abandonnés, tombent en ruine à quelques rares exceptions près. D’autres sont encore partiellement utilisés mais progressivement modifiés : agrandissement des ouvertures, excroissances en parpaing ou en béton, enduits en ciment. Quelques-uns sont transformés pour créer des espaces d’hébergement et d’animation touristique mais, là encore, le résultat est parfois chaotique faute de conseils techniques [2].

 

Les tombes de la mosquée de Chenini sont dites des « sept dormants », ces jeunes chrétiens persécutés par les Romains et qui s’endormirent 400 ans dans une caverne[3], un mythe commun aux religions chrétiennes et musulmanes. Plusieurs lieux du pourtour méditerranéen font référence à cette légende, le plus connu étant Éphèse en Turquie.

 


[1] Cf. Jean-Philippe Bras. « L’autre Tunisie de Bourguiba, les ombres du Sud ». in « Habib Bourguiba, la trace et l’héritage ». 2004.

[2] A contrario à noter le remarquable gîte de Douiret.

[3] L’histoire est décrite dans la XVIIIe sourate du Coran dite « La Caverne », dans ses versets 9 à 26.

 

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